Lettre ouverte aux parlementaires socialistes en général et à J-P Mallé en particulier
A un de mes amis qui vous avait interpellé sur la question du référendum d’initiative citoyenne, vous avez donné la réponse que voici :
« Une nouvelle fois, je vous prie d'excuser le retard avec lequel je vous réponds au sujet du référendum d'initiative citoyenne.
Au fond, et il me semble que je vous l'avais laissé entendre lors de notre entretien, je suis très sceptique vis-à-vis de la pratique du référendum qu'elle qu'en soit sa modalité.
Je pense qu'il faut y recourir de façon exceptionnelle, dans des cas très limités.
Les régimes les moins recommandables ont souvent utilisé le référendum dans un sens plébiscitaire.
Les populistes et démagogues de tout poil adorent le référendum : question simple, réponse simple. Or, la démocratie doit gérer la complexité, la nuance bref, l'inverse du slogan. J'entends dire que le référendum d'initiative citoyenne sera différent : je suis, pour le moment, sceptique.
N'étant pas de sa famille politique, je vous recommande tout particulièrement de regarder la vidéo du meeting de Nicolas Sarkozy, hier, à Lambersart : il y prône une utilisation tous azimuts du référendum : cela ne m'étonne pas.
Avec mon amicale et respectueuse considération.
Jean-Philippe Mallé. »
Monsieur Mallé,
Ce qui frappe à la lecture de votre courriel, c’est la confusion que vous faites entre démocratie et démagogie, entre référendum d’initiative citoyenne et plébiscite.
Il est vrai que l’on utilise le même mot pour qualifier les deux procédures (« référendum ») mais un élu de la république se doit de porter un jugement nuancé, comme vous le soulignez d’ailleurs, (« la démocratie doit gérer la complexité, la nuance ») mais sans l’appliquer !
« Je suis très sceptique vis-à-vis de la pratique du référendum qu'elle qu'en soit sa modalité (…) J'entends dire que le référendum d'initiative citoyenne sera différent : je suis, pour le moment, sceptique. » dites-vous, mais sans étayer votre « scepticisme » par le moindre argument !
La différence fondamentale entre le référendum d’initiative citoyenne et le référendum à l’initiative du président (ou même du parlement : voir la révision de l’article 11 qui entrera en vigueur au 1er janvier 2015) c’est que dans le premier cas, non seulement les citoyens répondent mais il ont aussi le CHOIX DE LA QUESTION, tandis que dans le deuxième, ils sont simplement sommés de répondre à la question posée par le POUVOIR, non pas dans le but, bien sûr, de connaître la volonté du peuple souverain, mais uniquement d’obtenir un « oui » lui permettant de SE RE-LEGITIMER ! Voilà pourquoi les régimes les « moins recommandables » (tel que… le nôtre !) y ont recours, voilà la différence entre démocratie et démagogie !
Vous accusez Nicolas Sarkozy de populisme car il prône une « utilisation tous azimuts du référendum ». Vous avez bien raison. Vous auriez pu rappeler que pendant son premier quinquennat, il n’en a organisé aucun. L’idée ne lui est venue qu’à la fin de la campagne de 2012 pour s’attirer les voix du FN en mettant l’immigration ou les droits des chômeurs sur le devant de la scène. Vous auriez même pu souligner qu’il s’est assis sur le résultat du référendum de 2005 en faisant voter le Traité de Lisbonne par le Parlement.
Mais s’il suffit de s’inspirer de Nicolas Sarkozy pour être populiste et démagogue, force est de constater qu’il y en a aussi au P.S. : les socialistes ne se sont pas opposés au Traité de Lisbonne en 2008, ils ont voté le TSCG négocié entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel en 2012, ils pratiquent une politique « de l’offre » depuis l’élection de François Hollande et ont encore accentué les « réformes » néolibérales avec le gouvernement Valls, provoquant d’ailleurs des tensions avec des députés « frondeurs » inquiets pour leur réélection, car ils savent que les Français ont bien conscience du caractère mensonger des slogans de campagne tels que « le changement c’est maintenant » ou « mon adversaire, c’est la finance ». (Remarquons au passage l’importance des slogans dans un système fondé uniquement sur l’ELECTION, tandis que vous semblez en faire l’apanage de la seule démocratie référendaire…)
Peut-être vouliez-vous dire qu’une politique de droite telle qu’elle fut menée par l’ancien président et reprise par l’actuel est bonne, et que seule la mise en avant du référendum présente un caractère populiste et démagogue.
