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Accueil du site > Actualités > Citoyenneté > La mémoire des peuples

La mémoire des peuples

Le devoir de memoire est une exigence de la pacification

Dans la mythologie grecque, les morts sans sépulture erraient sans fin, tourmentant les vivants jusqu’à ce que ceux-ci les enterrent.

Cette image hautement symbolique pourraient être reprise de nos jours pour toutes ces victimes décédés qui n’ont obtenu justice.

Elles rôdent sans fin parmi les vivants, oubliées mais présentes dans les consciences comme autant de violences tues, jetant sur les générations suivantes le vide de l’innommable, le trouble, et demandant réparation.

Sur ce parvis, toutes premières dans cette file sans fin, nous pouvons distinguer les victimes d’exterminations programmées en attente d’une reconnaissance, d’un mot, d’un symbole, d’une mémoire dite, d’une parole commune : les juifs de la shoah, mais aussi des peuples entiers exterminés par la colonisation ou par des stratégies de peuplement d’un nouveau monde soi-disant vierge, les victimes des guerres d’extermination outou et toutsi, les oubliés du goulag, les peuples de l’Himalaya...

Mais j’y vois aussi errer ces ombres plus solitaires, murmurant en silence, protestants exterminés à la Saint-Bathélémy pour n’avoir pas renoncé à leur foi, sorcières brûlées vives par l’inquisition pour avoir voulu briser leur joug de femme, femmes méditerranéennes lapidées depuis des générations pour avoir commis l’adultère, francs maçons et communistes sous Vichy, esclaves asservis capturés dans des guerres incessantes et vendus aux confins de l’Afrique...

Et suivent sans fin les cohortes entières des injustices oubliées...

Car l’Histoire et la mémoire collective reflètent souvent exclusivement la mémoire des vainqueurs et des groupes dominants qui enfouissent leurs victimes sous le déni, la négation.

- Ce qui vous salit n’a jamais existé.

Si l’Histoire écrite se targue de scientificité trouvant sa justification dans les archives et dans l’écrit, comme toute science elle ne porte qu’une vérité relative et éphémère.

En outre en tant que science de l’homme, elle prête davantage à caution que les sciences de la Terre puisque, l’historien est tout à la fois l’observateur et l’observé.

L’écriture de l’Histoire est souvent inscrite dans un rapport de force, et relate donc en priorité l’Histoire d’un groupe social dominant, laissant de côté celle de ses adversaires et s’empressant même de l’effacer pour remplir la mémoire collective de sa propre justification.

Cependant lorsque l’histoire et la mémoire des victimes tombent dans l’oubli, surgit alors dans la société ainsi que chez les individus qui la composent, ce que nous pouvons appeler en reprenant un terme freudien "le retour du refoulé".

Les ombres errant sans fin viennent imposer leur loi, pour n’avoir pu obtenir justice ici-bas. Et apparaissent au détour du chemin des explosions de violences collectives apparemment inexpliquées.

Les morts sans sépulture, les oubliés de l’Histoire et de la mémoire collective recouvrent le monde des abominations qu’ils ont subies...

L’amnésie est fauteur de trouble.

Nous voyons aujourd’hui dans les Balkans, en Algérie, comment des peuples amnésiques sont entraînés dans une violence sans fin.

"Le devoir de mémoire" s’impose alors comme une nécessité, comme partie intégrante d’une humanisation de l’humanité.

Du fond de l’oubli, il nous faut faire surgir à la parole, au récit puis à l’écrit ces choses qui n’ont pu être dites, il nous faut rendre justice.

En ce sens, nous avons un devoir de mémoire, répondant au droit à la justice. Cette démarche est une nécessité pour maintenir une cohésion sociale et l’égalité des hommes.

Elle est la pierre angulaire de tout progrès vers une humanité meilleure.

Elle paraît la seule réponse efficace au retour du refoulé à cette violence diabolique inexplicable qui nous entraîne tous dans la spirale de la haine et de l’exaction.

Le devoir de mémoire s’impose tant sur le plan collectif qu’individuel :

- Sur le plan collectif il doit permettre d’intégrer dans l’Histoire et dans la mémoire collective de l’humanité l’histoire des victimes et de leurs blessures.

Cette reconnaissance publique autorisera chaque individu à reconstruire sa propre mémoire dans la justice, lui ouvrant la porte de l’apaisement. Elle est la condition première à la mise en place du travail de deuil.

