La reconnaissance du droit de vote des étrangers aux élections locales en question
Le droit de vote aux élections locales pour les étrangers non-communautaires est un débat vieux de trente ans qui a resurgit sur le devant de la scène politique. Promesse récurrente de la gauche, la mesure figurait dans les 110 propositions de François Mitterrand en 1981. Cette nouvelle proposition de François Hollande durant sa campagne a fait polémique. Force est de constater que le clivage entre la droite et la gauche sur cette mesure n’a jamais été aussi net et, dans le même temps, chaque partie politique n’a jamais autant usé de cette question sur fond de mesure électoraliste. Selon de récents sondages, les Français se déclarent majoritairement favorables à cette mesure. Alors pourquoi un tel blocage ? Si l’on y regarde d’un peu plus près, cette question pose avant tout la question de l’égalité de l’accès au droit de vote pour tous citoyens au sein de la communauté française. De manière générale, ce débat nécessite dès lors de prendre en compte une conception de la citoyenneté qui est complexe et plurielle et loin d’être limitative. La citoyenneté politique est-elle réservée aux seuls nationaux ? La question méritait que l’on approfondisse le débat. Cependant, l’idée de mener ce débat en pleine crise économique et sociale n’a pas été unanime au sein de la majorité PS au pouvoir. De fait, il est à déplorer que ce projet de loi, sur le vote des étrangers extracommunautaires aux élections locales, a été enterré, abandonné dans la réforme constitutionnelle proposée par le gouvernement en mars 2013.
Un engagement vieux de trente ans
Depuis plusieurs années, la classe politique française n’a pas été en phase avec les principes mêmes des valeurs de la République sur la question du droit de vote des citoyens étrangers de la communauté française. Mesure emblématique de la gauche, le droit de vote aux élections locales pour les étrangers non-communautaires est aussi la cible préférée des critiques de la droite autant que son va-tout en période électorale. En 1981, le droit de vote des étrangers constituait la 80e des 101 propositions du programme de François Mitterrand. Mais une fois élu, il ne met pas cette mesure en place lors de son premier septennat. En avril 1988, il fait machine arrière, lors de la campagne pour sa réélection. En 2000, l'Assemblée nationale vote une proposition de loi en ce sens. Mais Lionel Jospin renonce à la transférer au Sénat. Les politiques de gauche ont avancé, pour justifier leur défaillance, que pour donner le droit de vote aux élections municipales il fallait modifier la Constitution et qu'ils n'avaient pas la majorité au Sénat pour le faire. Mais en 2012 la configuration politique a changé et de grands espoirs ont été suscités pour la reconnaissance de ce droit.
Une mesure relancée par la politique de gauche
Une loi constitutionnelle a été adoptée au Sénat le 8 décembre 2011. La proposition de loi adoptée par le Sénat, à majorité de gauche, le 8 décembre 2011 stipule que :
"Le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales est accordé aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France. Ils ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs."
Soixante-dix sept députés socialistes ont lancé un appel à tenir "rapidement" la promesse de campagne de François Hollande d'accorder le droit de vote aux étrangers aux élections locales, dans une tribune publiée dans Le Monde. Ces députés plaidaient pour que le statut des étrangers "passe enfin de celui d'invisibles à celui d'acteurs de la vie locale". Le rassemblement de la gauche sur cette mesure est loin d’avoir trouvé un consensus général au sein de l’exécutif et du Président de la République.
La droite farouchement hostile à cette mesure
Même si l’idée progresse sur les bancs parlementaires, à gauche comme au centre, l’idée d'une incompatibilité fondamentale entre citoyenneté et nationalité française, défendue par la droite, continue de créer la polémique. En effet, pour l’UMP, droit de vote et citoyenneté sont indissociables dans la tradition républicaine. Cet argument n’a pas de sens car, dès lors, cela implique que nationalité et citoyenneté deviennent synonymes. Pourtant, en 1992, le traité de Maastricht institue une citoyenneté européenne et ceci tend à encourager un assouplissement du lien entre citoyenneté et nationalité et enlève son caractère exclusif. De fait, conformément au traité de Maastricht, la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 a accordé le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux citoyens de l’Union européenne (article 88-3 de la Constitution mis en œuvre par la loi organique n° 98-404 du 25 mai 1998). Le droit français a donc clairement dissocié droit politique et possession de la nationalité.
La citoyenneté est loin d’être une notion figée mais elle évolue bien suivant l’évolution des rapports sociétaux. D’autant plus que les étrangers bénéficient de droits civils et sociaux qui sont une partie intégrante de la citoyenneté. Celle-ci est donc loin d’être limitée à la seule question du droit de vote. Elle revêt une dimension participative de premier plan de tous les citoyens de la communauté française.
La droite avance également le risque d’un vote communautaire mais là encore l’argument ne tient pas. En effet, seule une justice sociale, notamment dans les quartiers populaires, peut constituer un rempart efficace contre le repli identitaire au sein de la société.
En octobre 2005, dans un entretien au Monde, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, dit vouloir "renforcer la chance de l'intégration pour les étrangers en situation légale, le droit de vote aux municipales en fait partie". Il annonce vouloir ouvrir un débat "serein et réfléchi" sur le sujet.
