Chirac dit non, Clinton dit oui
J’ai proposé un projet de livre à Chirac, il a dit non. J’ai pris mon téléphone, j’ai appelé la Maison Blanche, j’ai fini par rencontrer Clinton, il a dit oui... Et puis Chirac a suivi. Nul n’est prophète en son pays.
Que peut-on faire lorsqu’on est jeune, plein d’idées et qu’on vit ans un pays sclérosé par une élite administrative et politique ? On peut aller vivre ailleurs ou se retrousser les manches. C’est ce que j’ai fait en 1998.
Deux ans avant le passage en l’an 2000, je décide de lancer un projet fou : laisser une trace pour les générations à venir d’un dialogue entre la jeunesse du monde entier et les chefs d’État les plus puissants de la planète.
Pour réaliser ce projet Millenarium, un outil nouveau s’offrait naturellement à mes yeux : Internet. Avec mon ami d’enfance Léonard Anthony, originaire de Pondichéry en Inde, nous avons réalisé un site Internet en trois langues et nous avons invité la jeunesse terrienne à poser ses questions à nos têtes républicaines. En même temps, nous avons contacté directement les chefs d’État en question afin de les faire participer à ce projet unique au monde.
Le volet jeunesse avançait à grands pas, 30 000 questions avaient été postées sur notre site en trois mois. À l’époque, c’était énorme. La presse classique comme la virtuelle commençaient à s’en faire l‘écho : à Paris, New York, Sao Paulo, Calcutta... Le volet chefs d’État, quant à lui, traînait des pieds : nous recevions des fins de non-recevoir des conseillers. Que faire alors ?
Étant Français, nous insistons auprès de l’entourage de Chirac pour expliquer l’originalité de la démarche et l’opportunité pour le Président de s’associer à un projet mondial lié à la jeunesse. Souvenez-vous, un an avant, en 1997, Chirac avait dissout l’Assemblée nationale ; les élections suivantes avaient vu la victoire de la gauche avec la nomination de Jospin à Matignon. Concrètement, Chirac avait du temps, et une image à redorer. C’est en tout cas de cette façon que nous avons vendu l’opération à ses conseillers.
Malgré tous nos efforts et notre bonne volonté, la réponse des conseillers de Chirac était peu accommodante : « Pourquoi le Président vous dirait oui à vous et pas aux autres ? ». Notre réponse a été tout aussi cinglante : « Parce que personne d’autre ne vous a présenté un projet aussi original qui associe la jeunesse, les nouvelles technologies et la démocratie directe du troisième millénaire ». Excédés, les conseillers maintiennent leur position : « N’insistez pas, notre décision est prise, c’est non. Bon courage ».
Après pareille douche froide, nous avions mille raisons d’abandonner ; c’était sans compter sur notre opiniâtreté et notre volonté de faire aboutir ce projet qui, plus qu’un caprice de jeunes en quête de reconnaissance, pouvait montrer que tout est possible en ce bas monde, que l’avenir est à construire ensemble, avec les jeunes et avec les gouvernants du monde.
J’y reviendrai en détail une autre fois, mais de 1992 à 1997, nous avions lancé, déjà avec trois tonnes de naïveté, un projet tout aussi fou en banlieue. Il s’agissait de rédiger, avec dix jeunes des deux cités dans lesquelles Léonard et moi vivions, une enquête boursière sur Eurotunnel et Eurodisney. Et là aussi, après deux ans d’enquête, il a fallu trois longues années pour qu’un éditeur, Fixot, finisse par nous publier, non pas un livre, mais deux : Splendeurs et misères des petits actionnaires et On vous écrit d’à côté, ce deuxième livre étant un making of de l’histoire du premier.
Tout cela pour vous dire que les échecs et les obstacles ont nourri mon jeune âge et que l’expérience du non, du refus, était une invitation à lui faire découvrir son alter ego, le oui, l’accord, qui au bout du compte ne se trouve jamais vraiment très loin.
Forts de cette expérience, le non de l’entourage de Chirac nous a motivés encore plus pour convaincre les autres chefs d’État. En ligne de mire, nous avions Bill Clinton, le président des États-Unis. Dans notre esprit, il était clair que l’obtention de l’accord du président le plus puissant de la planète nous ouvrirait les portes des autres écuries présidentielles.
C’est à réaliser cet objectif que j’ai passé sept mois : 210 jours à essayer de voir, de rencontrer, de lire tout sur Clinton et les personnes qu’il avait rencontrées en Europe depuis son accession à la Maison Blanche. Les premiers contacts en direct et en différé ne sont pas très prometteurs. Mais voici que Jospin se rend en voyage officiel aux États-Unis avec un de ces conseillers en nouvelles technologies que nous connaissions depuis quelques temps, Jean-Noël Tronc.
