80 km/h : 65 vies humaines déjà sauvées ?
« Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie. » (André Malraux, 1933).
Il y a plusieurs semaines, j’avais évoqué l’efficacité de la mesure de sécurité routière qui a réduit la vitesse maximale autorisée à 80 kilomètres par heure sur les routes à une voie sans séparateur central. Cette mesure, décidée lors du comité interministériel de la sécurité routière du 9 janvier 2018, a été mise en application le 1er juillet 2018. Les statistiques du premier mois d’application, juillet 2018, étaient encourageantes. Celles du mois d’août 2018, publiées par l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière le 13 septembre 2018, le sont encore plus.
En effet, en août 2018, il y a 251 personnes qui sont mortes sur les routes, soit 15,5% de moins qu’en août 2017. En clair, il y a eu 46 personnes tuées en moins par rapport à l’an dernier. Il y a eu 136 accidents corporels en moins en août 2018 par rapport à août 2017 (soit 4 155 au total). Par ailleurs, il y a eu 2 082 personnes blessées hospitalisées sur les routes en août 2018, soit 13,3% de moins qu’en août 2017, c’est-à-dire 320 personnes de moins. Ces statistiques présentées ici sont indiquées uniquement pour la France métropolitaine (donc, hors outre-mer dont on peut aussi avoir les statistiques séparément).
Si l’on affine ces données, on constate une amélioration pour tout type de véhicules (véhicules légers, poids lourds, motos, cyclomoteurs) sauf pour une catégorie : jamais il n’y a eu autant de cyclistes tués un mois d’août depuis cinq ans qu’en ce mois d’août 2018, à savoir 24 personnes tuées. Cette mortalité des cyclistes va devoir être la nouvelle priorité de la sécurité routière. Généralement, ces accidents ont lieu plutôt en agglomération que sur les routes à grande densité. La limitation à 80 kilomètres par heure influe donc peu sur les accidents avec des vélos.
Comme je l’ai déjà écrit plusieurs fois, il faut toujours rester prudent avec les statistiques car ces bilans mensuels fournissent des données globales. Il faudra attendre une étude ultérieure, au bout de six mois ou d’un an, pour avoir une analyse très fine de la situation. Contrairement à d’autres pays comparables, la France s’est dotée d’une capacité très fine d’observation routière et il est possible d’analyser tous les accidents, route après route. D’ailleurs, juste avant l’application de la mesure de limitation à 80 kilomètres par heure, le Ministère de l’Intérieur avait rendu publiques ces informations précises, une étude associant à la mortalité la longueur des voies concernées, sur dix ans, données qui ont été publiées notamment par le "Journal du Dimanche" pour chaque département français.
Ce type d’étude sera donc évidemment renouvelé pour déterminer l’effet spécifique de la mesure des 80 kilomètres par heure puisqu’il faut déterminer où ont eu lieu les accidents et quelles ont été leur évolution et leurs conséquences avec cette mesure (qui ne concerne que les routes à une voie sans séparateur central).
Dans les résultats mois par mois, avec l’amélioration (plus faible) en juillet 2018, cela signifierait, dans une approximation qui mériterait d’être affinée et confirmée, qu’il y ait eu 65 vies humaines déjà sauvées entre le 1er juillet 2018 et le 31 août 2018.
65 vies humaines, ce n’est pas rien : ce sont 65 familles, 65 environnements professionnels, amicaux, associatifs, sociaux, affectifs, qui ont été épargnés. Sans compter les personnes blessées hospitalisées épargnées (610 familles épargnées).
Sur ces deux mois d’été, il y a eu à peine moins d’accidents corporels qu’en été 2017 (9 347 en juillet-août 2018 au lieu de 9 439 en juillet-août 2017, soit seulement une baisse d’à peine 1%), mais les accidents sont moins graves qu’auparant : 4 551 personnes blessées hospitalisées en juillet-août 2018 au lieu de 5 161 en juillet-août 2017, soit une baisse de près de 12% ; 575 personnes tuées en juillet-août 2018 au lieu de 640 en juillet-août 2017, soit une baisse de plus de 10%. Si l’accident a lieu à une vitesse moyenne inférieure, c’est plutôt logique que ses conséquences soient moins graves.
Si l’on extrapolait ces deux mois d’été (ce qui serait peu satisfaisant d’un point de vue rigoureux puisque les mois d’été sont généralement plus denses en circulation que les autres mois de l’année, mais ce sont pour l’instant les seules données qu’on a), cela signifierait 390 personnes tuées en moins, calcul rapporté sur une année entière (65x6). Or, cela correspondrait à peu près aux conséquences que les experts en sécurité routière attendaient pour une telle mesure de limitation à 80 kilomètres par heure, à savoir sauver entre 300 et 500 vies par an. Cette amélioration est donc plutôt cohérente avec les attentes des pouvoirs publics.
Une autre manière d’analyser les premières conséquences de cette mesure du 80 kilomètres par heure, c’est d’analyser non pas mois par mois (comparaison août 2018 par rapport à août 2017, par exemple), mais de comparer la mortalité par année glissante : les douze derniers mois.
Comme je l’avais expliqué précédemment, la courbe de mortalité routière des vingt dernières années en France a été particulièrement impactée par l’installation des radars automatiques et la fin de l’impunité par une sanction systématique. Or, les améliorations sensibles se sont fait connaître dès l’annonce de l’installation des radars automatiques, bien avant leur installation effective (plusieurs mois plus tard).
