Et si la gratuité était possible ?
Dans un précédent article, j’évoquais la gratuité comme seule alternative. Bien conscient des difficultés inhérentes à un tel projet, il m’est cependant impossible de renoncer à cette utopie, qui j’ose le croire est dans le fond du coeur des hommes depuis la nuit des temps. Alors que les puissants préparent dans l’obscurité la mise en place d’une utopie non moins difficile à réaliser, je m’aperçois peu à peu que « le nouvel ordre mondial » qui fait tant peur aux peuples n’est que le pendant « négatif » d’une autre gratuité. Elle est celle de l’esclavagisme forcé, violent et injuste. Mais les difficultés qu’il faut affronter pour parvenir à la réaliser sont au moins aussi grandes que pour parvenir à la gratuité libre et socialement juste, pour peu que ceux qui la préparent soient animés non pas par la soif de pouvoir, mais justement par celle de la justice et de la liberté.
Pour qu’un nouvel ordre mondial soit créé, il est tout d’abord nécessaire que cet ordre soit mondial, c’est-à-dire que le système s’applique partout sur notre planète, et que les règles de son fonctionnement soient les mêmes pour tous. Comme pour le communisme de Marx, un système autre que le capitalisme doit, pour être viable, s’appliquer partout. Car à moins que de viser à une autarcie extrêmement restrictive du point de vue des richesses (aucun pays ne possède toutes les ressources utiles en son sein), ou d’avoir une vision conquérante pour atteindre à cette satisfaction, ce système doit fonctionner partout de la même manière.
Le capitalisme a réussi ce tour de force historique qui consiste à imposer sa règle du jeu partout à la fois. L’argent est le roi de la terre, et il n’est pas une nation qui ne fonctionne sans lui. Mais si au départ son utilisation était sans doute une bonne idée, l’injustice inhérente à son principe de fonctionnement (il faut qu’il y ait des pauvres pour qu’il y ait des riches) entraîne toujours inévitablement la misère du plus grand nombre, et des guerres pour remettre le système en équilibre.
Comme je l’ai évoqué dans un autre article, le capitalisme est arrivé à un point de rupture du fait de la volonté de ceux qui dirigeaient les grandes nations depuis des siècles : s’apercevant qu’en suivant les propres règles qu’ils avaient fixé, leurs nations, en même temps que leur pouvoir, allaient finir par perdre leur puissance, ils ont fini par « trafiquer » ces règles pour rester en place. provoquant ainsi une crise économique implacable devant un jour ou l’autre se terminer par la guerre. Cette guerre leur laisserait du répit pour un moment, mais il est évident pour tous désormais que ceux qu’on appelle « les pays émergents » vont quoi qu’il arrive, un jour ou l’autre, dépasser la puissance des pays riches, que ce soit militairement, ou économiquement.
D’où l’idée du nouvel ordre mondial, qui serait le seul moyen de s’assurer définitivement le contrôle du monde dans quelques mains. Ce nouvel ordre mondial qui, d’ailleurs, ne consiste pas en une gouvernance conjointe de tous les dirigeants des nations existantes, mais plutôt d’une prise de contrôle de quelques dirigeants des pays riches sur l’ensemble des autres nations, au moyen d’une guerre s’il le faut.
Mais il existe une autre manière de voir les choses qui, au lieu d’imposer la volonté de quelques uns à tous, permettrait à tous de décider de stopper la mise en place de cette utopie « négative » : la gratuité comme « don gratuit », plus juste et plus fraternel.
Je m’explique et je propose :
Imaginons un système utilisant une des plus grandes révolutions technologiques que la terre ait jamais produite : internet. Une sorte de serveur géant sur lequel les citoyens s’inscriraient pour donner ce qu’ils ont à donner, et recevoir ce que les autres veulent bien donner. Dans un premier temps, et sans nécessairement changer radicalement le fonctionnement du monde, chacun mettrait ses capacités, son talent, sa fonction au service de celui qui en a besoin : le paysan donnerait tout ce qu’il ne consomme pas, le peintre proposerait ses services, le mathématicien sa science, le transporteur son temps, le médecin son savoir....
Parallèlement, celui qui a besoin de nourriture, de refaire son toit ou de gérer ses stocks, en ferait la demande sur le même site, qui ferait correspondre les offres avec les besoins.
Le rôle de l’Etat, dans cette perspective, serait d’une part de coordonner ces deux flux, et d’autre part d’estimer précisément les besoins non satisfaits par le système, mis en relation avec les propositions des citoyens : là où il y a besoin d’un transport public, d’une autoroute, d’un immeuble, l’Etat doit trouver, ou proposer les formations correspondants à ces réalisations. Dans le cas des métiers trop pénibles, il serait aisé de mutualiser les forces, et de rendre « tournants » ces derniers, pour que chacun en fasse un petit peu, pendant que des scientifiques seraient chargés de réfléchir au meilleur moyen de s’en libérer, par la création de technologies permettant soit d’exécuter ces tâches, soit de les rendre obsolètes.
Ensuite, et pour éviter l’ennui et le manque de motivation d’un tel système, il serait nécessaire de trouver une sorte d’idéal commun à réaliser ensemble, mais ce n’est pas ce qui manque : satisfaire au besoins de tous en travaillant le moins possible, sauvegarder notre planète le plus longtemps possible, et préparer ensemble l’inévitable fin de celle-ci, en se projetant sur la recherche et l’installation future sur une autre planète, afin de continuer à offrir à nos enfants la formidable aventure qu’est celle d’être humain.
Pour ceux qui ne désirent pas participer, ou qui veulent recevoir sans donner, il pourrait très bien exister une sorte de « notation » vis-à-vis des citoyens, qui au lieu de stigmatiser, proposerait soit des formations pour s’améliorer, soit de changer de métier.
On peut très bien imaginer également qu’au bout d’un certain temps, il soit possible aux citoyens de changer d’activité, de se former, et pour l’Etat de toujours retravailler à faire correspondre les offres et les demandes. Si certaines technologies développées permettent de supprimer un besoin, ou d’en créer un autre, l’Etat serait en charge de répercuter au mieux les attentes de chacun, sans nuire à personne.
Ce système pourrait fonctionner d’abord localement, pour monter aux départements, régions, Etats, continents, et finir dans un grand centre mondial pour les projets concernant la planète. Le département peut demander et donner, l’Etat qui possède une ressource mais pas une autre peut bénéficier des deux, chacun ayant pour but de satisfaire au plus grand nombre.
Il serait ainsi possible de sortir des énergies polluantes, de la rareté, de la misère, et rendre enfin possible à la fois l’opulence et l’écologie, réconcilier la technologie et l’humain, en finir avec toutes les impossibilités structurelles que nous impose le capitalisme.
Il ne reste après cela qu’un seul problème à régler, et pas des moindres : sa mise en place. Car dans cette théorie, vous l’aurez peut-être remarqué, il y a un grand absent : le pouvoir. Ce pouvoir qui ne veut pas disparaître, et qui utilise la guerre et la misère pour se maintenir en place. et qui ne veut surtout pas une chose : qu’on commence à croire qu’il est possible de se passer de lui.
Caleb Irri
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