Curieux devoir de mémoire
Jusqu’au 23 février 2005, l’expression « devoir de mémoire » connotait l’idée de « repentance ». Il semble désormais qu’en France, ce ne soit plus le cas !
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH449/Camille_Desmoulin-f6e3f.jpg)
Que s’est-il donc passé, dans la "patrie des droits de l’Homme", le 23 février 2005, et pourquoi en parler aujourd’hui ?
Rappelez-vous : c’est à cette date cruciale qu’a été promulguée la loi N° 2005-158 (adoptée par l’UMP et les centristes) "portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés" (tapez simplement dans Google : "loi du 23 février 2005" pour obtenir le texte complet).
Ce titre "prometteur" provoque un malaise diffus, que les articles 3 et 4 cristallisent et légitiment ; il y est question (art. 3) d’une "fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie" (entendez : à la gloire des harkis ; mais rien, cependant, sur le massacre des 150 000 musulmans restés fidèles à la France et abandonnés par elle, après le cessez-le-feu de mars 62), et du "... rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord..."
Cette dernière phrase est celle qui "tue", qui tue les espoirs pourtant fondés jusqu’alors, de la réconciliation officielle entre l’Algérie et la France, sous la forme de la signature d’un traité d’amitié entre nos deux pays, traité qui devait être ratifié avant la fin de l’année 2005.
Le président Bouteflika avait posé comme condition sine qua non à sa signature dudit protocole, les excuses publiques de la France pour les exactions commises par l’armée française pendant la guerre d’Algérie.
En guise de repentir, Jacques Chirac promulgue une loi en forme d’apologie de la colonisation, (qui va jusqu’à récompenser financièrement d’anciens membres de l’OAS, dans l’article 13) que le président algérien et tout son peuple reçoivent comme un camouflet !
Par ailleurs, et en corollaire, soulignons aussi le tollé presque général que ce texte a soulevé dans notre pay s : ce fut tout d’abord le collectif des historiens et son appel à l’abrogation de l’article 4 de la loi en question : "1001 signatures, et après..." (signatures recueillies en trois semaines !), mis en ligne le 24 mars 2005 sur le site de la Ligue des droits de l’Homme, et lancé dans le quotidien Le Monde (à l’initiative de Claude Liauzu, historien spécialiste de la colonisation) le 25 mars 2005. Ceux-ci s’insurgent (entre autres griefs) contre une "Histoire officielle"("positive colonisation" après la "positive attitude" de M. Raffarin) que le législateur (de quoi se mêle-t-il ?) voudrait leur imposer d’enseigner.
Puis la LDH elle-même a rendu public sa pétition du 13 avril : "Le mépris de l’Histoire et des victimes".
Et, "pêle-mêle" : le SNES-FSU, les socialistes*, les communistes*, l’UDF (qui trouve ce texte "provocateur"), quelques sénateurs, les associations antiracistes (dont le MRAP et la LICRA), le syndicat de la magistrature, les inspecteurs d’académies (Je n’inspecterai pas le "temps béni" des colonies, lettre du 12 mai 2005, adressée à J. Chirac), tous unis contre l’un ou l’autre de ces articles, ou contre cette loi dans son entier.
Une véritable levée de boucliers donc, face à un devoir de mémoire... très "sélective" : rassurant, non ?
* le 29 novembre 2005, les deux propositions de loi des socialistes et des communistes demandant l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005, auront été déposées à l’Assemblée et, espérons-le, débattues (car les députés UMP ont exprimé leur intention de bloquer la discussion et de durcir leur position).
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