La citoyenneté économique, défi démocratique du XXIe siècle
L’un des plus grands maux dont souffre aujourd’hui la société est le sentiment d’impuissance ressenti au niveau individuel : nos marges de manœuvre paraissent de plus en plus ténues, les contraintes extérieures de plus en plus fortes, le champ des possibles de plus en plus restreint : dès lors « à quoi bon » chercher à modifier le cours des choses ? A quoi bon faire l’effort de s’investir ? A quoi bon vouloir agir ?
C’est le sentiment d’impuissance qui conduit au renoncement, au fatalisme, au repli, au chacun pour soi, au rejet de l’autre. C’est le sentiment d’impuissance qui amène à ne plus attendre grand-chose des autres et de la vie, si ce n’est un bonheur matériel et sécurisé à l’échelle de son petit cocon individuel, familial ou tribal.
Ce sentiment d’impuissance est particulièrement exacerbé dans le domaine économique, où « l’abstention économique » prévaut : l’individu lambda n’a aujourd’hui que peu l’impression de participer au système économique ; il ne se perçoit souvent que comme un rouage d’une machine qui le dépasse et envers laquelle il ne pense pas pouvoir grand-chose, si ce n’est essayer de s’en accommoder au mieux et d’en tirer le parti le moins pire pour lui-même... Et, contrairement à l’abstention politique (élections), l’abstention économique est généralement subie et non choisie.
Il y a là un enjeu crucial : redonner à une majorité d’individus l’envie et la possibilité de s’impliquer directement et positivement dans le jeu économique. Les extraire de la position de « citoyens déchus » pour les amener à celle de citoyens acteurs directs de l’économie - « citoyens économiques » à part entière - retrouvant marges de manœuvre et libre arbitre économiques.
Cette citoyenneté économique pourrait ainsi, en première approche, être définie comme l’ensemble des actes économiques - consommation, travail, entrepreneuriat, épargne... - par lesquels l’individu agit de manière volontaire pour avoir un impact positif pour la collectivité et pour lui : consommation responsable (produits bio, écologiques...), commerce équitable, entrepreneuriat social, entreprises coopératives, entreprises mutualistes, épargne et finances solidaires, syndicalisme, activisme actionnarial, responsabilité sociale et environnementale des entreprises, investissement socialement responsable, etc.
Malgré leur potentiel important de développement et leur capacité à devenir majoritaires, ces formes et pratiques économiques plus participatives, plus solidaires, plus écologiques, en un mot plus humanistes, demeurent souvent méconnues, caricaturées ou marginalisées, Alors que l’économie joue aujourd’hui un rôle extrêmement important et structurant dans la cité, elle demeure ainsi paradoxalement tenue assez à l’écart des enjeux démocratiques et citoyens.
Etre citoyen au XXe siècle, c’était voter, connaître les institutions, respecter les lois et principes de la République... Etre citoyen au XXIe siècle inclura bien sûr tout cela, mais impliquera aussi d’être conscient que, par ses actes économiques, chacun de nous a une responsabilité et un pouvoir par rapport au fonctionnement de l’économie.
Tout le monde est concerné. Mais il est vrai aussi que beaucoup de gens aujourd’hui ne peuvent pleinement exercer leur citoyenneté économique.
Tout le monde ne peut pas choisir de consommer bio ou équitable (plus cher) ; de transférer son éventuelle épargne vers des produits ou des banques solidaires ; de choisir de travailler dans une entreprise responsable (avec plusieurs millions de chômeurs et de travailleurs pauvres et des entreprises socialement et écologiquement responsables encore minoritaires, ce choix demeure un privilège) ; ou tout simplement d’avoir accès à l’information sur ces formes et pratiques économiques différentes.
De fait, sur ce sujet, nous sommes encore un peu à l’ère de la Grèce antique, inventeur de la citoyenneté, mais où celle-ci était réservée à une minorité (à Athènes, au Ve siècle avant J.-C., moins de 15 % des habitants étaient des « citoyens »...).
Le défi démocratique du XXe siècle fut politique (droit de vote, liberté d’expression...), celui du XXIe siècle sera ainsi économique :
Comment valoriser et faire connaître au plus grand nombre (notamment dans la population active et dans le système éducatif) les différentes formes de citoyenneté économique ?
Comment créer les conditions favorables à leur développement, leur « démocratisation » et à leur généralisation, pour que toute personne, quels que soient son revenu et sa situation sociale, ait les moyens, la capacité et la possibilité de pleinement y accéder ?
Deux questions fondamentales, qui dépassent le clivage gauche-droite et qui devraient être au cœur du débat économique et politique. Il ne s’agit ni plus ni moins que de faire émerger et d’affirmer le citoyen comme un acteur à part entière et central du jeu économique, aux côtés du marché et de l’Etat.
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