La démocratie participative face à ses obstacles : le cas des conseils citoyens
Moins de deux ans après l’élection de François Hollande, la politique de la ville connaissait une réforme substantielle avec la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. Avec ce texte, plusieurs objectifs étaient poursuivis par le Gouvernement et la majorité parlementaire : repenser la géographie des quartiers prioritaires, redéfinir de nouveaux contrats de ville ou encore prévoir un autre plan de rénovation urbaine. Autre orientation poursuivie, le développement de la démocratie participative au sein de chaque territoire de la politique de la ville via la mise en place des conseils citoyens.
Avec l’institution des conseils citoyens, les pouvoirs publics espèrent aboutir à une « co-construction » de la politique de la ville en associant acteurs institutionnels et représentants des quartiers prioritaires. A ce titre, la loi précitée dispose que, une fois mis en place, les conseils citoyens devront être « associés à l'élaboration, à la mise en œuvre et à l'évaluation des contrats de ville »1.
Si la création par le législateur de cette instance participative n’a été que peu commentée par la presse ou la doctrine, force est de constater que la mise en place des conseils citoyens traduit une certaine avancée démocratique. Il faut savoir que ce sont tous les quartiers prioritaires qui sont visés par cette réforme, ce qui est loin d'être négligeable puisque cela représente aujourd'hui près de 5.5 millions d'habitants 2. L'avancée démocratique que représente une telle instance est donc remarquable d'un point de vue quantitatif, mais pas seulement.
Pour constituer les conseils citoyens, la loi impose l’usage d’un mode de désignation qui suscite un intérêt croissant dans la société civile : le tirage au sort. Précisément, sur la base des listes électorales, de listes transmises par les bailleurs sociaux (propriétaires des habitations à loyer modéré) ou encore d’appels à candidatures, les services compétents (municipaux essentiellement) doivent effectuer un tirage au sort de sorte à réunir autant d’hommes que de femmes, mais aussi veiller à sélectionner des personnes âgées comme des jeunes, ou encore des individus aux situations sociales différentes. Sans aborder les difficultés techniques auxquelles peuvent être confrontés les agents publics en charge d’une telle tâche, l’usage du tirage au sort présente certaines qualités qui méritent d’être soulignées. Tout d’abord, son recours a l’avantage de sélectionner un public diversifié, sans doute plus fidèle à la sociologie des quartiers prioritaires. De la sorte, son utilisation prend à contre pied certaines expériences de démocratie participative où les publics réunis avaient été sélectionnés de manière totalement discrétionnaire par les élus locaux, mais aussi n’étaient pas représentatifs des populations qu’ils étaient supposés représenter. Par ailleurs, l’emploi du tirage au sort conduit les pouvoirs publics à solliciter de manière plus directe des personnes qui ne sont pas habituellement contactées pour participer à ce genre d’initiatives. A noter enfin, la loi prohibe à tous élu local ou agent public intéressé par la mise en place d’un conseil citoyen, d’en être membre à part entière. Dis autrement, un élu local ne peut être « conseiller citoyen » ni même les délégués préfectoraux aujourd’hui en charge d’un tel projet. Si rien n’empêche leur présence aux séances des conseils citoyens, les premiers ne profiteront sans doute pas du même statut ô combien critiqués dont ils profitent au sein des conseils de quartier. L’indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et la mixité sociale sont donc les deux impératifs, ô combien salutaires, qui président à la composition des conseils citoyens.
Au-delà de leur composition, le rôle assigné aux conseils citoyens implique une participation accrue des publics mobilisés. En effet, et ce même si les textes ne sont pas « prolixes » sur ce point, associer les représentants des quartiers prioritaires à l'élaboration, à la mise en œuvre et à l'évaluation des contrats de ville ne peut avoir pour corollaire qu’un renforcement du « pouvoir d’expression » des publics mobilisés. Si les populations des quartiers prioritaires ont souvent été écartées des processus de prise de décision, désormais elles seront des interlocutrices incontournables pour les pouvoirs publics. Outre le fait que les citoyens concernés seront probablement mieux informés quant au devenir de leur quartier, ceux-ci seront bien plus consultés que dans le passé. Plus encore, une telle association implique une concertation accrue, et donc une expression plus importante.