La mortalité était en baisse jusqu’en 2013 (la meilleure année historique avec 3 268 personnes tuées), avec un petit palier à la fin de 2010 et début de 2011 lorsque les sénateurs ont assoupli la récupération des points du permis de conduire (contre la volonté de Nicolas Sarkozy). Pendant tout le quinquennat de François Hollande, la mortalité est légèrement remontée puis a stagné, sans amélioration. La raison, c’est que les gouvernements de l’époque (Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve) n’ont pas voulu, pour des raisons politiques et électorales, réagir à cette situation inquiétante. Ce qui ne fut pas le cas du Premier Ministre Édouard Philippe qui a voulu réagir avec une mesure-phare, la limitation à 80 kilomètres par heure.
Or, que constate-t-on avec la courbe d’évolution du cumul sur douze mois ? Qu’il y a eu assez peu d’amélioration entre le 31 août 2017 (3 512 personnes tuées sur les douze mois précédents) et le 31 décembre 2018 (3 448 personnes tuées sur les douze mois précédents) soit même pas une baisse de 2%. En revanche, entre le 31 décembre 2017 et le 31 août 2018 (3 283 personnes tuées sur les douze mois précédents), il y a eu une baisse de presque 5% (4,8%).
Car l’amélioration a commencé dès le mois de janvier 2018 avec l’annonce de la limitation à 80 kilomètres par heure, et s’est renforcée vers mai et juin 2018 quand les automobilistes ont compris que le gouvernement ne reviendrait pas sur cette mesure. Cet effet psychologique est classique et a pu être observé dans les deux sens (il y avait par exemple une plus forte mortalité routière l’année précédant une élection présidentielle jusqu’en 1995 à cause de l’anticipation, par les conducteurs, des lois d’amnistie, mais cette tradition s’est arrêtée avec Jacques Chirac).
Si l’on extrapolait les gains en vies humaines depuis janvier 2018 (extrapolation qui sous-estimerait les conséquences de l’application des 80 kilomètres par heure puisque l’effet psychologique ne concerne pas tous les automobilistes et que certains ne respecteront vraiment le code de la route qu’après une première sanction), cela signifierait qu’il y aurait eu 248 vies sauvées sur une année (165x12/8). Ce qui resterait cohérente aux attentes des conséquences du 80 kilomètres par heure.
Ce qui est surtout significatif, c’est que depuis juillet 2018, la mortalité semble esquisser une baisse nouvelle et notable, en dehors des fluctuations ordinaires (dues au contexte météorologique mais aussi économique). Si l’on prend la mortalité mensuelle mois par mois sur plusieurs années, l’année 2010 étant le seuil haut et 2013 le seuil bas puisque, après, les résultats ont été médiocres, on constate qu’on commence enfin à arriver au niveau de 2013 et même en dessous du niveau de 2013.
On retrouve cette amélioration notable aussi sur la courbe des personnes blessées hospitalisées au mois par mois.
Comme je l’ai écrit plus haut, il faut rester très prudent dans l’interprétation des données. Il faut encore affiner l’analyse de la mortalité quasiment route par route pour savoir quelle est l’origine de cette nette amélioration (et pour établir une corrélation, il faut avoir la vitesse moyenne sur les routes impactées). Tout ce qu’on peut dire, c’est que le dernier baromètre mensuel de la sécurité routière est très encourageant et laisse comprendre que le gouvernement a eu raison de tenir fermement sa position malgré les pressions de toutes sortes. C’est cela, gouverner : prendre ses responsabilités, avec conviction et ténacité. Et s’y tenir. 65 familles devraient en être reconnaissantes…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
80 km/h : 65 vies déjà sauvées en deux mois ?
L’efficacité de la limitation à 80 km/h.
Guide argumentaire sur la limitation à 80 km/h sur les routes à une voie.
Décret n°2018-487 du 15 juin 2018 relatif aux vitesses maximales autorisées des véhicules (à télécharger).
Rapports sur l’expérimentation de la baisse à 80 km/h (à télécharger).
Documentation sur la sécurité routière (à télécharger).
Argumentaire sur la sécurité routière du professeur Claude Got (à télécharger).
La nouvelle réglementation sur les routes à une voie.
Le nouveau contrôle technique automobile.
Sécurité routière : les nouvelles mesures 2018.
La limitation de la vitesse à 80 km/h.
Documentation à télécharger sur le nouveau contrôle technique (le 20 mai 2018).
Documents à télécharger à propos du CISR du 9 janvier 2018.
Le comité interministériel du 9 janvier 2018.
Le comité interministériel du 2 octobre 2015.
Documents à télécharger à propos du CISR du 2 octobre 2015.
Cazeneuve, le père Fouettard ?
Les vingt-six précédentes mesures du gouvernement prises le 26 janvier 2015.
Comment réduire encore le nombre de morts sur les routes ?
La mortalité routière en France de 1960 à 2016.
Le prix du gazole en 2008.
La sécurité routière.
La neige sur les routes franciliennes.
La vitesse, facteur de mortalité dans tous les cas.
Frédéric Péchenard.
Circulation alternée.
L’écotaxe en question.
Ecomouv, le marché de l’écotaxe.
Du renseignement à la surveillance.
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