Identité nationale et République
Les valeurs républicaines et progressistes étant en principe connues de tous, essayons de comprendre et d’analyser ce que l’on entend par la « notion d’identité nationale »
La notion d’identité nationale
Une notion est une connaissance élémentaire, intuitive ou vague de quelque chose. Le terme s’emploie aussi comme synonyme de concept. L’idée d’un objet est l’image que l’esprit entrant en activité parvient à se forger de cet objet ; la notion est la connaissance de certains détails qui existent dans un objet ; la connaissance est la possession complète de toutes les notions auxquelles un objet peut donner lieu. La notion du bien et du mal. Intuitivement, on peut voir dans cette « connaissance élémentaire et superficielle » qu’est l’identité nationale, ou une notion nationaliste, ou ethnique, religieuse ou encore raciale.
Dans cette acception, il est clair qu’il y a totale incompatibilité avec nos valeurs républicaines et progressistes d’humanisme multiculturel et universel.
Mais, pour véritablement répondre à la question posée, il convient d’analyser dans son intégralité et en profondeur la notion « d’identité nationale » et d’approfondir la citation de Colette Beaune, professeur émérite d’histoire médiévale à Paris X : « La nation est une construction mentale séculaire. La nation peut être source de guerre si elle débouche sur le nationalisme. Ou, inversement, encourager les gens à se serrer les coudes dans les mauvais jours. »
On dit souvent que l’identité s’affiche quand elle a besoin de parler
En France ce fut, par exemple, Charlemagne qui, au passage, était empereur d’Occident et que l’on a toujours présenté comme Français, alors qu’il est aussi Allemand. Sa capitale Aachen a même été francisée en Aix-la-Chapelle pour être plus présentable.
Comment peut-on définir la nation ? N’est-elle pas une conséquence de l’identité ou des identités des peuples ? Quel est alors, le poids de la langue ? Pour Onésime Reclus, ardent promoteur de l’aventure coloniale française, « il n’y a plus de races, toutes les familles humaines s’étant entremêlées à l’infini depuis la fondation du monde. Mais il y a des milieux et il y a des langues. Un ensemble de conditions physiques : sols, climats, vents, pluies, soleil, mariage de la terre et de la mer ou divorce entre l’une et l’autre, a fait d’un confus brassage de "races" des peuples parfaitement distincts ». Dès qu’une langue a « coagulé » un peuple, tous les éléments « raciaux » de ce peuple se subordonnent à cette langue. C’est dans ce sens qu’on a dit : la langue fait le peuple (lingua gentem facit).
Les mythes fondateurs
Toute nation se construit par la perpétuation d’une histoire « épopée » qui repose bien souvent sur des mythes. Pour rendre compte des hésitations de toute nation qui veut écrire son histoire, écoutons à nouveau Colette Beaune : « la France n’est pas née en un jour ! Elle s’est bâtie au gré des conquêtes, des soubresauts dynastiques ».
Au IVe siècle, à la suite des invasions franques, des populations germaniques s’installent en Gaule. Elles forment des royaumes qui vont être réunis par Charlemagne, après son couronnement, en 800. C’est l’Empire carolingien qui englobe pratiquement toute la chrétienté latine. En 843, l’empire est divisé en trois, lors du traité de Verdun. Les fils de Louis le Pieux reçoivent chacun leur part : Charles le Chauve obtient la Francia occidentalis, à l’Ouest ; Lothaire, qui laissera son nom à la Lorraine, la Francia media ; et Louis le Germanique hérite de la Francia orientalis. Les rois commandaient des histoires officielles, élogieuses et dithyrambiques, que l’on appelait Les Grandes Chroniques de France. Les dynasties royales et le peuple étaient censés descendre de Francion, qui serait venu de Troie, via le Danube, puis le Rhin, avant d’arriver à Paris. Clovis aurait donc eu un ancêtre en Asie mineure !
Au Moyen Âge, il était plus glorieux de venir d’ailleurs...
A la Renaissance, on redécouvre qu’il y avait des peuples sur place quand sont arrivés les Francs : en l’occurrence, les Gaulois. Les Francs étaient bel et bien des immigrés venus il y a très longtemps pour fonder Paris, puis le royaume.
C’est seulement à partir de la IIIe République que l’on a commencé à célébrer la nation comme étant composée de Gaulois blonds et moustachus.
Bien qu’ils aient pour la plupart dépassé le cadre étroit de l’Etat nation, la même inquiétude quant à l’idée de nation étreint les Européens. Le débat est toujours d’actualité l’Europe - une nation des citoyens ou un patchwork des minorités ? -
Le 28 mai 2001, le Premier ministre, Lionel Jospin, tint un discours sur l’unification européenne, il déclarait : « jusqu’à présent, les efforts de l’Union s’étaient concentrés sur la création d’une union économique et monétaire. Mais il fallait, aujourd’hui, une perspective beaucoup plus vaste si l’on voulait éviter que l’Europe ne devienne qu’un simple marché entravé par les mécanismes de la mondialisation. L’Europe, nous disait Jospin, est plus qu’un marché, c’est un modèle de société qu’il importe de poursuivre ».
Que signifie alors modèle européen de société ?
