Passons tout d'abord sur le ridicule discours de Sarkozy à Dakar qui a néanmoins rapidement donné le ton de la politique étrangère du trio Sarkozy-Guéant-Levitte.
Passons sur les péripéties de la libération des infirmières bulgares en compagnie de Cécilia et de Boris Boillon (déjà lui).
Passons sur la stigmatisation indigne des Roms à l'été 2010 et la vraie-fausse démission du docteur Bernard Kouchner.
Passons sur l'épisode des jeux Olympiques à Pékin et l'accord officiellement signé par l'UMP (dont Sarkozy se revendique fièrement le patron) avec le PCC, parti au pouvoir d'une dictature tout aussi répressive que puissante économiquement.
Passons sur la présence de Patrick Balkany dans la délégation officielle de la plupart des voyages en Afrique du président.
Passons sur l'atlantisme outrancier de Nicolas Sarkozy ainsi que celui de François Fillon pressé de se rendre à l'Ambassade des USA lors de la campagne de 2007 y assurer qu'un "gouvernement Sarkozy serait plus apte à travailler avec les Etats-Unis" que celui de Jacques Chirac, qui avait lui osé dire "non" à la guerre en Irak.
Passons sur les ubuesques vacances du président Sarkozy dans le ranch du très critiquable président George W Bush, à Wolfboro.
Passons sur la brouille récente avec le Mexique, en raison de la médiatisation excessive d'une affaire que la diplomatie aurait dû gérer dans la discrétion.
Bref, passons sur beaucoup de choses et laissons-leur le bénéfice du doute, celui de l'implacable "realpolitik" qui impose ses choix au nom de la raison d'Etat.
Mais plus profondément, c'est bien la cohérence de l'ensemble de la politique étrangère du président Sarkozy qui est aujourd'hui à mettre à l'index : arrêtons-nous dès lors sur quelques choix que rien ne saurait justifier.
- C'est d'abord la Tunisie. Il est tout même stupéfiant que je sois le seul responsable politique français à avoir dénoncé le régime de Ben Ali alors qu'il était encore en place, et alors que pourtant la police du régime tunisien tirait sur les manifestants à balles réelles, que de simples citoyens tunisiens - ouvriers, étudiants ou enseignants - étaient tués de balles en pleine tête.
Dans ces conditions, la sortie devant le Parlement de Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères - ministère hautement régalien - proposant au gouvernement de Ben Ali une "aide au maintien de l'ordre", aurait dû entraîner sa mise à l'écart instantanée et immédiate par le président Sarkozy. Ce ne fut pas le cas.
Alors bien sûr, vous me rappellerez que le ministre n'a été sauvée que par... un autre scandale : on découvrait en effet que le premier ministre Fillon avait été logé pendant ses vacances par le dictateur Moubarak ! Il fallait déjà se pincer pour y croire...
Tout cela serait d'ailleurs risible s'il n'y avait pas en jeu la liberté et la vie de millions d'hommes et de femmes, et le prestige de la France sur la scène internationale.
- De manière plus générale, ce fut le flot incroyable de révélations sur les liens qu'entretiennent nos ministres avec les oligarchies en place dans ces régimes qui avait de quoi choquer.
Ces liens incestueux entre nos élites et les oligarques corrompus ont d'ailleurs trouvé leur plus forte et leur plus triste expression avec la Libye, et la tyrannie inouïe de celui que l'on a autorisé à planter sa tente à l'Elysée comme toujours au nom de la lutte contre le terrorisme, mais surtout en échange de ventes d'armes et de livraisons de gaz et de pétrole. Parmi les contrats signés, des missiles antichars "Milan" et un réseau de communication sécurisé "Tetra" pour la police Lybienne : 300 millions d'euros au total selon la presse. La Commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre a quant à elle autorisé pour 30,5 millions d'exportation en 2009 ! Imaginez ! La même police à laquelle Kadhafi a demandé une "boucherie" contre son peuple, et les mêmes matériels de guerre qui servent en ce moment même au massacre contre les populations civiles.
Honnêtement, j'ai honte pour mon pays.
Cette fois, une tache vient vraiment d'éclabousser notre drapeau : une tache de sang. Aucun gouvernement français n'avait le droit de vendre des armes de cette nature à un tel fou. Aucune raison d'Etat ne saurait le justifier, et certainement pas l'amitié de Patrick Ollier, autre ministre de la République pour le "Colonel" Kadhafi.
