Les campus vont-ils donner le ton de la campagne pour 2007 ?
L’an dernier, le mouvement anti-CPE n’est venu ni des associations étudiantes ni des syndicats, mais de noyaux actifs d’étudiants pour la plupart ni encartés, ni affiliés à un courant idéologique. Cette originalité va-t-elle laisser une trace durable sur la vie associative et politique étudiante ? Soyons attentifs : les jours à venir donneront probablement le ton de cette saison universitaire et politique.
Retour sur un mouvement spontané
Comme pour le CNE introduit par voie d’ordonnance pendant l’été 2005, les syndicats et les associations étudiantes principales sont restés figés face à un CPE (introduit par voie d’amendement gouvernementale le 16 janvier et discuté en urgence le 31 janvier 2006 avant le recours au vote bloqué du 49 (3) de la Constitution). Ce sont donc de petits groupes d’étudiants motivés qui ont mobilisé pour un marathon politique, en plus des facultés de Lettres et les filières STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) toujours sur le qui-vive, les UFR qui d’ordinaire ne sont pas touchées par les politiques gouvernementales : essentiellement les facultés de Sciences, plus rarement rejointes par les facultés d’Economie, voire de Droit.
Si les facultés de Lettres ont habituellement des occupations d’amphis, des manifestations d’opposition, des assemblées générales, le blocage de certains cours, et sont observées de loin par les autres étudiants, cette agitation a cette fois directement impliqué une variété et un nombre bien supérieurs. C’est une nouveauté pour ceux qui furent bacheliers avant 2002, puisque les lycéens, malgré quelques galops d’essai sous le mandat législatif de la gauche plurielle, restaient encore presque tous hors du jeu politique. Depuis, c’est une génération qui fait la grève et bloque son lycée dès l’âge de quinze ans, presque aussi fréquemment que les facultés de Lettres, qui arrive en fac.
Des participants volontaristes, sincères et déçus du monde politique
Le « gros des troupes » du mouvement anti-CPE était formé d’étudiants ordinaires et représentant largement plus les 69% de Français qui ne font confiance ni à la droite ni à la dauche pour gouverner la France (enquête Cevipof et ministère de l’Intérieur). Et les syndicats n’ont pas meilleure presse. Une France sceptique qui, si elle ne sait pas exactement ce qu’elle veut, sait ce qu’elle ne veut pas. Une France qui sait aussi que dans un monde du travail de plus en plus rude et compétitif, elle vivait ses dernières opportunités de participer aux conflits sociaux sans en subir les conséquences de plein fouet. Une France qui est plus disposée à se réformer qu’on veut bien le dire, mais qui veut pouvoir s’impliquer dans cette réforme et librement y consentir plutôt que de se la voir imposée en douce. Une France qui s’est trouvée belle dans l’effort. Une France un peu clown triste, qui a senti son avenir comme du blé coupé en herbe par les générations antérieures. Une France qui s’est surprise elle-même de l’impact et du pouvoir de prescription qu’elle pouvait avoir en se prenant en charge toute seule, en créant un mouvement à son image : réaliste, actif, et aussi respectueux des principes démocratiques que possible.
Car loin des méthodes trotskisantes ou fascisantes des réunions politiques des syndicats étudiants, des sections de jeunes des partis, ou des AG du personnel enseignant (il faut le voir pour croire la teneur des règlements de compte personnels ou la violence idéologique des oppositions), les AG étudiantes n’ont fédéré que parce que dans les réunions mélangeant les UFR ou dans les filières modérées (soit essentiellement en Sciences et en Economie), le respect des règles démocratiques était une condition sine qua non pour faire passer un message efficace. Les actifs de la majorité silencieuse ont pour la première fois trouvé un lieu de rencontre et d’échange, et développé des rapports cordiaux entre eux, même entre pro et anti-CPE, ou pro et anti-blocage (pour parler de mon expérience personnelle). Ils ont été échaudés par l’extrémisme et la duplicité de certains activistes, quel que soit leur camp, et ont parfois tissé des liens de respect plus forts avec la « partie adverse » qu’au sein de leur propre « camp ».