Si l’avancée démocratique que représente une telle innovation du législateur est peu contestable, l’institution des conseils citoyens sert de révélateur pour caractériser les freins qui s’opposent aujourd’hui à un développement de la démocratie participative. Si l’on étudie de près le dispositif, on se rend compte que malgré l’usage salutaire du tirage au sort, rien n’empêchera les populations fragiles de rester en dehors de ce type de dispositif. Des barrières d’ordre sociologique maintiennent des pans entiers de la population en dehors de tous dispositifs participatifs. Partant, malgré l’intérêt du recours au tirage au sort, nul ne doute que les personnes connaissant des situations précaires ne seront pas présentes au sein des conseils citoyens. En outre, ce mode de sélection n’empêchera pas les personnes les plus charismatiques et les mieux intégrées socialement de monopoliser la parole au sein des débats publics. Ce constat fait donc écho à toutes les personnes qui aujourd’hui brandissent l’usage du tirage au sort comme la panacée, la solution ultime pour mettre fin à l’élitisme qui caractérise si bien la représentation politique française.
Autre limite qui freine le développement d’expériences de démocratie participative, la sensibilité des élus (locaux comme nationaux) pour ce genre d’initiatives. La participation citoyenne dans le processus de décision est en réalité largement tributaire du « bon vouloir » de ceux qui incarnent les pouvoirs publics, seuls à mêmes de prévoir la création de ce type de dispositif et leurs caractéristiques. Si l’on prend le cas des conseils citoyens, on aurait pu largement imaginer leur extension sur tout le territoire. La nécessité de s’exprimer ressentie par des millions d’habitants dépasse évidemment le cercle restreint des quartiers prioritaires. De la sorte, on pourrait imaginer une association massive des citoyens à la définition d’autres politiques publiques que la politique de la ville (éducation, économie, culture, justice.). Autre remarque, on pourrait concevoir l’attribution de rôles plus importants pour les conseils citoyens par l’attribution de prérogatives, qui cette fois-ci apparaîtraient de manière explicite dans les textes législatifs ou réglementaires. A ce propos, pourquoi ne pas envisager une véritable codécision au niveau local ? Les conseils citoyens pourraient très bien profiter d’un pouvoir décisionnel et engager une partie des deniers publics pour la réalisation d’action au profit de leur territoire. A ce titre, les budgets participatifs qui se sont développés un peu partout au sein de collectivités étrangères constituent une excellente illustration de la mise en œuvre d’une telle ambition. Toutefois, la prépondérance d’une conception totalement dépassée de la « démocratie » et de la gestion des « affaires publiques » occupe largement les esprits, particulièrement de ceux qui incarnent la souveraineté nationale aujourd’hui. Les éventualités évoquées sont pour l’instant mises en suspens, faute d’une mobilisation suffisante des parlementaires.
L’implication des citoyens dans la définition, la mise en œuvre et l’évaluation d’une politique publique dépend donc de facteurs sociologique, politique, mais pas seulement. La démocratie participative peut parfois être « illégale » aux yeux des magistrats, faute de bénéficier de fondements juridique réels. Dans ce cas, le droit positif peut constituer une barrière pour certains élus locaux soucieux de dépasser les dispositifs en vigueur afin d’accorder une place accrue à leurs administrés. S’agissant des conseils citoyens, aucunes prérogatives ne leur sont attribuées de manière explicite. Pour autant, certains élus sensibles à l’implication des habitants de leurs communes peuvent très bien prévoir un véritable droit d’interpellation à l’endroit des conseils citoyens. Sans rentrer dans les détails ni même sans préciser la manière dont une telle attribution pourrait se concrétiser, celle-ci demeure quand bien même possible. Or, n’étant pas prévue de manière explicite par les textes régissant les conseils citoyens, ces derniers pourraient être contraints de faire marche arrière sous peine de voir leur décision annulée par le juge administratif. A ce propos, j’invite les plus curieux à se pencher sur le cas de représentants politiques locaux s’étant rendus « coupables » d’avoir voulu s’extirper des conditions pour le moins contraignantes prévues par les textes s’agissant du droit de pétition local 3.
On le voit donc, si la volonté politique demeure prépondérante quant au renouveau démocratique espéré par de plus en plus de citoyens, d’autres obstacles encore trop peu cités doivent être pris en compte.
1. Loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, journal officiel de la République française du 22 février 2014, n°0045, page 3138, titre 3, article 7.
2. Cour des comptes, La politique de la ville : un cadre rénové, des priorités à préciser, rapport public annuel publié le 12 février 2016.
3. Cour Administrative d’appel de Lyon, le 24 avril 2012, requête n° 12LY00203 ; Cour Administrative d’appel de Versailles, le 6 novembre 2014, requête n°13VE03124. ( Décisions disponibles sur le site internet « légifrance ») .
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