Sur le plan individuel, le devoir de mémoire s’impose comme la seule pratique rendant possible pour chacun d’entreprendre une démarche de réflexion de dé-passion, et donc de dépassement de sa propre situation, indispensable à l’acceptation du "vivre ensemble"...

Le devoir de mémoire est affaire de justice et d’équité...

Cependant la construction de l’histoire des victimes demande une grande vigilance car elle est constamment battue en brèche par leurs bourreaux. Comme le souligne Paul Ricoeur, "les malfaiteurs accaparent l’identité, par abus de mémoire".

Enfin, comme le dit Primo Levy, le devoir de mémoire est "le devoir de ne pas fantasmer". Le recueil des témoignages, mais aussi la preuve de leur véracité, est essentiel pour construire une "mémoire juste".

Car si selon le mot célèbre "le passé parle au présent", prenons garde avec Alain Finkelkraut "de distinguer dans l’obsession des années noires, la fidélité du simulacre et la vigilance de l’instrumentalisation. Attention de répondre à la parole des morts sans s’approprier leur destin à des fins douteuses ou inexactes. Les mémoires même celles des victimes cautionnent parfois des manipulations sordides et ambiguës".

Attention que la mémorialisation ne l’emporte sur la mémoire.

Je conclurai sur ce mot de René Char repris par Finkelkraut : "Le mal vient toujours de plus loin qu’on ne croit et ne meurt pas forcément sur la barricade qu’on lui a choisie."


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9 réactions à cet article    


  • LE CHAT LE CHAT 8 août 2007 12:59

    n’oublies pas les matous martyrs , nom d’un chat de nom d’un chat ! http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=17680

    c’est bien de parler de mémoire , mais il ne faut pas abuser non plus de la repentance , surtout que de nombreux états n’ont pas ces scrupules ....


    • tal 8 août 2007 16:36

      @Trajectoire.

      « L’écriture de l’Histoire est souvent inscrite dans un rapport de force, et relate donc en priorité l’Histoire d’un groupe social dominant, laissant de côté celle de ses adversaires et s’empressant même de l’effacer pour remplir la mémoire collective de sa propre justification. »

      Attention !!! Attention où vous mettez les pieds ! Ce sujet de MEMOIRE est extrêmement chaud, disons même brulant, délicat a manier voir délicatissime...Même la langue de boa ne vous garanti pas de ne point succomber à l’étreinte du constrictor...Il y a tout un corpus juridique assorti du volet pénal, fait pour sanctioner des opinions teintées de « négationisme » de « révisionisme » ou,-le dernier en date- « faussaire de l’Histoire » smiley

      « esclaves asservis capturés dans des guerres incessantes et vendus aux confins de l’Afrique... »

      Curieuse façon de résumer une tragédie et de la vider du même coup de tout contenu émotionnelle et, surtout se défausser des responsabilités essentielles. smiley Vous devez assurément plaire à toute une catégorie de gens dont vous vous faites laudateur. smiley

      « Mais j’y vois aussi errer ces ombres plus solitaires [...], protestants exterminés à la Saint-Bathélémy [..]francs maçons et communistes sous Vichy,... »

      Etes-vous certain de n’avoir rien oublié dans cette énumération ?... smiley

      Mes conseils de prudence précédents , de toute évidence ne valent pas pour vous. smiley Vous êtes à n’en point douter, averti des usages de notre pays,ainsi que des précautions à prendre dès que l’on s’embarque dans ces « affaires » de mémoire. Car il s’agit bien d’un bizness, comme on l’entend avec humour outre-Atlantique...

      « Car si selon le mot célèbre »le passé parle au présent« , prenons garde avec Alain Finkelkraut »de distinguer dans l’obsession des années noires, la fidélité du simulacre et la vigilance de l’instrumentalisation."

      Il lui en a fallu du temps à ce personnage -réputé grand esprit- pour enfin reconnaitre une telle évidence...

      Les temps n’étaient sans doute pas propices.

      Ce qui est à l’évidence devenu insupportable, c’est que cette question de mémoire se fasse jour aussi au sein d’une petite communauté « Française » environ depuis l’An de Grace 1630 ! Il est vrai que l’esclavage ne vaut pas qu’une Nation comme la notre fasse repentance et, batte sa coulpe pour ce genre de « mémoire souffrante » d’une petite communauté marginale -et assistée-comme la communauté Antillaise*


      • alberto alberto 9 août 2007 09:57

        Je regrette de ne pas avoir lu plus tôt votre texte que je trouve très bien écrit.

