L’hygiénisme et la morale ne font pas bon ménage avec la santé publique
Grossièrement, depuis la fin du XIXe siècle, la médecine s’était affranchie de la morale et lui avait substitué l’éthique professionnelle. Or, depuis une vingtaine d’années, la morale revient en force dans l’opinion publique et certains aimeraient bien voir les médecins jouer un rôle de délateurs appointés par la justice et la Sécurité sociale. Ce rêve est aussi partagé par les assureurs qui ne verraient pas d’un mauvais œil l’application du système bonus malus de l’assurance automobile se généraliser à tout type de protection. Quand, je dis hygiénisme, il ne faut pas comprendre hygiène qui est à la base de la médecine moderne.
Le catholicisme bourgeois du XIXe siècle mêlait allégrement médecine et morale. Des hygiénistes, chrétiens comme Alexis Clerc (Hygiène et médecine des deux sexes) puis Georges Surbled (La Morale et ses rapports avec la médecine et l’hygiène), condamnaient la masturbation et avec l’aide des phrénologues comme Lombroso (1835/1909) distinguaient des morphotypes criminogènes. La gueule d’assassin est née à cette époque, avec Lacenaire qui servit de modèle de criminel dans le film Les Enfants du paradis. Heureusement, la médecine évolua et le rôle du médecin fut d’abord de soigner les gens dans la mesure du possible (obligation de moyens et non de résultats, ce que certains ont trop tendance à oublier) en donnant si nécessaire des conseils pour éviter contamination et récidive. C’est ce qu’on appela la prévention. La médecine moderne doit prendre en considération l’intérêt public, mais pas au détriment de l’individu. Oui, le médecin doit suivre rigoureusement une éthique professionnelle, mais ne doit être en aucun cas un moralisateur et encore moins un supplétif de la justice et des assurances.
Primum non nocere, avant tout, ne pas nuire. Chacun son rôle, un médecin n’est ni un flic ni un comptable. Par contre, il est naturel qu’il participe au processus de rentabilisation et s’insère dans un mécanisme d’économie de santé. Le corps médical ne doit pas être payé pour gaspiller.
Mais, depuis l’apparition du sida et de la traque de la pédophilie, beaucoup voudraient voir les médecins participer à la chasse aux déviants de toute sorte, qu’ils soient des séropositifs avérés ne se protégeant pas ou des pervers sexuels ayant avoué l’inavouable à leur médecin traitant. Certains voudraient même les voir traquer les inciviques, les asociaux.
Soit dit en passant, ce genre de situation peut se compter sur les doigts de la main pour un généraliste, et ne doit pas dépasser la dizaine pour un psychiatre ou un psychanalyste. Et de parler du lever du secret professionnel dans des circonstances exceptionnelles. Dénoncer un criminel dangereux peut paraître louable, mais la dérive est proche. En admettant que la mesure soit applicable, elle n’aboutirait qu’à quelques inculpations et encore moins de condamnations, sans parler des dérives possibles. Par contre, la boîte de Pandore serait ouverte. Pourquoi ne pas dénoncer les diabétiques et les hypertendus qui mangent n’importe quoi sans suivre de régime, qui fument et boivent plus que raison et leur faire perdre le bénéfice de remboursement après plusieurs injonctions. Une formule hypocrite pourrait permettre aux médecins de ne pas dénoncer, mais au contraire de donner des certificats donnant accès aux 100 % uniquement à certains bons malades obéissants.
Cette option qui tente pas mal de bien-pensants, bons parents, ne fumant, pas, ne se droguant pas, ne buvant pas et restant fidèles et qui est quelquefois présentée comme une solution au trou de la Sécurité sociale ne prend pas en compte au moins deux bases de la médecine. D’abord, à de rares exceptions, peu de maladies ont une cause univoque. D’autre part, le médecin n’est pas là pour faire la morale, mais expliquer, persuader si nécessaire.
Mais la tentation est grande dans l’opinion publique, et cela depuis l’apparition du sida. Que n’a-t-on pas entendu ! La France contaminée par des marginaux, homosexuels, drogués et émigrés. Et cet apitoiement envers les hémophiles, les victimes innocentes, des enfants qui n’avaient rien fait de mal. Il fallait les indemniser très vite au lieu de s’occuper de ces pervers sexuels, ces lubriques ne se contenant pas. Bien sûr, les mentalités ont en partie évolué, car la maladie a atteint des Blancs hétérosexuels ne se droguant pas. Mais, tout de même, l’alerte était donnée. L’esprit hygiéniste moralisateur veut de plus en plus que tous ceux qui ne suivent pas les règles de prévention soient pénalisés d’une façon ou d’une autre et que la médecine ne soit pas complice de leur incivisme.
