Chorus : qui veut gaspiller des centaines de millions ?
Le ministère des Finances et du Budget se débat avec son informatique et ses procédures, et notamment avec un projet à cinq cents millions, dont le retour sur investissement menace d’être négatif ! « Accord », puis « Chorus » : en avant la musique !
« Chorus », c’est quoi, d’abord ? Comme tous les « machins » administratifs, l’exercice de présentation est difficile. Essayons toutefois, ce qui va nécessiter de faire un peu d’histoire administrative.
- Au sein du ministère des Finances (« Minefi »)...
- la « comptabilité publique » exerce les fonctions comptables et financières de l’Etat...
- à l’aide d’une jungle de procédures qui tiennent de Courteline et de Kafka, et les applications informatiques qui vont avec ; leur maintenance coûte chaque année environ 65 millions au seul Minefi (les autres ministères ont aussi quelques frais).
Avec la mise en place de la LOLF il a été décidé de profiter de l’occasion pour mettre de l’ordre là-dedans (sachant que de toute façon, la question était posée indépendamment de la LOLF). Comme d’habitude, le Minefi a décidé de se servir lui-même, et de ne surtout pas faire appel à l’ADAE, Agence pour le développement de l’administration électronique, dont c’était pourtant une compétence et une prérogative. Mais l’ADAE, malgré (ou à cause de ?) une compétence reconnue, avait un défaut majeur : elle ne dépendait pas du Minefi. Exit donc l’ADAE, qui, pour la petite histoire, sera proprement exécutée en 2005, lors de l’absorption de la « réforme de l’Etat » par le Minefi. Et place au « service à compétence national » Accord, du nom de l’application intégrée capable de faire la comptabilité en même temps que la dépense, sans nécessiter de ressaisies multiples des mêmes données (Accord 2, sachant qu’il existe déjà « Accord 1 » et « Accord 1 bis »). Gain de temps, gain de personnel, gain d’argent, et en bonus passage en mode LOLF : tout bénéfice... sur le papier !
En 2004, il faut se rendre à l’évidence : malgré plusieurs années de travail (débuté bien avant 2001), et une quantité de crédits déjà considérable (et top secret) le projet « Accord 2 » est un fiasco complet. Environ un an avant l’échéance, les spécifications techniques sont encore dans les limbes, le marché (de plusieurs centaines de millions d’euros) pour la réalisation n’est toujours pas concrétisé, et le dossier est tellement mal ficelé que malgré la pression du Minefi la commission spécialisée des marchés informatiques a rendu un avis négatif : le projet conduit immanquablement à un contentieux perdu, avec retard et grosse amende. La question technique et administrative menace même de se transformer en une bombe politique. Outre l’ardoise déjà considérable (des dizaines de millions d’euros) qui peut toujours attirer l’attention, on évoque même l’inimaginable : le report de la mise en oeuvre de la LOLF ! Les connaisseurs du dossier admirent alors la maestria du ministre qui évacue le problème sans dommage pour lui : N. Sarkozy liquide le projet, en deux coups de communiqué de presse, en s’appuyant sur le coût faramineux. Fin du premier acte, mais déjà la pièce s’annonce excellente http://www.minefi.gouv.fr/lolf/13_1_3.htm .
Début 2005, la machine administrative se remet alors en route. Accord 2, qui la veille était présenté comme l’indispensable clef de voûte de la LOLF, devient d’un coup une question annexe. On se contente d’injecter quelques dizaines de millions (quand même) pour toiletter et adapter l’existant pour l’échéance du 1 janvier 2006. Le service Accord devient l’AIFE, les anciens chefs sont promus : Accord est mort, vive Chorus, dont voici une présentation officielle : http://www.minefi.gouv.fr/lolf/downloads/320_si_etat_octobre_2005.pdf.
Chorus, c’est le même projet qu’Accord, géré de la même façon par la même boutique, avec pratiquement les même personnes. Qui peut être surpris que les même causes produisent les même effets ? Deux ans de plus se sont écoulés, on a encore dépensé un peu plus d’argent en études préliminaires, et on est a peine plus avancé. En juin, on lance un audit interne, piloté par un poids lourd parmi les plus notables : Henri Guillaume. Il connaît le dossier, et a été mis à contribution pour traiter le premier fiasco.
En octobre 2006, le rapport est prêt. Mais pas encore publié, et quand on le lit, on n’est pas surpris : c’est encore une autre bombe.
La conclusion retient quatre scénarios, en supposant qu’on lance l’opération Chorus (une affaire d’environ 500 millions d’euros) et que tout se passe bien, ce qui, après tout, est possible...
1) on fait ça sans rien changer d’autre : au total, on a gaspillé 700 millions, car non seulement on a payé l’application nouvelle, mais en plus le fonctionnement coûte plus cher qu’avant !
2) on rationalise un peu ; pour les auteurs, c’est déjà une « hypothèse forte » (sic) qui n’est « aucunement assurée » (re-sic), et donc, pour eux, au mieux on ne perd globalement « que » 400 millions, grâce à quelques menus gains de fonctionnement.
3) on profite de Chorus pour modifier en profondeur toutes les procédures : là, on gagnerait assez pour compenser les coûts initiaux, et l’ensemble du projet serait bénéficiaire de 200 millions.
4) enfin dans l’idéal, si on réussit à mette en place l’organisation qui semble le plus performante et qu’elle tienne ses promesses (no comment), on pourrait gagner 800 à 1100 millions.
Le second acte se termine, sur un superbe suspense.
Prêt pour la roulette budgétaire ? A vous de jouer : qui veut gaspiller des centaines de millions ? A quelques mois des échéances électorales, M. Copé saura-t-il gérer la crise avec la même aisance que son prédécesseur ? Les paris sont ouverts pour le troisième acte qui commence maintenant.
Ah oui, au fait, un petit extrait de la LOLF (article 30) : "Les règles applicables à la comptabilité générale de l’Etat ne se distinguent de celles applicables aux entreprises qu’en raison des spécificités de son action." Autrement dit : depuis 2001, plus rien ne justifie les procédures spécifiques de la comptabilité publique, et jusqu’à preuve du contraire, n’importe quel logiciel standard de comptabilité et facturation peut faire l’affaire...
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