Le son des castagnettes
Face à la présence de Ségolène Royal dans le panorama politique français, un son nouveau se fait entendre dans les chaumières. Comme un roulement de tambour discret, proche de l’ultrason, audible uniquement pour l’oreille sensible. On pourrait croire à des dents qui claquent, mais c’est plus bas dans l’anatomie que cela se situe : il s’agit du claquement des castagnettes dans les pantalons.

Oui, Ségolène Royal fait peur.
Que ceux-ci en aient conscience ou non, les hommes ont peur. Eux qui sont installés dans leur domination sociale depuis des millénaires craignent que la dame puisse venir bousculer leurs vies confortables, et ça s’entend.
Jusqu’à maintenant, les choses étaient faciles pour eux : reconnaître et distribuer au compte-gouttes quelques droits aux femmes, de temps en temps, histoire que la ménagère reste à ses fourneaux sans trop se plaindre (c’est vrai quoi, maintenant elles peuvent éduquer les gamins, faire les courses, le ménage, la bouffe,et travailler, tout ça dans la même journée, de quoi se plaindraient-elles ?).
Mais là, avec leur représentante à la plus haute fonction de l’Etat, c’est qu’elles seraient capables de réclamer une réelle et totale égalité !
Fini le beau rôle, fini les avantages salariaux, fini les réunions entre mecs dans les conseils d’administration, fini les soirées pantoufles devant les matchs à la télé, fini la pêche, les champignons ou le bistrot pendant que bobonne est à la maison... Vous allez voir que les injures, les humiliations et les coups seront même passibles de poursuites judiciaires ! Ca fait peur, hein ?
Cette peur est retentissante, du peuple jusqu’aux personnalités médiatiques, et elle est plus forte que tout. Plus forte que les tendances politiques, ainsi entend-on de la bouche de l’un des plus grands amis de feu François Mitterrand qu’elle « n’est pas outillée pour » la présidence ; ou de celle d’une personnalité du Parti socialiste qu’une campagne électorale « n’est pas un défilé de mode ». Plus forte aussi que la raison et l’intelligence, je vous passe les « cruches, gourdes » et autres récipients qui, par je ne sais quel mystère, ont l’air d’être assignés aux femmes. Je vous passe aussi les mots en « asse », en « ette » et en « onne » qui apportent sur les forums de discussion cette touche de raffinement propre au riche vocabulaire masculin.
A croire qu’il existe un système de vases communicants entre les parties génitales de l’homme et son cerveau et que l’exacerbation des premières vide le second de sa substance active (c’est sans doute l’origine de l’expression « tête de nœud »)...
« Je ne dis pas ça parce que c’est une femme, hein ! » Ben voyons. Mais pourquoi, alors, tout axer autour du sexe ?
Voyez les blagues qui circulent sur le Web, même quand elles ne se veulent d’aucun parti pris, c’est toujours sur le genre qu’on parodie madame Royal (on la représente en pin-up, en string, sur une affiche de Basic Instinct, etc.).
Quand elle compatit à la peine d’une personne handicapée, on l’appelle "l’infirmière" ; quand elle donne des leçons de bon sens, on l’appelle "la maîtresse" ; quand elle parle de projets humanistes, on l’appelle "la madone" ou "la sainte vierge" ; etc.
Outre le fait qu’on l’affuble de tout l’éventail de panoplies des fantasmes masculins, il reste en tout cas qu’on attaque sa condition de femme avant toute autre chose.
La première arme utilisée est celle qui est la plus accessible au commun des mortels, la plus dénuée de raisonnement, d’intelligence, c’est celle qui s’axe sur la différence primaire, en l’occurrence le sexisme.
Le premier réflexe n’est pas de critiquer l’esprit, l’idéologie, mais de critiquer la femme.
La femme, c’est bien connu, n’est pas capable d’assumer les hautes fonctions et les tâches à responsabilités.
Même si ce n’est pas dit textuellement, le doute plane encore.