Le candidat Sarkozy, avant la présidentielle de 2007, s’était dit, à titre personnel, pour le droit de vote des étrangers aux élections locales « sur la base de la réciprocité ». Lors d’un entretien télévisé en avril 2008, il réitère, tout en admettant ne pas avoir « de majorité pour faire passer » cette mesure.
A l'UMP, si certains comme Nicolas Sarkozy ont pu être favorables à ce droit par le passé, ce n'est plus le cas aujourd'hui. On se souvient de Nicolas Sarkosy brandissant même l’épouvantail du communautarisme pour légitimer son opposition, lors du débat de la campagne présidentielle de 2012.
La gauche en rupture avec ses engagements
Dans la 50e proposition de son programme "60 engagements pour la France", le candidat socialiste s'engage en effet à accorder "le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans". La déception est grande une fois de plus. Ce droit n’a plus de chance d'entrer en vigueur aux prochaines élections municipales de 2014. On peut sérieusement penser que Mr Hollande a mis en avant une mesure électoraliste. On s’attendait que le Président de la république se positionne clairement sur sa volonté d'organiser un référendum ou de convoquer un Congrès afin de faire entrer le droit de vote des étrangers aux élections locales dans la Constitution française. Une fois de plus la gauche au pouvoir a capitulé avant même d’avoir mené ce débat d’idée. Elle a fait machine arrière. Elle n’a pas su assumer ses convictions et ses engagements en faveur de la justice civique, de la cohésion sociale et de la démocratie locale.
Pour une république réconciliée avec tous ses citoyens
Les élections locales sont un des temps forts de la démocratie française. Elles expriment les choix d'une population en matière de politique de proximité. L'acceptation de ce droit de vote a fortement progressé ces dernières années si bien que 61% des Français sont favorables au droit de vote des étrangers aux élections locales. Ces étrangers qui travaillent, payent des impôts, et respectent les lois de la république devraient pouvoir agir politiquement quand bien même les étrangers participant aux scrutins municipaux représenteraient seulement 6 % du corps électoral. Mais depuis trente ans, le débat revient régulièrement sur le devant de la scène politique en période électorale et cette question tombe dans l’impasse.
L’éclatement du peuple tient à la dissolution des valeurs qui fondent le vivre-ensemble et il est urgent de remédier à cette situation. L’enjeu est de taille. Il ne faut pas céder à la tentation des polémiques et controverses de l’application d’une telle mesure. Face aux crispations sur la question du droit de vote des étrangers aux élections locales, il faut sereinement réconcilier les citoyens. Il faut célébrer les valeurs de dignité, de fraternité, de justice et d’égalité. Réconcilier la France avec ses valeurs. Pluralisme, respect et reconnaissance doivent prévaloir pour éviter toute dérive de stigmatisation, de communautarisme et de clivage. La quête commune, à laquelle nous aspirons tous, reste "une société égalitaire".
Aussi, je pense que c'est un débat sur lequel il faut de la pédagogie et qu'il ne faut pas instrumentaliser. Je suis convaincu qu’il appartient au peuple souverain de décider de cette ouverture du vote. La question n’est pas tant de chercher à obtenir un consensus dans l’opinion publique sur la question de ce droit de vote des étrangers que d’expliquer la portée et sa contribution à une République réconciliée avec tous ses citoyens. On peut modifier l’opinion des individus vis-à-vis de cette question à l’aide de discours et politiques publiques élargissant d’une part la notion de citoyenneté et d’appartenance. En ce sens, on ne peut continuer à ignorer la place des étrangers dans la vie de nos communes en refusant de leur donner les mêmes droits et devoirs politiques. Il s'agit avant tout d'une question d'égalité d'accès au droit de vote pour tous. À cet égard, Je le vois comme un pas indispensable vers une réconciliation nationale. Et qu’y a-t-il de plus démocratique à vouloir inclure dans la vie politique une partie de ses acteurs. Plus que jamais, en associant pleinement les étrangers à la vie citoyenne locale, cette mesure représenterait un facteur d’intégration et de cohésion sociale considérable.
Quinze pays de l'UE ont depuis longtemps ouvert leur citoyenneté locale à tous les résidents étrangers en mettant en œuvre le droit de vote des étrangers et le plus souvent leur éligibilité locale. Ceci démontre que cette réforme peut fonctionner. Dans ces conditions, de manière légitime, le débat sur le droit de vote aux élections locales se pose et la représentation nationale doit prendre ses responsabilités comme l’ont fait ces autres pays européens. La cohésion sociale prend alors ton son sens. Je reste optimiste pour qu’en France ce droit de vote des étrangers aux élections locales puisse se concrétiser au cours du mandat présidentiel.
A l'heure où nous traversons une crise économique et sociale de grande ampleur, plus que jamais, il faut réaffirmer que notre idéal de société est fondé sur le vivre-ensemble.
Je suis convaincu que le droit de vote aux étrangers qui vivent, travaillent et payent leur impôts en France pourraient donner un nouveau souffle pour promouvoir ce vivre ensemble et le sentiment d'appartenance à la république. Une république fière de sa diversité et réconciliée avec ses valeurs.
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