Le meilleur des mondes est proche
Je viens de terminer la lecture de "Retour au meilleur des mondes" d’Aldous Huxley et beaucoup de passages m’ont vraiment marqués quant à leur similitude troublante par rapport à la situation actuelle. Je tiens tout d’abord à rappeler que ce livre a été édité en 1958.
Ce livre, contrairement au "Meilleur des mondes" n’est pas un roman mais une analyse des faits qui pourraient y mener. Je ne vais pas en faire un résumé, l’auteur le précisant lui même en préface qu’il était déjà suffisamment difficile pour lui d’être concis sur les sujets abordés. Par contre je vais revenir sur quelques passages les plus marquants, et je ne peux qu’encourager les lecteurs de cet article à aller au plus vite acheter ce livre.
Entre "Le meilleur des mondes" et "Le retour sur le meilleur des mondes", il y a eu le non moins fameux "1984" de George Orwell. L’auteur se doit donc de parfois placer les deux romans en parallèle. Son analyse est alors très juste en disant que sauf anéantissement nucléaire (à replacer dans le contexte de 1958), le monde futur risque plutôt de ressembler à celui du "Meilleur des mondes" qu’à "1984".
En effet il s’avère qu’au bout du compte un contrôle par manipulation non violente des pensées des individus, et donc accepté par la victime est toujours préférable à un contrôle par la répression et la terreur qui n’a qu’un effet provisoire et peut conduire à une rechute.
L’auteur cite tout d’abord la surpopulation comme facteur accélérant cette dérive totalitaire des états. En effet le meilleur des mondes se déroule 7 siècles après Ford, soit vers 2500/2600, or son constat, 27 ans plus tard, est que la situation a évolué beaucoup plus vite que prévue. En effet plus la population augmente, plus les gouvernements subissent de pression liée au manque de ressources disponibles et sont donc plus enclins à mettre en place un tel contrôle pour contenir l’insécurité économique et l’agitation sociale. La population sera en effet de 9 milliards en 2050 soit 7 milliards de plus qu’environ un siècle après l’écriture du "Meilleur des mondes".
Il pointe ensuite l’excès d’organisation induit par le progrès technique ainsi que par la concentration des pouvoirs économiques en de moins en moins de mains, donnant naissance ainsi à des empires économiques et ne laissant plus la place aux "petits", et par conséquence le contrôle de la population du fait de l’endettement nécessaire pour suivre le progrès technique. Il suffit alors à cette oligarchie économique ("Les grosses affaires" est le terme qu’il emploie dans le livre) d’utiliser les organes d’information dont elle dispose pour pousser la population à consommer. Les gens normaux aux vues du pouvoir sont alors les gens les plus adaptés, qui ne se débattent pas et acceptent tout sans réfléchir (A. Huxley les désigne par "anormalement normaux"). Ces êtres formatés, quand ils ne sont pas au travail, sont alors des irresponsables à la recherche de distractions. Cependant, l’homme n’étant pas une fourmi ou une abeille, l’excès d’organisation ne peut conduire qu’à une dérive totalitaire du pouvoir, dérive qui, il l’aura deviné sera beaucoup plus pernicieuse que les régimes totalitaires d’alors (Il parle d’"ingénieurs sociaux", on les nomme de nos jours "spin doctors"). Il finit sur ce point en faisant un comparatif avec le Moyen âge ou le seigneur était censé protéger ses sujets. Mais de quoi ?
Il en vient ensuite à la notion de propagande dans une société démocratique. Il commence par la nécessité de la précarité, en effet, le libéralisme fleurit dans une atmosphère de prospérité et décline quand cette dernière, en se dégradant, procède à des interventions de plus en plus fréquentes et draconiennes dans les affaires de ses sujets (sans commentaire par rapport à ce qui se passe actuellement). La propagande consiste alors à présenter des preuves tronquées ou falsifiées, à éviter les arguments logiques, à utiliser des slogans simples, à désigner des boucs émissaires nationaux ou étrangers (là encore c’est sans commentaire !). Il souligne le pouvoir des médias qui , si ils sont indispensables à la survie de la démocratie quand ils sont bien utilisés, peuvent également devenir l’arme la plus redoutable dans des mains mal intentionnées. Il met en avant la dérive que peut représenter la concentration des médias entre quelques mains, moins odieuse que la censure des anciens régimes totalitaires mais non moins perverse. De même les distractions seront utilisées à jets continus comme instrument de gouvernement pour empêcher la population de trop se préoccuper de la situation sociale et politique, ce qui pour A. Huxley est la voie royale pour ceux qui voudraient manipuler et dominer.
La propagande, depuis Hitler, maître en la matière, peut désormais bénéficier de moyens techniques autrement plus considérables qu’à l’époque, Le "Grand Frère" comme l’écrit A. Huxley en hommage à G. Orwell, peut être omniprésent à l’image de Dieu, or c’est tout à fait ce qui se passe actuellement. Il suffit d’hypnotiser une majorité afin de mettre les masses en mouvement dans le sens attendu. Seul épine dans le pied, les intellectuels que l’on ne peut pas plier à sa volonté car ceux-ci restent indifférents aux discours simplistes, aux slogans répétés en boucle, aux arguments illogiques. Là encore on peut faire un parallèle, quand nos gouvernants disent que les français feraient mieux de travailler que de réfléchir. Hitler avait une solution pour chaque problème, il n’admettait pas avoir tort et ne supportait pas la contradiction ("Qui n’est pas avec moi est contre moi"). Les adversaires devaient être réduits au silence, muselés, discrédités, et là encore on ne peut que constater que ce qui est actuellement mis en place converge vers cet objectif.