Dans son émission « A vous de juger » sur France 2, Arlette Chabot a légèrement nuancé sa première question d’usage aux candidats à l’élection présidentielle. A monsieur Sarkozy elle a dit :
- D’abord je vais vous demander : c’est dur une campagne présidentielle ?
Et à madame Royal :
- J’ai d’abord envie de vous demander : est-ce que vous aviez bien mesuré la difficulté d’une campagne présidentielle ?
La subtilité est édifiante : elle demande humblement au premier son avis sur l’éventuelle difficulté d’une campagne, et elle met en doute la capacité de la seconde à en mesurer le poids...
« L’argument ne tient pas la route, me direz-vous, puisque madame Chabot est une femme ! » Mais si, vous répondrai-je. Ne croyez pas que des milliers d’années de patriarcat ne laissent pas de traces. Tout comme les hommes, beaucoup de femmes sont conditionnées, formatées, insidieusement programmées à réagir en conformité avec la tendance masculine en vigueur.
On la taxe donc couramment d’incompétence. Et concernant ceux que la peur n’a pas littéralement fait basculer vers un bord politique adverse, on se rassure comme on peut : « Vive Ségolène Royal ! C’est l’héritière spirituelle de François Mitterrand, elle lui doit tout. C’est lui qui l’a mise sur les rails, qui l’a portée, qui lui a insufflé le souffle vital ». On y croit, sinon ça reviendrait à admettre qu’elle ait pu parvenir là où elle est grâce à sa seule aptitude de femme, ce qui est inconcevable. Finalement, Ségolène Royal n’est que la réincarnation de François Mitterrand, son enveloppe charnelle, mais c’est lui qui se présente aux présidentielles de 2007, ouf, nous voilà rassurés !
Elle ferait mieux de rester à « sa place » pensent encore beaucoup d’hommes, tout comme le pensaient ceux de l’époque d’Olympe de Gouges, auteure de la « Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne », exécutée en 1793 pour avoir « oublié les vertus qui conviennent à son sexe ».
Comparaison déplacée ? Non non, certainement pas. La société est moins encline au machisme de façon générale, certes, beaucoup d’hommes soutiennent par exemple la candidature de Ségolène Royal, chose purement impensable au XVIIIe siècle. D’une façon générale, la situation a évolué. Mais d’une façon moins générale, la mentalité de beaucoup d’hommes n’a pas évolué d’un pouce. "La femme doit rester à sa place" : si la plupart des hommes ne le disent pas aussi ouvertement, beaucoup le pensent encore, et beaucoup expriment cette pensée de manière violente en mots ou, pire, en actes.
Oui, l’humiliation violente de la femme a encore lieu : on injurie, on frappe, on viole, on tue encore pour rappeler au sexe dit faible que l’homme n’a pas l’intention de partager sa confortable condition d’ayant-droits.
Mais que craignez-vous, au juste ?
Jamais les femmes ne vous ont réclamé d’inverser les rôles, de prendre le dessus, de passer du niveau de dominées à celui de dominantes ; il n’en a jamais été question. Il s’agira simplement de partager les rôles, d’égaliser les droits, voire d’arrêter de passer pour des crétins en se comportant comme des bêtes... Est-ce si terrible que ça ?
Quoi qu’il en soit, il va bien falloir vous y faire un jour, messieurs. Et même si ce n’est pas pour cette fois, vous y aurez droit, tôt ou tard. Vous aussi, vous évoluerez. Vous ne pourrez freiner encore longtemps le passage naturel de l’homo erectus à l’être humain doué de raison, et croyez-moi, vous aurez tout à y gagner.
Quant à vous, mesdames, ne les ménagez plus !
Sur le même sujet :
L’article d’Isabelle Alonso « Ségolène à Macholand... » :
http://www.isabelle-alonso.com/article.php3?id_article=196
Et celui d’Annick Kojean « La Rage des Chiennes de garde »
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