Cinq leçons de l’élection
L’élection présidentielle française achevée permet déjà de dégager quelques idées force pour la suite de l’expression politique dans notre pays.
Première Leçon : la volonté de participation des Français à la vie politique
Les Français sont entrés de plain-pied dans le XXI° siècle. Ils ne veulent pas laisser à d’autres le soin de décider de leur avenir et le taux de participation de 85,5% illustre leur passion recouvrée pour la politique. Le phénomène participatif avait été entrevu dans la consommation à la fin des années 90 avec l’émergence du consom’acteur. La volonté d’implication et d’action est dorénavant une réalité de la vie politique.
La démocratisation de la vie publique doit pousser les responsables politiques à en tenir compte et à adopter les stratégies qui maintiendront vivant cet élan qui est aujourd’hui une chance pour notre pays.
Deuxième Leçon : la victoire des idées
Nicolas Sarkozy a construit sa victoire sur la prééminence de quelques idées centrales qu’il assume et livre depuis un certain nombre d’années. Il a su s’entourer des conseillers nécessaires pour les étoffer et ainsi arriver à la campagne électorale avec un discours abouti et cohérent.
Le programme de Nicolas Sarkozy joue sur le double registre de l’émotion (la Nation, la Sécurité, le Travail) et de la protection (discrimination positive, attachement aux équilibres). Le nouveau Président a privilégié la protection et l’assurance pour fidéliser le vote des anciens électeurs du Front National ce qui lui a très bien réussi dès le premier tour quand il convainquit onze millions d’électeurs alors que Jacques Chirac n’était jamais arrivé à plus de 5,5 millions de bulletins de vote lors de ses trois scrutins de 1988, 1995 et 2002.
Troisième Leçon : l’expression de la politique a changé
Le changement de génération est patent avec le départ des sexagénaires et des septuagénaires de la vie politique française. Jacques Chirac, Jean-Marie Le Pen, Arlette Laguillier, Marie-Georges Buffet quittent ou vont quitter la scène et emmener avec eux une ancienne façon de faire de la politique.
La démarche participative retenue par Ségolène Royal lors des primaires au sein du parti socialiste a été incarnée par la structure créée à cette occasion, Désir d’Avenir . En privilégiant Internet, l’équipe de Ségolène Royal a changé la façon de faire de la politique. Les Américains du Parti Démocrate ont jugé que cette nouvelle organisation avait dix ans d’avance sur leur propre pratique de la politique et ils souhaitent s’en inspirer.
Le rôle pacificateur d’Internet fut réel et il a challengé les médias traditionnels qui ont ainsi enrichi leur travail grâce à la pression concurrentielle de la toile. Grand bien leur en a fait puisque les ventes de la presse écrite comme les audiences radiophoniques et télévisuelles ont très sensiblement augmenté.
Les deux grands challengers pour 2012, François Bayrou et Ségolène Royal, savent que la bataille des idées va se mener au centre social-démocrate et Internet sera le lieu privilégié d’expression de cette confrontation.
Quatrième Leçon : le recul des extrêmes ouvre des perspectives nouvelles
Tous les Présidents élus auront d’abord dû écarter leur plus proche rival au premier tour pour être élus. En 1974 Valéry Giscard d’Estaing réduisit Jacques Chaban-Delmas et en 1995 Jacques Chirac arriva à se défaire non sans mal d’Edouard Balladur. Lionel Jospin échoua en 2002 lors cette première étape et il fut écarté du second tour de la présidentielle.
Seuls François Mitterrand et Nicolas Sarkozy ont eu à repousser des rivaux extrêmes dont les voix, nécessaires lors d’un second tour de rassemblement ne devaient pas trop leur manquer lors du premier tour. François Mitterrand a écarté le Parti Communiste qui est passé de 21% de l’électorat en 1969 à moins de 2% soit une division par dix en moins de 30 ans.
Tout le mérite de Nicolas Sarkozy fut d’engager une performance similaire à l’égard du Front National en le faisant diminuer sensiblement au niveau national (division par deux entre 2002 et 2007) mais surtout en le faisant reculer dans ses bastions du Sud, de l’Ile de France et de l’Est lui rendant plus difficile un enracinement local, passage obligé du combat national. La transformation de cette stratégie devrait être la plus visible lors des élections législatives du mois de juin.
Le recul des extrêmes ouvre des perspectives d’évolution pour l’ensemble de la société. L’éloignement de ces périls permet l’amorce d’un travail explicatif et de convergence sur des points cruciaux pour l’avenir du pays, en premier lieu l’Europe et la mondialisation. En affaiblissant le Parti Communiste, François Mitterrand avait pu réhabiliter l’entreprise. Nicolas Sarkozy devrait pouvoir avancer sur l’Europe grâce à la baisse du Front National, mais aussi sur la mondialisation avec l’effacement relatif du mouvement alter-mondialiste de José Bové.
Cinquième Leçon : le rôle central du Parti
Il est impossible de gagner une élection présidentielle, sans un parti à son service. Les victoires précédentes de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, de François Mitterrand en 1981 et de Jacques Chirac en 1995 ont bien montré le rôle essentiel et stratégique d’un appareil de parti à sa main. Dès 2002 Nicolas Sarkozy a réalisé le plus important en récupérant l’UMP voulue par Jacques Chirac et présidée par Alain Juppé avant sa démission forcée consécutive à ses ennuis judiciaires.Le parti était destiné à le faire gagner et il sut écarter successivement Dominique de Villepin en 2006 à la faveur de la crise du CPE et dans la dernière ligne droite, Michèle Alliot-Marie.
La confirmation du rôle crucial de l’UMP dans cette élection relativise les commentaires sur la fin des partis politiques tel Emmanuel Todd qui soulignait dans Le Point du 24 août 2006 que « les deux grands partis n’intéressent plus personne ».
La leçon a été retenue par Ségolène Royal qui voulut être la première à réagir dès 20H dimanche soir pour tracer la voie à gauche, mais une voie qui sera sa voie. La victoire de Nicolas Sarkozy inspire la candidate battue qui veut reformater le Parti Socialiste pour en faire un appareil à son service. La violence de la réaction de Dominique Strauss-Kahn et de sa garde rapprochée en direct sur les plateaux de télévision a montré que ces derniers ne vont pas s’effacer sans combattre. Les prochains jours seront sanglants au Parti Socialiste.
François Bayrou a retenu la leçon et constitue son Mouvement Démocrate cette semaine. Le troisième homme privilégie un appareil restreint mais combatif à son seul service dans la perspective de sa candidature à l’élection présidentielle de 2012.
La vie politique française apparaît soudainement beaucoup plus apaisée et le chemin parcouru depuis 2002 est sensible. Oubliée la présence de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour, réduit le NON au Référendum sur l’Europe qui faisait passer les Français pour un peuple de citoyens bloqués dans la position du refus.
La période qui s’ouvre devrait recentrer le débat autour des deux pôles également présents dans tous les pays développés, Conservateurs et Sociaux-Démocrates. La suprématie affichée des idées social-démocrates dans la majorité des pays développés confère aux responsables politiques de l’opposition (Bayrou et Royal) un terreau fertile pour construire dans la durée un programme de gouvernement.
C’est avant tout sur le terrain des idées que se jouera la prochaine élection présidentielle et ces deux candidats putatifs ont déjà leur feuille de route.
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