Les « professionnels de la politique »
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH171/cumul-mandats-7fe45.jpg)
Cette expression qui associe deux mots a priori contraires est largement utilisée dans les commentaires de la presse écrite et audiovisuelle.
Dernière utilisation en date, il y a quelques jours sur France Inter à propos du désaccord entre les Verts et le Socialistes sur le nucléaire : Eva Joly a été recadrée par les « professionnels de la politique ».
Il est curieux de constater que le citoyen accepte que son quotidien et son avenir soit entre les mains, non pas d’élus censés les représenter et les défendre dans les instances démocratiques, mais dans celles de salariés de la république en Contrat à Durée Indéterminée avec une forme de contrat de travail très avantageux. Ils sont la face visible de ces professionnels de la politique dont on parle, la face cachée étant ceux qui peuplent les allées des partis politiques.
Le peuple souverain ne l’est donc pas tant que cela. Il faut dire que c’est un peu de sa faute au peuple souverain puisque c’est tout de même lui qui envoie par son vote les mêmes élus depuis bien longtemps et qui leur permet de cumuler allègrement des mandats.
C’est juste un article dans mon quotidien régional paru le 23 novembre qui m’a fait prendre conscience réellement de ce problème qui mine notre démocratie.
Les cumulards/professionnels de la politique
Deux élus de l’Ille-et-Vilaine répondent à mon sens à cette appellation de « professionnels de la politique ».
L’un (Pierre Méhaignerie) est entré en politique en 1973 comme député et l’est toujours. Dans les intervalles de son mandat de parlementaire, il a été Ministre (garde des sceaux, Equipement, Agriculture). Il est en outre Maire de sa commune depuis 1977 sans interruption, a été conseiller général (et Président pendant une longue période de cette collectivité) de 1976 à 2001, sans parler de la Présidence d’une communauté de communes depuis 2002 et pendant deux ans conseiller régional.
Le second, (un socialiste pour équilibrer) a un palmarès un peu moins fourni, mais présente lui aussi la caractéristique d’être élu (depuis 30 ans), sans discontinuer à l’assemblée nationale et d’y avoir des responsabilités dans le secteur de la défense nationale. Il a été conseiller général de 1976 à 1994 et conseiller municipal depuis 1977. Il s’agit de Jean Michel Boucheron, plus jeune que son collègue Méhaignerie, ce qui lui laisse sans doute l’espoir de pouvoir durer encore dans la carrière politique. C’est sans doute le sens de son combat local actuel puisqu’il est en concurrence avec un autre socialiste pour l’investiture dans une circonscription nouvellement créée.
Au-delà de ce constat, peu glorieux pour la démocratie, pour la parité hommes femmes et le renouvellement du personnel politique, force est de constater que ces élus, « professionnels de la politique », dont on se demande comment ils peuvent assumer tous leurs mandats, sont totalement coupés de la société qu’ils sont censés représenter dans sa globalité.
Ils vous diront, ou pas…
Ils vous diront que le mandat local leur permet d’être en prise avec la population et leur permet bien entendu d’être plus performants au Parlement en oubliant de vous parler de l’absentéisme chronique qui mine les assemblées.
Ils ne vous diront pas par contre que leur « carrière » dans des mandats locaux et nationaux les obligent à composer avec les lobbies de toutes sortes qui œuvrent dans les couloirs des différentes assemblées en leur faisant savoir qu’en ne votant pas les dispositions souhaitées ou en n’ayant pas localement une politique hardie d’investissements (par exemple en matière de routes et de ronds points), ce serait très mauvais pour l’emploi (sous entendu que les élus porteraient la responsabilité de licenciements ou de délocalisation d’activités).
Ils ne vous diront pas non plus que leur survol de dossiers, lié au papillonnage d’une assemblée à l’autre, est compensé par des assistants, personnels de cabinet et experts de toutes sortes liés aux partis et payés aussi par la collectivité publique qui sauront leur dire en quel sens voter sur des dossiers qu’ils n’auront pas eu le temps d’étudier. On voit là une autre limite à la démocratie représentative qui est la notre.
La réserve parlementaire
Voilà donc décrites quelques recettes pour durer. Il y en a d’autres, comme cette fameuse réserve parlementaire, autrement dit une somme de 150 Millions d’euros répartie entre Députés et Sénateurs et qui leur permet de donner des « coups de pouce » à des projets locaux ou à des associations selon des critères obscurs dont la finalité ne doit pas toujours être loin du « coup de pouce » en retour lors des élections suivantes.
S’agissant du Département d’Ille et Vilaine on saluera la transparence affichée par tous les parlementaires sur le montant de la réserve attribuée et son utilisation (dans les grandes lignes), tous sauf un (Pierre Méhaignerie) qui a refusé de communiquer sur le sujet. On peut le comprendre lorsqu’on remarque que les parlementaires de droite disposent d’enveloppes trois à quatre fois plus importantes que leurs collègues de gauche et que sa position de Président d’une commission parlementaire lui permet sans doute d’émarger à un montant bien supérieur et ainsi s’attirer les bonnes grâces des relais locaux pour les prochaines élections.
Saluons l’honnêteté de J. M. Boucheron qui parle de « système électoraliste peu transparent » et qui n’utilise plus la réserve qui lui est attribuée.
La déconnexion du réel
Enfin, ils n’avoueront pas que, n’ayant plus aucune vie professionnelle, ils ne sont sans doute pas les mieux à même d’appréhender ce qui se passe au quotidien dans les entreprises, les usines et les administrations, que leur statut de « professionnels de la politique »et les avantages qui vont avec les font vivre sur une autre planète, et que leurs votes sont parfois déconnectés de la réalité.
Un exemple : pour financer la remise en cause du 4ème jour de carence dans le privé (200 millions), il n’est pas venu à l’idée de M. Méhaignerie de proposer la suppression de la fameuse réserve parlementaire. Cela aurait pourtant eu un certain panache !
Réformer le système
Pour mettre fin à ce genre de « mandat à vie », il faut bien entendu modifier les règles, en interdisant le cumul de mandats aux parlementaires et en interdisant plus de deux mandats successifs au Parlement. Cela permettrait aux intéressés de renouer épisodiquement avec une vie professionnelle et de rentrer dans le droit commun des rémunérations et des pensions de retraites, de goûter aux joies des journées de carence en cas de maladie, d’être exposés aux aléas de la vie des entreprises avec les plans sociaux qui vont avec, bref, de tester au réel les lois votées et de revenir dans la communauté des citoyens « normaux ».
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