Mais là encore, votre famille politique n’est pas épargnée : votre collègue Pouria Amirshahi a récemment déclaré :
"Je crois que le juge de paix, ce sont les gens, tout simplement. C'est pourquoi je défends les référendums locaux. Le référendum décisionnel local est d'ailleurs prévu par la Constitution depuis la réforme du 28 mars 2003." "À l'échelle locale, le recours à la démocratie directe pour de nombreux projets se pose avec force : à Sivens comme ailleurs, il faut un référendum. Demandons aux citoyens de ce bassin de vie s'ils veulent ou non du barrage. Avec un débat éclairé, il n'y a aucune raison que la démocratie (...) n'en sorte pas renforcée". (http://www.lepoint.fr/politique/barrage-de-sivens-bientot-un-referendum-local-02-11-2014-1878064_20.php)
Jacques Valax, un des rares députés PS qui ait répondu au courriel que j’avais envoyé à tous les élus socialistes en 2012, a écrit :
« Je partage tout à fait l’analyse qui est la vôtre concernant le Référendum d’Initiative Populaire. Je me permets de vous rappeler que lors des différentes mandatures, j’ai été associé à toutes les initiatives prises en la matière sur ce sujet et je suis intervenu à différentes reprises. Je suis tout à fait prêt à m’impliquer dans une proposition de loi visant à instaurer un véritable droit de Référendum d’Initiative véritablement Populaire dans notre pays. »
Votre autre collègue, Barbara Romagnan, que j’ai rencontrée fin avril de cette année, s’est dite prête à cosigner la proposition de loi de l’association Article 3. (www.article3.fr)
Le président Hollande lui-même a suggéré que la question du barrage de Sivens pourrait être tranchée par référendum lors de son dernier passage sur TF1. Il est allé plus loin en évoquant l’instauration d’un « service civique universel », non rémunéré, d’abord sur la base du volontariat mais qui pourrait être imposé ensuite par un référendum national.
(http://www.humanite.fr/face-une-chomeuse-hollande-fait-naufrage-557002)
La preuve est ainsi faite que des crypto-sarko-lepénistes, d’affreux démago-populistes ont infiltré votre parti, l’un d’eux occupe même le sommet de l’Etat… En effet, le président ne propose pas que le référendum soit d’initiative citoyenne et qu’il concerne des questions portées par les citoyens en fonctions de LEURS préoccupations ; il veut se réserver le droit de choisir les questions, conformément à vos souhaits semble-t-il, puisque vous écrivez : « Je pense qu'il faut recourir [au référendum] de façon exceptionnelle, dans des cas très limités ».
A moins de considérer, comme M. Amirshahi, que du fait des "débats éclairés" qu'elle induit, « la démocratie sortirait renforcée » de la pratique du référendum. A condition toutefois qu’il soit d’initiative citoyenne, comme je l’ai déjà souligné, ce qui garantirait aussi le respect de son résultat, contrairement au référendum de 2005 ou de celui – limité à l’Alsace – d’avril 2013 (les électeurs du Haut-Rhin ayant rejeté à plus de 55 % des suffrages exprimés la fusion des deux départements, les élus locaux – UMP – tentent de profiter des projets de réforme territoriale pour faire revenir par la fenêtre la collectivité territoriale d’Alsace que les électeurs ont sortie par la porte ! Voir : http://referendum.alsace.over-blog.com/)
En définitive il n’y a dans ce pays qu’un seul clivage politique majeur, et il transcende les partis, c’est celui qui sépare les démocrates, tenants de la souveraineté du peuple affirmée dans l’article 3 de notre Constitution, de cette classe politique qui estime savoir mieux que le peuple ce qui est bon pour le peuple, et qui est en réalité au service de cette oligarchie des « 1 % » qui suscite l’indignation partout dans le monde.
Votre courriel donne nettement l’impression que vous avez choisi la mauvaise place, mais je me trompe peut-être. Détrompez-moi en déposant la proposition de loi qui donnera au peuple souverain l’outil indispensable pour exercer sa souveraineté, en complétant en ces termes l’article constitutionnel correspondant (modifications en majuscules) :
« La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce à travers ses représentants et par la voie du référendum D’INITIATIVE CITOYENNE, EN TOUTES MATIERES Y COMPRIS CONSTITUTIONNELLE ET DE RATIFICATION DES TRAITES ; CET ARTICLE NE PEUT ÊTRE MODIFIE QUE PAR LA VOIE REFERENDAIRE. »
Cordialement,
C.D.
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