Les droits de l’homme sont-ils universels ?
De nombreux dictateurs affirment que non pour masquer leurs exactions contre leurs propres populations, imposer leur pouvoir et profiter des richesses de leur pays. Mais à y regarder de prêt, existe-t-il vraiment des valeurs universelles et où s’arrête le droit à l’exception, au particularisme local ? Certaines valeurs occidentales sont des abominations pour les musulmans, les Africains, les Asiatiques et ce qui était la règle jadis dans un pays est devenu aujourd’hui illégal, moralement inacceptable et totalement rejeté par la majorité. En théorie, tout ce qui n’est pas préjudiciable à autrui et qui apporte un progrès à l’humanité devrait être considéré comme un droit. Or, quasiment tout ce qui satisfait les uns irrite profondément les autres. Et encore faudrait-il définir le progrès !
Quant à définir la liberté, la dignité, le respect, chacun possède sa propre interprétation et ses limites.
Pour éclairer le débat, prenons quelques exemples. En Europe occidentale, en Australie, aux Etats-Unis, l’homosexualité, qui était encore pénalisée pour ne pas dire criminalisée il n’y a pas si longtemps, est devenue un fait de société si ce n’est totalement accepté, tout du moins toléré. Il est loin d’en être de même dans la plupart des autres pays en particulier en Afrique et au Moyen-Orient. Par contre, la polygamie est culturellement encore très pratiquée dans ces pays qui fustigent et mettent au ban de la société les homosexuels. En Europe, la polygamie a d’abord été combattue et décriée pour des raisons d’ordre religieux, ensuite pour des motivations se rapportant à la dignité et aux droits des femmes.
Ceux qui réclament des droits pour les homosexuels en France et dans le monde, sont les mêmes qui critiquent Jacob Zuma, le président sud-africain avec ses 5 ou 6 épouses et ses vingt et quelques enfants. Ils considèrent du même œil réprobateur le roi du Swaziland et ses nombreuses épouses. Par contre, de très nombreux africains n’y voient pas grand mal, mais ne tolèrent absolument pas la moindre liberté pour les homosexuels. S‘il parait légitime aux occidentaux (du moins à un nombre de plus en plus important) que deux hommes vivent ensemble, se marient et adoptent des enfants, ils ne tolèreront jamais le polygame africain, qui à son avis considère de son côté qu’il a droit à une vie sexuelle et conjugale de son choix. Il ne s’agit pas toujours de xénophobie mais de principes dictés par la morale et les coutumes locales. Quand on parle de droit de l’homme, il est donc possible de parler de seuil de tolérance acceptable par le plus grand nombre au sein d’une société. Et de ce fait, l’universalité devient problématique. Car ceux qui s’insurgent contre les familles de Maliens vivant des allocations familiales ne seraient guère plus tendre avec un blanc non musulman affublé de trois ou quatre épouses. Avoir dix enfants pose aussi le problème de leur prise en charge par la société. On peut déjà se demander s’il est souhaitable d’en avoir autant pour un millionnaire, on est en droit de s’inquiéter si ces gamins sont destinés à crever de faim comme dans certains pays pauvres ou à être la charge d’un état providence dans les démocraties libérales.
Le même antagonisme se retrouve vis-à-vis des droits civiques, du multipartisme, de la peine de mort, de la libre circulation des biens et des personnes. Certains intellectuels africains font passer le droit à l’alimentation et à l’eau avant le droit à des élections libres et les Chinois, en restreignant les mouvements des populations à l’intérieur du pays, assurent qu’ils appliquent cette législation dans l’intérêt du pays et de son économie, le but étant d’éviter des mouvements incontrôlés de paysans pauvres qui seraient rapidement voués au sous-emploi, au chômage et à l’exploitation.
La perception du droit des autres est avant tout liée à l’éducation et à la culture du groupe majoritaire dans le pays. Mais au niveau d’une même culture, chacun a aussi ses particularismes et ses chevaux de bataille. Boire de l’alcool est-il un droit, en dehors des dégâts que l’on peut causer à autrui en buvant ? Regarder un film porno non pédophile en est-il un ? Et qu’en est-il de s’embrasser sur la voie publique, dire des obscénités ou des blasphèmes, se promener nu, siffler la Marseillaise ou un autre hymne national ? A-t-on le droit de se prostituer sans contrainte, d’être infidèle, de se suicider, de pratiquer l’euthanasie ou d’avoir un chien supposé de race dangereuse tant qu’il n’a mordu personne ? A l’inverse, prier bruyamment dans la rue, respecter les fêtes religieuses et les interdits alimentaires, prohiber les caricatures du Prophète ou d’un chef d’état, punir l’adultère peut-il être considéré comme normal dans une culture et subalterne ou nuisible dans une autre ?
