Lettre à Mesdames et Messieurs les Députés et les Sénateurs
Citoyens vigilants, nous prenons garde à ne pas laisser détourner notre attention de la réforme des retraites. Et nous sommes attentifs à l’appel à manifester pour défendre les valeurs de notre République le 4 septembre.
Cependant, malgré l’importance d’une mobilisation citoyenne sur ces problèmes, une question se pose : et si ces arbres cachaient une forêt, encore plus vaste et dissimulée à la vue ?
C’est après avoir pris connaissance du calendrier législatif extrêmement chargé de la session extraordinaire qui va se dérouler au Parlement au mois de septembre ( consultable facilement en ligne sur le site de l’Assemblée Nationale en cherchant le décret l’annonçant le 28 juillet) qu’il m’a semblé souhaitable de rédiger ce texte à destination des représentants du peuple.
Vous n’ignorez pas les turbulences que traverse actuellement notre pays.
De quelque bord politique que vous soyez, vous êtes peut-être, comme nous ( ce "nous" englobe les citoyens qui partagent les réflexions à la base de la rédaction de ce texte ), touché, voire révolté, qu’une affaire politico-judiciaire qui pourrait se révéler être une affaire d’État ne bénéficie pas, pour le moment, du traitement judiciaire indépendant qui semblerait naturel et qu’elle aurait reçu dans un certain nombre d’autres pays.
Comme nous, vous avez entendu les annonces en haut lieu de cet été, désignant comme bouc-émissaire une catégorie de la population parmi les plus fragiles, et prévoyant d’introduire dans la loi une inégalité de traitement entre français d’origine étrangère et français “de souche”. Vous savez que des actes ont suivi les paroles. Et que la loi doit suivre ; du moins, si vous la votez.
Vous avez peut-être fait partie des acteurs de notre vie publique qui ont alors fait connaître leur refus de cette évolution, voire leur révolte, comme de nombreux représentants institutionnels nationaux et internationaux l’ont fait avec vous, prenant la parole pour tenter d’empêcher, entre autre, que ne viennent des temps où les citoyens seraient en conflit les uns avec les autres.
Le peuple, dans sa grande majorité, est profondément attaché aux valeurs fondatrices de notre République : Liberté, Égalité, et Fraternité. Toutes valeurs atteintes par des stigmatisations ou des expulsions collectives. Le Président de la République et le Gouvernement sont élus par les citoyens pour les représenter et agir en conformité avec la Constitution. Et donc défendre les valeurs républicaines de notre pays.
En plein milieu de l’été, le jour où ces déclarations ont envahi l’espace public, une session extraordinaire du Parlement a été décrétée par le Président de la République, sur proposition du Premier Ministre. Lors de cette session qui débute le 7 septembre, jour prévu de la manifestation contre les retraites, 24 projets et propositions de loi vont être examinés, probablement augmentés des amendements annoncés cet été, et ce, malgré les contestations qui se sont exprimées.
La loi sur les retraites, fortement médiatisée, fait partie du paquet législatif de cette session. 70 heures de discussion vont lui être consacrées. Ce qui est bien le moins, étant donné le caractère important et controversé de ce projet, qui doit vraisemblablement faire descendre nos concitoyens dans la rue.
Oui, mais… 24 projets de loi… et trois semaines d’examen. En fait ce sera plutôt deux semaines de débats, puisque la semaine du 20 septembre sera consacrée aux journées parlementaires des groupes. Sur ces deux semaines, la discussion sur les retraites prendra plus d’une semaine. Et pour le reste, combien de temps d’examen ?
Le reste, c’est quoi ?
La réforme des collectivités territoriales, très contestée et qui est passée de justesse au Sénat le 8 juillet.
La loi sur la régulation bancaire et financière.
La loi sur la dissimulation du visage dans les lieux publics.
La loi sur l’absentéisme scolaire
La loi pour éviter la double imposition entre la France et la Suisse (avec une diminution de l’imposition)
La loi sur la nouvelle organisation du marché de l’électricité
Mais aussi la loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité, qui a rencontré l’opposition de nombreux représentants d’associations, et en particulier celle de la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) qui a rendu son avis le 5 juillet 2010 (1).