        Il y aurait beaucoup à dire sur ce thème du devoir de mémoire !

        Vous semblez suggérer que la mémoire du passé façonne un avenir plus serein : je le pense aussi.

        Le problème est que la mémoire est souvent sélective, à géométrie variable, et que trop d’historiens ont cru que leur métier était de façonner l’Histoire...

        Bien à vous.


        • Blé 10 août 2007 09:35

          Le mot « devoir » accolé au mot « mémoire » me gêne.

          Où se trouve le « devoir » pour des gens qui ignorent leur propre histoire.Les catégories sociales dominées n’ont pas les mêmes soucis que les catégories sociales dominantes. On peut se demander s’il y a beaucoup d’histoires de familles sur cette petite planète qui n’ont pas été largement dominées par l’histoire avec un grand « H ».

          Les déplacements de populations, les migrations et immigrations à l’intérieur d’un même pays ou d’un même continent sont la marque de ces histoires.

          Je m’interroge sur le « dû » des nouvelles générations envers des décisions prises par les générations précédentes qu’elles ne connaissent pas.Je suis née ici mais mes ancêtres sont enterrés à des milliers de kms.

          De fait,j’ignore si mes ancêtres étaient esclavagistes ou en situation d’esclave, dois-je pour autant m’associer à ceux qui se repentent de ce scandale ?

          Ne serait-il pas plus utile pour les nouvelles générations de comprendre les mécanismes (dont l’économie) qui ont été mis en place et qui ont permis l’esclavagisme, les déportations, les exploitations des richesses des pays et des humains, etc...C’est à ce niveau que la transmission d’une culture « politique » serait absolument nécessaire à chaque génération.

          Or, les élites journalistiques (économies, histoire, sociologie et autres discilplines),parle aujourd’hui beaucoup plus de « repentence » que de domination du système économique qui reproduit pratiquement les mêmes maux du passé. Contraindre des gens à travailler pour une poignée de haricots n’est pas loin du statut de l’esclavagisme.

          A quand l’économie soumise au système démocratique ?

          Les générations futures étasuniennes devront-elles se repentir pour des décisions qui ont été prises par un imbécile dans les années 2000 ?


          • trajectoire trajectoire 10 août 2007 12:14

            Je voudrais tout d’abord vous opposer « devoir » à « repentence ». Repentence est du domaine du religieux et de l’individu ( si tant qu’il soit religieux ou croyant), pas de la sphère économique ou sociale, tandis que « devoir » implique « droit » et se rattache à ces dernières ; ne melangeons pas les torchons et les serviettes ! bien sûr nous ne sommes pas responsables des générations qui nous ont précédées ni de leurs actes, du moins au plan individuel. Mais le propos est de faire emerger dans la société une autre histoire que l’Officielle, et celle ci ne peut se dégager que par un travail d’historien ( he oui !) sur des témoignages et des écrits...Ne culpabilisons pas nous ne sommes pas à confesse !


          • tal 10 août 2007 16:59

            Dans l’industrie électronique de défense, j’ai travaillé un temps sur à la mise au point d’algorithmes de trajectographie entrant dans les logiciels des calculateurs embarquès...De ce point de vue votre « trajectoire » cher Trajectoire m’intrigue smiley


          • Blé 13 août 2007 09:06

            J’ai relu votre article que je trouve fort intéressant.

            Il m’interroge et en réalité, il me pose quelques problèmes. Je vais donc encore réfléchir car ce « devoir » de mémoire me trouble beaucoup.


            • Tony Pirard 14 août 2007 01:34

              Peuples sans mémoire,c’est peuple sans histoire.Ils sont un plat remplit par les gouvernement despotique.J’ai peine des jeunnes étasuniennes qui ont perdu la vie par le même imbécile que vous,dans une cause sans motif,seul levé par l’interêt de quelqu’uns finauds famélique d’argent et sang des autres... ! « God save America »mais,l’amérique d’eux.. !Ce n’est pas la même Amérique où nous vivons.. ! Où la Paix c’est le Bien major !! Amérique du sud bien-sûr !

              Tony do Brasil (Le garçon que sait des choses)


              • trajectoire trajectoire 14 août 2007 08:58

                tout d’abord au « jeune qui sait des choses » je repondrai par la célèbre phrase « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». L’histoire des peuples se construit, elle est multiforme et changeante, elle nécessite pour sa construction, témoignages et documents. Cette construction et déconstruction permanente est indispensable à la construction de chacun.

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