Je ne peux en effet m'empêcher de citer de nouveau Patrick Ollier, compagnon de la ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie, qui déclarait en 2007 "Kadhafi n'est plus le même qu'il y a vingt ans et a soif de respectabilité. Il lit d'ailleurs Montesquieu." Comment trouver un adjectif suffisamment dur pour qualifier une déclaration aussi surréaliste du ministre ?! Sans parler de l'attitude de notre nouvel ambassadeur de France en Tunisie qui avouait sur le plateau de Canal Plus que Kadhafi le considère comme "son fils".
Et quand on pense que c'est Nicolas Sarkozy qui déclarait en 2007 devant le Parlement européen : « tous ceux qui ont fait l'expérience de renoncer à la défense des droits de l'homme au bénéfice de contrats, n'ont pas eu les contrats, et ont perdu sur le terrain des valeurs. »
Et plus largement encore, où sont passés les champions de l'ingérence humanitaire, les mêmes qui justifient la présence militaire en Afghanistan et en Irak au nom de la liberté et de la démocratie, les mêmes qui ont vendu des armes à Kadhafi au nom de la lutte contre le terrorisme ?
C'est aujourd'hui qu'il faudrait intervenir, en Libye et pour protéger des femmes et des enfants victimes d'un génocide mené par un fou, et non pas promettre comme le fait l'UE des "sanctions" qui ne feront mal qu'au peuple Libyen, épargnant comme toujours ceux qui s'enrichiront sur le marché noir et la corruption.
Où sont d'ailleurs passés tous ceux qui sont censés défendre la liberté et qui se sont tus si violemment pendant des semaines, alors que leur devoir était au contraire de soutenir les peuples arabes en révolution pour leur liberté ? Ah, qu'il est bien triste leur devoir d'ingérence à la géométrie variable des intérêts pétroliers et des alliances douteuses.
Car il ne fallait bien sûr rien attendre de la gauche mondialiste, et encore moins du Parti Socialiste. Incapables de bouger une oreille qu'ils étaient, puisque tout autant empêtrés (pour ne pas dire compromis) dans des amitiés douteuses. Le mini-scandale qui a éclaboussé Elisabeth Guigou quelques jours après ses critiques des vacances de Michèle Alliot-Marie pour ses propres relations avec l'homme d'affaires Aziz Miled (elle était co-présidente d'un organisme dont il était lui-même vice-président...) est emblématique : c'est le fameux : "je te tiens, tu me tiens par la barbichette".
Comment s'étonner dès lors que 80% des français ne fassent plus confiance ni à la droite, ni à la gauche pour défendre leurs intérêts ?
Mais malgré tout, puisque c'est l'UMP qui est au pouvoir et que certains en son sein se revendiquent Gaulliste (quelle imposture !), comment peuvent-ils aujourd'hui tolérer un Ministère des Affaires Etrangères qui ne dit plus rien sur rien, si ce n'est quelques communiqués de presse laconiques d'une affligeante banalité, uniquement pour se couvrir d'un nouveau scandale médiatique lorsque les événements deviennent ouvertement intolérables ?
Comment rester muet face à la répression aveugle au Yémen, face aux assassinat de civils du régime au Barhein ? Pourquoi se taire face à la poursuite de la colonisation en Palestine, en violation de toutes les lois et conventions internationales ? Autant de sujets sur lesquels la France - complètement dépassée par un alignement aveugle sur les Etats-Unis - ne dit désormais plus rien !
Il semblerait donc que Nicolas Sarkozy, lui qui promettait une République irréprochable, ait fait le choix d'une realpolitik à deux vitesses : faible avec les forts, fort avec les faibles. Une realpolitik, en tout cas, qui ménage des intérêts qui nous échappent, à défaut de nous effrayer lorsque l'on pense les découvrir ou les comprendre.
Ce qui est une certitude en revanche - et c'est ce qui m'attriste le plus profondément - c'est que la France envoie néanmoins toujours ses enfants mourir en Afghanistan dans une guerre qui n'est pas la leur, combattre pour des intérêts qui ne sont pas ceux de la France.
Alors là encore, combien d'erreurs, combien de morts et combien de scandales avant le retrait ?
Combien de larmes avant de laver l'honneur sali de la patrie ?