Les six fleurs de La Marseillaise
La Marseillaise a été vivement critiquée, par la gauche notamment, à une époque où la notion de "sang impur" était devenue intolérable. L’autre jour, elle a été copieusement sifflée par de nombreux supporters de foot. Mais notre Marseillaise est-elle si détestable que cela ? L’obsession du refrain et des deux mots litigieux ne nous a-t-elle pas fait oublier la richesse et la force de ses couplets ? Il n’y avait que six couplets à l’origine. Voici les six fleurs de La Marseillaise. A vous de juger !
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L283xH427/Marseillaise-7d74f.jpg)
Rouget de l’Isle n’a composé que six couplets. Le septième couplet a été ajouté par un anonyme (selon le site officiel de l’Elysée où on peut aussi l’écouter). Chacun des six couplets d’origine exprime une valeur chère aux Français.
La version dite « officielle » est le texte qui suit (en gras l’idée essentielle qui semble ressortir de chaque couplet).
1er couplet : la lutte contre la tyrannie :
Allons enfants de la patrie,
Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de la tyrannie,
L’étendard sanglant est levé, (bis)
Entendez-vous dans les campagnes
Mugir ces féroces soldats ?
Ils viennent jusque dans vos bras
Égorger vos fils, vos compagnes !
Dès le premier couplet, on comprend qu’il s’agit plus de se défendre du tyran (étranger) que d’envahir le voisin. Au nom de la patrie dont le sens est ici révolutionnaire, il faut savoir donner sa vie. Au XVIIe siècle, la patrie est encore définie comme le pays de naissance. Mais au XVIIIe siècle, les encyclopédistes, les Lumières, la définissent comme la terre des hommes libres. L’Encyclopédie, en 1765, écrit que « ceux qui vivent sous le despotisme oriental n’ont point de patrie, et n’en connaissent même pas le mot, qui est la véritable expression du bonheur ». L’amour de la Révolution et de la République fait peser sur chaque citoyen un devoir de défendre sa patrie, cette terre d’hommes libres à préserver de toute tyrannie.
Couplet 2 : la défense de la liberté contre les réactionnaires :
Que veut cette horde d’esclaves,
De traîtres, de rois conjurés ?
Pour qui ces ignobles entraves,
Ces fers dès longtemps préparés ? (bis)
Français, pour nous, ah ! quel outrage
Quels transports il doit exciter !
C’est nous qu’on ose méditer
De rendre à l’antique esclavage !
Le peuple libéré de l’esclavage de la monarchie absolue ne veut pas être forcé de revenir à l’Ancien Régime, à l"antique esclavage". Les "fers" et les "ignobles entraves" appuient bien l’idée qu’un retour à l’oppression passée est absolument exclu.
Couplet 3 : la guerre aux despotes, ces ennemis de la patrie :
Quoi ! des cohortes étrangères
Feraient la loi dans nos foyers !
Quoi ! ces phalanges mercenaires
Terrasseraient nos fiers guerriers ! (bis)
Grand Dieu ! par des mains enchaînées
Nos fronts sous le joug se ploieraient
De vils despotes deviendraient
Les maîtres de nos destinées !
La Bruyère écrivit en 1688 : "Il n’y a point de patrie dans le despotisme" (Les Caractères, chap. X). Le mot patrie s’applique ici à la terre des hommes libres qui s’oppose à celle des despotes.
Couplet 4 : tout citoyen doit s’armer pour défendre la patrie :
Tremblez, tyrans et vous perfides
L’opprobre de tous les partis,
Tremblez ! vos projets parricides
Vont enfin recevoir leurs prix ! (bis)
Tout est soldat pour vous combattre,
S’ils tombent, nos jeunes héros,
La terre en produit de nouveaux,
Contre vous tout prêts à se battre !
On retrouve cette idée de nécessité d’armer chaque citoyen dans le refrain : "Aux armes, citoyens..."
Couplet 5 : la fraternité universelle entre les hommes :
Français, en guerriers magnanimes,
Portez ou retenez vos coups !
Épargnez ces tristes victimes,
À regret s’armant contre nous. (bis)
Mais ces despotes sanguinaires,
Mais ces complices de Bouillé,
Tous ces tigres qui, sans pitié,
Déchirent le sein de leur mère !
Si le thème de la fraternité entre les peuples est mis en avant, ce n’est pas sans rappeler que les despotes mettent les peuples en esclavage et doivent être combattus.
Couplet 6 : une ode à la liberté :
Amour sacré de la patrie,
Conduis, soutiens nos bras vengeurs
Liberté, liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs ! (bis)
Sous nos drapeaux que la victoire
Accoure à tes mâles accents,
Que tes ennemis expirants
Voient ton triomphe et notre gloire !
Cette conclusion en forme d’apothéose sur le thème de la liberté, liberté chérie, est aussi une exaltation ultime pour donner du cœur au guerrier de l’armée du Rhin, puisque le chant s’appelait à l’origine "chant pour l’armée du Rhin". Une exaltation guerrière, mais pas sanguinaire contrairement au dernier couplet qui est apocryphe et qui est l’œuvre d’un anonyme.
Ce septième couplet, dit "couplet des enfants," serait peut-être l’œuvre d’un curé qui l’aurait écrit en 1792. Peut-être pour accéder au chiffre sept, qui est un chiffre sacré ? En tout cas, ce dernier couplet contraste fortement avec tous les précédents (si l’on excepte toujours le refrain). Il est très macabre et vante l’esprit de vengeance ; il fait de la guerre un état permanent sans fin et souhaitable au nom du "sublime orgueil" dont on se passerait bien à l’avenir. Il porte en germe l’esprit de revanche et justifie par avance les revendications territoriales au prix du sang et sans limite. Ce couplet sinistre semble annoncer la grande boucherie de 14-18 !
Couplet 7 : le couplet macabre :
Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus,
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus (bis)
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre.
On voit que si l’on s’en tient aux six couplets initiaux de La Marseillaise, ce texte n’est pas sanguinaire comme on le croit trop souvent. Ce n’est que la fixation que l’on fait sur le "sang impur" du refrain qui peut mener à contestation ainsi que le dernier couplet.
Une voix s’est élevée sur l’ordre des couplets : Christine Boutin, présidente du Forum des républicains sociaux, avait proposé de changer l’ordre des couplets de La Marseillaise en cas d’élection à la fonction présidentielle en 2007, estimant que "des jeunes dans les stades de football, dans les banlieues, pouvaient ressentir ces paroles comme une agression". Peut-on dire que sa prophétie s’est réalisée ? C’est peu probable. L’ordre des couplets est une subtilité qui échappe à l’esprit du supporter de football. Toujours est-il que l’on pourrait aisément concevoir de supprimer ce septième couplet, rajouté par on ne sait qui, car on ne peut pas dire qu’il soit porteur d’espoir et d’amour universel. Difficile de retoucher le refrain, en revanche, car ce serait modifier l’œuvre de son auteur et l’esprit de l’ensemble.
Le chant, ramené aux six couplets d’origine, se conclurait ainsi sur un appel à la fraternité universelle et sur un avertissement aux ennemis de la liberté. Il amènerait aussi le citoyen d’aujourd’hui à se rappeler les valeurs positives qu’il contient et interrogerait sa conscience sur le devoir qu’il se fait de les défendre.
Arrêtons-nous là, à ce sixième couplet, et ne tenons pas compte du dernier couplet trop porteur de haines et de ravages sans fin !
Ainsi serait respectée la paternité de l’auteur, Rouget de l’Isle, ainsi jailliraient plus lumineusement du texte les six fleurs de La Marseillaise.
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