Pour le philosophe Jurgen Habermas : un État fédéral sur un plan européen, composé d’États nations, serait quelque chose de radicalement neuf - même par rapport aux États-Unis qui sont une société multiculturelle d’immigrés. Le modèle européen de société est la nation républicaine des citoyens. La puissance économique d’une Europe unie est la condition nécessaire de son intégration en tant que nation des citoyens (Staatsbürgernation). Ce « plus » pourrait se manifester dans l’identité de l’Europe en tant que nation de citoyens. Celle-ci serait la poursuite du processus de la formation des États nations européens du XIXe siècle, mais aussi qualitativement quelque chose de nouveau. Mais lorsque l’on considère la formation des États nations européens, il apparaît qu’il n’existait pas non plus de peuple national français ou allemand avant qu’il n’y ait d’État nation.
La construction de l’identité nationale s’est faite en interaction avec celle des États nations. Ce n’est que par elle qu’a grandi la solidarité citoyenne qui garantit la cohésion des sociétés nationales. Cette « formation identitaire » réalisée par l’école, le service militaire, la rhétorique nationale, l’écriture de l’histoire nationale et les symboles nationaux s’effectua pour l’essentiel après la constitution politique et territoriale des États nationaux.
Habermas écrit : « si cela est exact, il n’y a pas de raison de penser que la formation d’un tel type de solidarité citoyenne doive s’arrêter aux frontières de l’État nation ». Il faudrait que naisse quelque chose comme un patriotisme constitutionnel (Verfassungspatriotimus) européen.
Nous venons de voir comment l’Europe des nations est en train de se construire, en faisant participer les citoyens qui ont droit au chapitre.
Une construction collective
Beaucoup d’Etats ont négligé la construction de l’Etat au profit de la construction d’une nation par une politique d’assimilation qui peut aller d’une assimilation clémente à forcée. Dans le cas de l’Europe, l’assimilation, bien que clémente, n’en est pas moins contraignante, car l’octroi de la nationalité exige des populations maghrébines, africaines ou asiatiques de s’adapter à des cultures dominantes qui s’avèrent, tout compte fait, profondément enracinées dans la tradition judéo-chrétienne et si différentes des leurs.
Alors que l’identité culturelle d’un pays est une construction collective dont l’évolution se fonde sur l’intégration et l’interaction d’éléments et non par leur exclusion, les Etats sont intervenus dans ce processus par le biais du politique en déterminant l’identité nationale, la figeant dans le temps et enfermant les individus dans un schéma unique, contribuant ainsi à creuser le piège de la dilution de l’identité individuelle dans l’identité collective.
L’identité d’un peuple, comme le souligne Edward Saïd, pour toute l’identité humaine, n’est ni naturelle ni stable, mais résulte d’une construction intellectuelle, reposant sur l’élaboration d’oppositions et de différences entre « nous » et les autres, chaque époque et chaque société recréant ses propres autres. Et si les colonisateurs ont élaboré un système discursif pour maintenir leur hégémonie sur l’autre, l’identité du plus faible pourrait aussi se déterminer implicitement par rapport au colonisateur ou en contre, dans un jeu de représentations en miroir et où le discours sur l’autre fait partie intégrante de sa propre culture matérielle.
De plus, on s’accorde à penser que l’identité d’un homme et d’une société se fonde sur une conscience historique.
La conscience d’une histoire commune peut permettre d’imaginer un avenir commun. Comme l’avait déjà souligné E. Renan : « la volonté de vivre ensemble nécessite une certaine capacité d’oubli, question qui n’est pas sans rapport avec celle de la repentance ».
La construction identitaire se nourrit de ces trois éléments que sont : le temps, la raison et l’espace, avec pour valeurs de référence : l’universel et le particulier.
La « malvie » actuelle, l’errance identitaire, voire existentielle, sont dues pour une grande partie à ce manque de reconnaissance du particulier dans l’universel, au déni des attributs de la dignité humaine qui, elle, est universelle ou, en tout cas, doit l’être. Chaque période de l’Histoire a inventé, afin de le gérer, un passé virtuel et imaginaire servant parfois les intérêts de la classe au pouvoir. Il n’y a pas de raison pour que ce processus ne perdure pas...
La fragmentation identitaire est tellement importante qu’il suffit d’interroger les jeunes, d’où ils viennent, chacun s’identifie à son quartier, sa ville, sa région : je suis de la Courneuve, je suis des Minguettes, je suis de l’Est, de l’Ouest.
Nous ne pouvons aujourd’hui que déplorer le délitement d’un certain patriotisme français, par manque d’éducation des valeurs constitutives de notre héritage culturel et historique.
La même errance poursuit, par exemple, ceux qui se prétendent Berbères et à qui on a enseigné qu’ils étaient Arabes.
L’un des chantiers les plus nobles et prioritaires est celui de la reconstruction de l’école en acceptant un vrai débat pour enfin savoir quels sont les enjeux à considérer.
Il nous faut, sans plus tarder, refaire le brassage et le service national civique comme les cours d’éducation civique constituent, à n’en point douter, une autre école de citoyenneté. Une société apaisée pourra alors se protéger culturellement, pourra aller vers le progrès avec l’assentiment de tous ses enfants sans exclusion aucune. A cette jeunesse qui a perdu ses illusions, redonnons l’espoir.
Alors, oui, si « la notion d’identité nationale » à laquelle on se réfère est celle de l’universalité respectant le particulier, celle d’une construction autour d’un mythe fondateur qui remettrait au cœur de ses valeurs « la dignité humaine », celle d’un humanisme universel respectant des particularismes que l’on appellerait nation, alors oui cette notion-là est totalement compatible avec nos valeurs républicaines et progressistes.
Place de la Gauche, n’hésitez pas à poster vos commentaires
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