Je ne suis pas un laxiste partisan du laisser-faire et il faut absolument mieux gérer les dépenses de santé en France. D’autre part, je considère que certains criminels méritent amplement le châtiment, mais ce n’est pas mon rôle de médecin de les dénoncer car je ne peux accepter un système de délation qui une fois mis en place ne pourrait que se généraliser.
Un médecin a pour unique obligation de soigner que lorsqu’il y a urgence vitale ou quand il est le seul disponible. Il peut en dehors de cette situation orienter un patient vers un confrère, ou donner au malade qui lui déplaît une liste d’autres praticiens. Cela existe déjà avec la clause de conscience concernant l’avortement. Un médecin peut refuser de le pratiquer pour des raisons personnelles, mais il doit informer la patiente dans les délais légaux autorisant l’avortement et ne pas la faire traîner. Il doit aussi lui indiquer ou s’adresser pour obtenir ce qu’elle souhaite. Personnellement, je n’aurai que mépris pour un individu me montrant sa verge irritée et m’expliquant que cela est le résultat d’une sodomie sur un enfant de 5 ans, mais je ne pourrai le dénoncer. Inutile de dire que je ne m’en ferai pas un ami.
Et puis, un médecin peut, que dis-je, il doit protéger un enfant victime de sévices sexuels ou non. La loi existe, il suffit de l’appliquer. La renforcer outre mesure entraînerait des effets contraires, avec une possibilité de dérive. La France a été, dans un passé pas si lointain, le pays de la lettre de dénonciation, n’en remettons pas une couche. Il suffit de déclarer les cas suspects aux services compétents sur constatations cliniques, non de se servir des confidences des coupables pour les faire déferrer.
Abandonner le secret professionnel est beaucoup trop dangereux pour la société pour être tenté. C’est la porte à toutes les dérives. Déjà, dans le milieu enseignant, on incite à la délation au nom de la précaution. Un inconscient qui prendrait sur ses genoux un petit de 5 ans qui a un gros chagrin serait immédiatement suspect. La première réaction de ses collègues va bientôt être de le dénoncer, avant tout pour se couvrir, avant même de vérifier s’il avait la braguette ouverte lors de l’incident. Mon propos n’est pas de défendre la pédophilie ni aucun comportement mettant indubitablement en danger la vie ou la santé d’autrui. Mon but est de souligner les risques entraînés par les excès.
De nos jours, une certaine classe morale se veut d’agir comme les staliniens du temps de Molotov qui préférait faire fusiller dix innocents plutôt que de laisser passer un coupable.
Ce comportement a déjà fait son chemin au niveau de la prévention routière, il s’installe insidieusement dans l’alimentaire (peur des pesticides, des OGM, des contaminations), il atteint les manèges forains, la fabrication des jouets, des cosmétiques. S’il est tout à fait normal d’établir des normes de sécurité et de fabrication, il est totalement grotesque de laisser un petit groupe d’ayatollahs pourrir la vie de millions de gens.
Mais revenons à la médecine. Je refuse de devenir un agent moralisateur. Mon rôle est d’expliquer, quelquefois de persuader, bref, en quelques mots, aider un malade à mieux comprendre sa maladie et le mettre devant ses responsabilités et c’est déjà beaucoup. Parlons par exemple de l’anémie falciforme, fréquente en Afrique et qui peut se transmettre par porteur sain. La découverte de la maladie se fait par un test simple. Le rôle du médecin est d’informer les patientes du risque de transmission à la progéniture et les laisser faire un choix. Par contre, il est hors de question de prévenir un fiancé contre ou sans l’avis de la patiente. Toute l’éthique médicale est dans ce choix, certains ont tendance à l’oublier.
Je ne suis pas croyant, mais je considère que les prêtres ont eux aussi droit à la protection du secret de la confession. Mais les partisans du tout-sécuritaire ont trop tendance à se comporter comme des ayatollahs, même quand ils conspuent l’Iran.
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON