« Une nouvelle arme légale contre les vendeurs à la sauvette » (le Parisien, vendredi 29 janvier 2010), c’est le titre d’un petit article de la presse locale annonçant la répression accrue des ventes à la sauvette, faisant encourir aux concernés une peine d’emprisonnement, et donc une garde à vue, au lieu d’une contravention comme c’est encore le cas à présent. Pas de contradiction, pas d’évènement, il n y a pas matière à commentaire, apparemment. Vraiment ? C’est mis en relation avec l’actualité en général que cet article se montre révélateur. Le même jour, le Nouvel Obs a publié un dossier intitulé « La France en garde à vue », dont l’accroche est la suivante : « Pour un mot de travers, un verre de trop, une embrouille, des citoyens ordinaires se trouvent au trou. Les témoignages affluent, les policiers mis en cause dénoncent la politique du chiffre. Acculé, le gouvernement s’engage à réformer. Pour de bon ? » (Olivier Toscer, Le Nouvel Obs, 29 janvier 2010).
Le contenu de ce dossier est explicite, il y aurait en France une hausse scandaleuse du nombre de personnes placées en garde à vue. Selon le journaliste de France Info cité par l’article, il y aurait 900000 gardes à vue annuelles, ce qui serait pour l’auteur Toscer « une inflation à la Kafka entamée en 2003 ». Ce constat serait partagé par le Gouvernement et la majorité UMP : François Fillon estime qu’il faut repenser la garde à vue quand la Garde des Sceaux Michelle Alliot-Marie estime qu’il faut « limiter la garde à vue aux réelles nécessités de l’enquête ». Parmi les pistes envisagées par le Gouvernement, l’idée de réserver la garde à vue aux délits punis d’une peine supérieure à cinq ans fait son chemin - excluant ainsi notamment le vol simple ou le vol aggravé par une seule circonstance, l’extorsion simple, etc. Il s’agirait, selon l’article, d’exclure du régime de la garde à vue « le mari qui s’est disputé avec son épouse, le conducteur arrêté au volant avec un verre de trop, ou l’énervé qui a mal vécu un contrôle d’identité ».
Le code de procédure pénale dispose que « l’officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde à vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction » (art. 63). Faut-il penser que certains retenus le sont bien au delà des nécessités de l’enquête comme le suggère la garde des sceaux ? Le contrôleur général des lieux de privations Jean-Marie Delarue abonde en ce sens : « Une garde à vue dure en moyenne quinze heures, explique-t-il. Or durant ces quinze heures, vous êtes interrogé deux fois pour un total de cinquante minutes. Pourquoi des prolongements de garde à vue totalement inutiles ? En réalité parce que, même si vous vous retrouvez dehors, vous ressortez avec l’idée que vous avez été puni » (encadré "
L’enfer du commissariat" in Ibidem). Le propos est séduisant, simple à comprendre. Trop simple peut-être.
La garde à vue type qui fait scandale est celle relative au délit routier, qui concerne monsieur tout-le-monde jusqu’aux stars du showbiz (
Daniela Lumbroso, etc). C’est la garde à vue qui peut être objets de grandes discussions au repas de noël ou dans un diner mondain. Pour un fait qui apparaît au délinquant concerné comme trivial -bien que ce soit un délit puni d’emprisonnement, ce qui ne le fait pas apparaître comme trivial aux yeux du législateur même s’il s’en défend-, la rétention peut durer de longues heures. Car ce type de délits impliquent des analyses diverses :
le législateur, suivi par les gouvernements de ces dernières années, entend réprimer vigoureusement la conduite sous l’empire de stupéfiants, il convient donc que des prises de sang soient effectuées pour caractériser cette infraction (sachant qu’un simple dépistage n’y suffit pas) puis que les échantillons réalisés soient analysés. Certaines circonstances délayent aussi nécessairement les auditions : ne peut être entendue une personne n’étant pas considérée lucide, ce qui ne saurait être le cas d’une personne appréhendée pour conduite en état d’ivresse ou pour une conduite sous l’empire d’un état alcoolique à un fort taux d’imprégnation.
Enfin, des contingences d’organisation, impliquent de tels délais : dans de nombreux commissariats, les délits routiers sont entièrement pris en charge par des services dédiés qui travaillent selon des horaires de bureau ; il en va de même pour les préfectures, seules en état d’indiquer l’état exact de certains dossiers litigieux de permis de conduire. En conséquence, les interpellés du soir et de la nuit doivent donc attendre le lendemain matin pour être entendus. Ce dernier aspect est criticable et perfectible, si on estime inacceptable que l’auteur d’un délit passe plus de quelques heures en garde à vue. Mais la garde de sceaux, ancienne ministre de l’intérieur, ne peut pleinement ignorer ces questions d’organisation évidente. Il reste à savoir si la société, en phase de réduction de la dette publique, veut, pour le confort de délinquants, investir des fonds pour avoir des services de délits routiers et des services préfectoraux ouverts 24h/24. Voilà pour les délits routiers, mais dans de nombreux autres cas il est nécessaires au service enquêteur d’attendre l’exploitation d’une vidéo, l’audition d’un témoin, pour procéder à une nouvelle audition du gardé à vue.
On ne peut donc résoudre la pertinence du maintien en garde à vue à ces simples phases d’audition et prétendre y trouver la marque d’une sanction qui n’en porte pas le nom comme le fait le contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Kafka est invoqué à tous crins. Le système -la loi pénale- opprimerait l’individu, le placerait dans des conditions désagréables -la privation de liberté- par pur esprit de bureaucratie. Soit.
Si tel n’est pas le cas, si ces infractions là justifient bel et bien la rétention des mis en cause pour les nécessités de l’enquête, le problème est ailleurs. Si on ne veut pas de garde à vue pour le délinquant routier - oubliant vite les «
Il n’y a pas d’infraction mineure au Code de la route » proclamés à l’Assemblée il n y a pas si longtemps (Le Figaro, 2006)- ne faudrait-il pas adoucir la loi à leur sujet ? Et, pour en revenir au point de départ, que penser de ces vendeurs à la sauvette à qui on promet en ce moment même un avenir de gardes à vue pour le simple fait de vendre des babioles dans la rue sans être inscrits au registre du commerce ? Ce n’est pas par contrecoup d’une nécessaire répression accrue que ces vendeurs vont risquer la garde à vue, c’est pour permettre leur placement en garde à vue que la répression est accrue.
La hausse du nombre de garde à vue, au vu de tout ceci, indépendamment du fait que jusqu’à nos jours l’efficacité des services de police a été mesurée à l’aune du nombre de placement en garde à vue, découle t-elle vraiment de l’action policière ? Cette hausse n’est-elle pas avant tout l’incarnation de la volonté populaire, des choix parlementaires ? Peut-on postuler sans hésiter que cette hausse est un mal dont on doit se plaindre plutôt qu’une réussite dont on doit se féliciter ? Quel parlementaire assumera le fait d’interdire la garde à vue pour celui qui vole une personnage âgée en abusant de ses faiblesses ? Quel citoyen acceptera une hausse d’impôts employés à raccourcir la durée de la garde à vue de l’auteur d’un délit routier ?