Pour convaincre le client (l’électeur en l’occurrence), les manipulateurs scrutent les peurs irrationnelles, les désirs obscurs, irraisonnés de la population, non pas pour améliorer la situation mais au contraire pour les exploiter au maximum au profit de leur client (l’homme politique). Une campagne pour la raison peut-elle l’emporter contre une, plus vigoureuse, utilisant des arguments de la déraison ? Au vu des dernières élections on peut en douter sincèrement. Le propagandiste d’aujourd’hui, grâce aux nouveaux médias, peut toucher les esprits dès le plus jeune âge notamment par la télévision, alors qu’auparavant, la lecture était un minimum obligatoire. Ces enfants, si l’on n’y fait pas attention, seront donc formatés dès le plus jeune âge sans aucun sens critique et prêts à avaler tout ce qu’on leur dira à l’âge adulte, et notamment quand ils seront en âge de voter. Il ne faut pas que la population réfléchisse à telle ou telle mesure politique, mais qu’elle réagisse favorablement à un slogan simple qui aura été implanté dans son esprit de façon précoce. Les candidats s’attacheront à faire passer leur message de la façon la plus sincère possible. A. Huxley utilise ensuite l’expression d’’interviews en profondeur" que sont évidemment les sondages d’aujourd’hui, utilisés tantôt pour cibler au mieux une catégorie d’électeurs, tantôt pour justifier une mesure quitte à ce que la question ait été posée de façon à avoir la réponse attendue. Pour lui, le candidat idéal devra être public, distrayant (sans commentaires), de façon à ne pas ennuyer un public fatigué par une longue journée de travail et habitué aux divertissements. Les arguments devront donc être les plus courts possibles et les plus simplistes, l’éloquence devra être une des qualités principale de l’homme politique.
A. Huxley aborde ensuite les thèmes du lavage de cerveau, de la persuasion chimique, de la persuasion subconsciente et de l’hypnopédie avec un certain nombre d’expériences. Je ne rentre pas en détails dans ces chapitres car il s’agit principalement de résultats d’expériences. Ce qui en ressort toutefois et qui peut intéresser au premier chef est tout d’abord que le phénomènes de persuasion subconsciente est accentué par la fatigue. Une population reposée, avec du temps libre est donc moins enclinte à être manipulée. On peut de nouveau faire un parallèle avec la situation actuelle, à savoir travailler plus pour être manipulé plus. De même les conclusions des diverses expériences montrent qu’une bonne partie de la population est naturellement réceptive à la manipulation, d’où les limites de la démocratie.
En terme de solutions, A. Huxley préconise l’éducation, seul rempart contre la manipulation, les arguments simples, les raisonnements illogiques, les slogans, ne pouvant être contrés que par une solide préparation à l’art d’analyser toutes ces techniques de manipulations et d’en détecter les failles. La persuasion insidieuse et l’abrutissement conduisent sinon les victimes à penser et à agir comme le souhaitent les manipulateurs. L’éducation est donc une clef majeure de la solution, et on comprend mieux l’épine qu’elle représente dans le pied du gouvernement (bien distinguer ici éducation et apprentissage).
Si la liberté physique est un droit (quoique les derniers enfermement arbitraires permettent d’en douter un peu), la liberté mentale ne peut pas être encadrée. Il n’est pas possible de prouver que l’esprit de quelqu’un a été emprisonné, d’autant plus quand la personne se croit parfaitement libre car non consciente de son état. Les lois, les constitutions resteront, mais ne seront plus qu’une façade pour un fond situé aux antipodes du libéralisme. Toutes les institutions continueront à fonctionner comme si de rien n’était pendant que l’oligarchie au pouvoir, appuyé par les "Grosses affaires", la police, l’armée, les "spin doctors" manipuleront l’opinion suivant leurs objectifs. A. Huxley anticipe également les pays en voie de développement (chine, inde, ...) qui se mettront à consommer et piller la planète comme leurs prédécesseurs l’ont fait. Il parle des mégapoles qui mènent à ce totalitarisme et préconise un retour à une vie plus simple, de plus petite échelle, en province, loin de l’organisation mécanique (on voit actuellement où peut mener le fait de vouloir vivre une telle vie et ce en quoi cela gène les gouvernants). Enfin la question finale qu’il se pose est si le peuple a effectivement envie de ce changement quitte à faire des efforts importants ou préfère vivre sous le contrôle totalitaire intégral vers lequel on s’orientera fatalement.
En conclusion, pour ajouter une touche un peu plus personnelle, car pour l’essentiel de l’article, je n’ai fait que paraphraser A. Huxley, je voudrai ajouter que l’on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. Ce livre a été écrit il y a plus de 50 ans, et c’est troublant de voir qu’une bonne partie de ce qui était prédit s’est réalisé ou est en bonne voie de se produire. La conclusion est toujours d’actualité, avons-nous la volonté de changer cet état de fait ou les "anormalement normaux" l’ont-ils emportés sur les "normalement anormaux" ?
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