Début avril, la substitution du plan de Nicolas Sarkozy au CPE, sans que le CNE ne soit retiré, sans que le statut des stages ne soit réformé, a été perçu comme une nouvelle réformette coûteuse qui n’a eu pour but que de jeter de la poudre aux yeux. La défection des syndicats (il faut dire que Bernard Thibaut devait se préoccuper de sa propre campagne au sein de la CGT), et de l’UNEF (dont le leader Bruno Julliard avait été érigé par les médias porte-parole du mouvement alors que la Coordination nationale a été superbement ignorée) a fini de jeter sur eux l’opprobre du mouvement, qui a tenu à se poursuivre inégalement quelque temps encore (jusqu’au week-end de Pâques, histoire d’être encore d’actualité pendant les réunions de famille). Les syndicats auront, paradoxalement, de plus en plus de difficultés à lancer des mouvements populaires et à feindre qu’ils en ont la direction.
Les AG en UFR Droit
En ce qui me concerne, j’ai fait partie du Bureau qui a organisé deux AG à la Faculté de Droit de Montpellier, inspirés que nous avons été par l’exemplarité de celles de la fac de Sciences. L’UFR de Toulouse, dont on nous avait dit qu’il s’était bloqué et avait été rouvert à la suite d’une charge de à coup de barres à mine et de gaz lacrymogènes, était un exemple de ce qui pouvait nous attendre. Nous savions donc que tout risquait de partir en vrille à tout moment et décidâmes d’être exemplaires (vote avec cochage de la carte d’étudiant notamment), de manière à avoir un bon débat ou de mettre en lumière les fauteurs de troubles. Sans trop entrer dans les détails (qui nous prendraient trop longtemps vu la liste des violences et intimidations dont nous avons été témoins), c’est le deuxième objectif qui fut atteint, puisque si la première AG a été conclue par un vote de la grève sous les alarmes incendie, la seconde AG (que j’ai présidée tant bien que mal) qui a réuni plus de deux fois le nombre des votants aux élections étudiantes de la veille (430 votants soit 9% de participants, contre le plus grand amphi de la fac de Droit de Montpellier plein comme un œuf) a fini en eau de boudin. Dans la nuit qui a suivi notre seconde AG, un énorme « les gauchistes hors des fac », avec le O en forme de croix celtique, a été tagué devant l’entrée du bâtiment 2 de la faculté, ce qui a fini d’informer les étudiants sur la faune de leur UFR.
De grandes attentes à satisfaire
En tout état de cause, les groupements se sont consolidés sur le modèle du « (pas si) seuls contre les imbéciles ». Les statuts de nouvelles associations ont été déposés. De grandes promesses ont été faites, des débats variés et contradictoires pour cette année politique qui s’annonce exceptionnelle, l’animation des campus, des soirées alternatives aux traditionnelles sorties en discothèque, et surtout plus de services aux étudiants que ceux de leurs actuels « représentants ». Bref maximiser les possibilités de réflexion, de rencontre et de vie des villes étudiantes, alors que la fac est bien trop impersonnelle et morte.
C’est un nouvel exemple de l’implication croissante d’un citoyen ni cynique, ni résigné, ni idéologique : neuf et clairement débarrassé d’une nostalgie 68arde. Les politiciens devront composer avec ses préoccupations qui sont vouées à se rependre et à s’intensifier, ou bien se lancer dans un Etat policier et / ou abrutissant ou mourir.
C’est la rentrée universitaire qui s’annonce qui nous dira si les promesses faites ont été tenues ou si, comme celles des amitiés d’aventure, elles n’ont su durer.
PS : Trois images qui m’ont beaucoup plu, récupérées sur http://www.syti.net (site à prendre avec du recul). La première, pour ne pas oublier les gens exceptionnels trop souvent couverts derrière les slogans (parfois repris un peu hâtivement de la LCR). La deuxième, pour marquer la circonspection des jeunes face à la violence, la fascination et la résignation ressenties. La troisième représente le regard porté par le pouvoir, entre mépris et méfiance.
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