Sitôt qu’il est de retour à Paris, nous prenons immédiatement contact avec Jean-Noël. Il nous reçoit dans la foulée. On lui expose l’idée du livre-entretien entre les jeunes de la planète et les chefs d’État du G7 via Internet (à l’époque, on avait déjà recueilli 80 000 questions sur notre site). Jean-Noël, sensible à notre enthousiasme et à notre détermination, nous donne le mail du conseiller spécial pour les affaires européennes de Bill Clinton, un certain Anthony Blinken, qui parle, nous dit-il, un français voltairien. Il s’empresse d’ajouter : « Je ne vous garantis rien, c’est pas une partie facile ». De toute façon, dans notre esprit, nous n’allions pas tenir rigueur à Clinton de nous dire non une deuxième fois.
E-mail en poche, j’écris à Blinken. On attend, 24 heures, trois jours puis dix jours ; le temps est long. Le onzième jour, à minuit, heure de Paris, je prends mon courage à deux mains, j’attrape mon téléphone et je compose le numéro de la Maison Blanche que j’ai trouvé sur Internet. Avec un anglais d’étudiant et une intonation quelque peu fébrile, je me présente et demande à l’opératrice le bureau de Blinken. Après trois sonneries, je tombe sur la secrétaire à qui j’explique brièvement que j’appelle de Paris, en présentant mon projet et mon souhait de parler avec Blinken. Elle me le passe aussitôt.
L’accueil de Blinken est très chaleureux. Le projet, son originalité, notre enthousiasme l’ont très vite touché. Il nous confie que c’est le genre de projet auquel le président Clinton peut être très sensible. Je lui propose de le rencontrer au lieu et à la date qui l’arrangent. Il nous parle d’un voyage qu’il doit faire avec Clinton au Proche-Orient dans les vingt jours suivants. Je lui réponds que nous pouvons nous y rendre sans difficulté (accompagnés de notre correspondante américaine) si ça peut lui faciliter les choses. Après quelques secondes de réflexion, il propose une rencontre à Washington, je lui réponds : « Avec plaisir, votre date sera la mienne. »
Le lendemain matin, on s’empresse d’envoyer un fax aux conseillers de Chirac en mentionnant : « Rendez-vous à la Maison Banche prévu pour dans quinze jours. » Aucune réaction de l’Elysée. Le jour du départ arrive ; le vol est prévu pour 10h30 du matin de l’aéroport Charles de Gaulle à Roissy. À 9h35, soit une heure avant le départ pour Washington, le téléphone sonne ; d’une voix ferme et quelque peu agacée, le conseiller du président Chirac m’ordonne de prendre un stylo et une feuille. Je m’exécute. « Notez », dit-il. Je note : « La Présidence de la République, et non le Président, s’empresse-t-il d’ajouter, est d’accord pour participer à l’opération Millenarium. Bon voyage ». Depuis, ce conseiller est devenu ministre.
Je raccroche mon téléphone et, fou de joie, je me lance pour une accolade dans les bras de Léonard. Nous sommes heureux, vive l’Amérique !
L’avion n’a pas encore décollé, mais nous savons déjà que nous avons gagné. Le lendemain, nous nous retrouvons à Washington à la Maison Blanche dans le bureau d’Anthony Blinken. D’emblée, Blinken nous tutoie avec sympathie et amitié. On en fait de même. On lui parle un peu de notre parcours et il nous interroge sur ce qui peut motiver deux jeunes Français à s’engager dans un projet aussi fou. Il nous confie que « d’habitude, on voit davantage des Américains les initier ».
On ne peut cacher un brin de fierté devant pareil compliment. Il ne se fait pas prier pour nous dire qu’il a parlé du projet à Clinton, qui a été emballé. Rendez-vous est pris. Dix jours plus tard, Clinton nous félicite pour notre courage et notre audace. Il a trouvé ingénieuse et superbe l’idée d’un livre-entretien avec des jeunes du monde entier grâce à Internet. Ça lui rappelait l’état d’esprit dans lequel il était lorsque, jeune inconnu, et audacieux qu’il était dans l’Arkansas, tout lui semblait à construire mais jamais impossible. Nous voici désormais avec un accord définitif écrit et sans condition du président des États-Unis. Ce que Chirac n’avait pas voulu faire, Clinton le faisait avec plaisir. Nul n’est prophète en son pays.
De retour à Paris, nous relançons les six autres chefs d’État récalcitrants avec la demande formulée six mois auparavant, mais cette fois-ci, au courrier est jointe une lettre de la Maison Blanche. En dix jours, par courrier aussi, les six chefs d’État sont fiers de partager notre enthousiasme en acceptant de participer à l’opération. Nous en sommes alors à 200 000 questions reçues des jeunes du monde entier.
C’est un miracle. Six mois après, nous sommes invités au Sommet du G7 à Cologne à l’occasion duquel nous remettons officiellement devant les caméras du monde entier les questions les plus pertinentes des jeunes aux chefs d’État. Des entretiens séparés suivront. Le livre-entretien Quel avenir pour l’humanité ? sera publié les premières semaines de l’an 2000 dans sept pays.
Voici ce qu’on peut faire lorsqu’on est jeune et plein d’enthousiasme. Huit ans plus tard, c’est animé par la même passion que j’ai décidé de me présenter aux présidentielles 2007.
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