Au Sénat sera aussi examinée la loi LOPPSI 2 ( loi sur la sécurité intérieure ) adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale le 16 février et qui est une loi fourre-tout, comportant des articles sur le développement de la vidéo-surveillance, le développement des drones, le contrôle accru d’internet, la modification de statut et de fonction de la police municipale dont les directeurs deviendront agents de police judiciaire dans certaines circonstances (2) etc. Cette loi LOPPSI 2 (48 articles) inclut aussi des dispositions relatives au développement de la réserve civile de la police, ainsi qu’au développement du service volontaire citoyen de la police, fonctions qui vont s’ouvrir à des non policiers, non militaires. Si il est bien précisé que cette resèrve, si elle n’a pas pour but le maintien de l’ordre, semble constituer cependant un pas en avant vers l’instauration de milices privées, comme le précise le communiqué commun du Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France du 8 février (3). C’est l’article 37 quater de cette loi, qui, à lui seul, justifierait, nous semble-t-il, une discussion approfondie.
Il serait fastidieux de détailler plus avant ces projets de loi. Et c’est bien ce qui risque de se passer dans les Assemblées : pas de temps pour discuter chaque article ou chaque amendement, et proposition d’un vote global.
Est-ce cela, la démocratie ? Des lois controversées et déterminantes pour l’avenir votées à la va-vite sur demande du Gouvernement et du Président de la République ? Et ce, au moment où les citoyens ont prévu d’aller dans la rue exprimer leur refus ? C’est légal, certes, mais est-ce fidèle à l’esprit démocratique de notre République ?
Est-ce que le Parlement est devenu la chambre d’enregistrement de l’Elysée ? Est-ce que le législatif se dissout devant l’exécutif ?
Vous, Députés et Sénateurs, allez-vous être dupes de manœuvres mettant en avant des amendements contestables, qui vont demander discussions et mobilisations, tandis que pourraient être votés, sans détailler et rapidement, des projets de loi entiers qui sont eux aussi contestés ?
Ou allez-vous protéger l’avenir en vous opposant collectivement à cette avancée à marche forcée ? Il n’y a pas urgence à légiférer, et le pouvoir législatif est entre vos mains.
Vous avez été élus pour représenter le peuple : or celui-ci, à part manifester dans la rue, ou sur blog et forums, n’a pas le pouvoir, en dehors des périodes électorales, de freiner une politique dont un grand nombre pense qu’elle prend une distance croissante vis à vis des droits de l’homme et des valeurs de notre pays. Et pour lequel nombreux sont ceux qui estiment qu’elle doit tenir compte des réticences qui se font jour de façon grandissante.
Vous, vous le pouvez : par la motion de censure, par des votes systématiquement négatifs, ou des refus de votes globaux des textes, vous avez les moyens, en excluant l’absence ou l’abstention, de vous opposer collectivement à ce qui pourrait être considéré comme une sorte de putsch législatif.
Vous pouvez, si vous le souhaitez, exprimer votre opposition au fait de ne pas avoir le temps nécessaire à l’examen approfondi de lois importantes. Une opposition qui ne serait efficace que si elle était collective, rapprochant sur ce projet, au-delà des partis, les élus démocrates qui veulent agir pour la France.
C’est votre responsabilité de légiférer au nom du peuple, c’est votre honneur. C’est le sens de votre mandat.
Nous vous faisons confiance pour l’exercer de façon éclairée.
D’avance, merci.
(1) : avis du CNDH du 5 juillet et paru le 13, consultable sur le site CNDH.fr
(2) : article de H Jouanneau “Ce que la Loppsi prévoit pour les collectivités locales” sur le site lagazettedescommunes.com
(3) : communiqué du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature, publié le 8 février 2010 et mis à jour le 28 février 2010 “LOPPSI II : le pire est (encore) de retour”, consultable sur le site syndicat-magistrature.org
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