Le droit à la vie, a priori incontestable, débouche rapidement sur l’interdiction de la contraception et de l’avortement souvent paradoxalement pour des partisans convaincus de l’efficacité de la peine de mort. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à l’indépendance, au séparatisme entraine des affrontements avec ceux qui ne sont pas d’accord de les leur accorder. Les chauds partisans de l’indépendance du Kosovo ont vu d’un très mauvais œil la revendication identique des Ossètes et des Abkhazes, ou auparavant de la création des Bantoustans en Afrique du Sud. Ceux qui hurlent à l’occupation de Gaza ou de la Cisjordanie, sont bien muets quand on évoque les réclamations de Kabyles. En dehors de certains originaires des lieux, la France regarde avec méfiance les velléités basques et corses d’indépendance. Pourquoi certains peuplent attirent plus de sympathie que d’autres. Pourquoi le Tibet émeut-il plus l’opinion occidentale que le sort des Haïtiens à Saint-Domingue ou que celui des Lapons ? Pour ces derniers, il est vrai que Finlandais et Suédois respectent plus leur culture et leurs droits de leurs minorités que le gouvernement chinois. Mais l’assimilation pacifique et même profitable économiquement à un peuple peut aussi être considérée comme une aliénation morale, voire comme un génocide culturel pour certains.
Reste enfin l’individu dans son propre pays. S’il appartient à une minorité, il considère comme un droit d’appliquer ses coutumes et ses croyances sans contraintes dans le pays d’accueil, au risque d’inquiéter, voire d’irriter la population autochtone. Ceux qui font parti de la majorité ethnique veulent rester maitres chez eux, mais ils ne se comportent pas de façon uniforme. Il n’est qu’à s’arrêter un moment sur les droits des fumeurs et ceux des non fumeurs, aux revendications des buveurs, pas tous alcooliques, irrités par les contrôles tatillons, sans oublier les dragueurs face à ceux qui crient au harcèlement sexuel. Ce qui plait à l’un, déplait, irrite ou exaspère obligatoirement un autre. C’est pourquoi il existe des lois, faites en théorie pour harmoniser la vie en communauté. Cela est relativement facile en ce qui concerne le meurtre, le viol, le vol, la pédophilie ou l’inceste, car tout le monde ou presque est d’accord. Mais pour des sujets moins consensuels, chacun possède sa liste de droits qu’il voudrait voir respectés et une autre liste d’interdits qu’il aimerait voir appliqués. Quant au droit à la propriété, il est souvent mis en avant par les spéculateurs, les grands groupes industriels au détriment des plus faibles.
Et puis, il existe des contraintes économiques. Le droit à l’éducation pour chaque enfant semble être une évidence, mais dans certains pays se pose la question : Faut-il donner à tous les élèves une éducation minimale, mal organisée, peu efficace ou vaut-il mieux sélectionner un certain pourcentage qui recevra une éducation moins sommaire et plus efficace, donc plus utile à la Nation, faute de moyens pour la donner tous ?
S’il est normal d’être scandalisé par les fortunes immenses de certains comparées à la misère la plus sordide de beaucoup d’autres, n’est-il pas plus pragmatique pour un pays de développer une classe moyenne éduquée, travaillant avec un bon rendement et devenant contribuable, quitte laisser sur le carreau un pourcentage le plus bas possible de crève-la faim.
Et on pourrait continuer infiniment. Le droit de grève et à l’emploi, l’interdiction des licenciements s’opposent à la productivité et peuvent déboucher sur des effectifs pléthoriques, au détriment de l’entreprise. Celui qui risque de perdre son emploi ne voit pas sous le même jour la législation du travail que le chef d’entreprise qui a peur de la faillite et du dépôt de bilan pour manque de productivité. Autrefois, on disait de façon triviale que chacun voyait midi à sa porte. Il en est de même pour les droits de l’homme. Aucune profession de foi, aucune déclaration écrite sur parchemin ou sur papier glacé n’y changera quoi que ce soit. Enfin, un droit ne se mendie pas, ne se fait pas octroyer, il se prend, et quelquefois par la force. Car qui dit droit dit aussi contraintes et l’intérêt public entre souvent en compétition avec les intérêts individuels. Ainsi s’opposeront toujours ceux pour qui les droits de l’homme sont immuables et gravés dans le marbre et ceux qui pensent qu’ils sont à géométrie variable et qu’ils peuvent évoluer dans le temps en fonction de la culture, de la religion, de l’économie et aussi selon le ressenti et le vécu de chaque individu.
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