Libertés sur Internet : bilan du quinquennat et questions aux candidats
2002-2207 : Durant ces cinq années, le gouvernement et la majorité parlementaire ont imposé de nombreuses règles sur le net, en particulier par les lois économie numérique (LCEN), informatique et libertés (LIL), contre le terrorisme (LCT), droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI), et prévention de la délinquance (LPD). Une commission nationale de déontologie (CND) du net devrait de plus être créée par décret, et le ministère de la culture souhaite imposer des « labels presse » aux sites d’information.
Ces lois touchent directement les droits et libertés des internautes : Liberté d’expression, liberté d’information (liberté d’informer, liberté de s’informer), droit au respect de la vie privée, droit d’accès au juge, droit d’accéder librement à la culture.
Ce bilan présente les différentes atteintes à ces droits et libertés, et a une double vocation : Servir de base synthétique à un débat citoyen sur des enjeux majeurs pour la Société de l’information, et permettre aux candidats qui le souhaitent de répondre point par point aux problèmes soulevés (points A-K), par des propositions que de nombreux internautes attendent....
1 LCEN
1.1 La tentative de mise sous tutelle CSA
Le projet de loi LCEN ou (LEN) de Nicole Fontaine prévoyait initialement de définir la communication sur internet (la « communication publique en ligne ») comme un sous-ensemble de la communication audiovisuelle, avec comme conséquence de placer l’ensemble du net français sous tutelle du CSA et de le soumettre à son pouvoir de régulation... (voir par exemple : LEN/CSA : extraits choisis ). Cette mesure rejetée par la quasi-totalité des acteurs, a finalement été écartée par le parlement, qui a finalement défini une « communication au public par voie électronique » comme un linteau s’appuyant sur deux piliers : la « communication audiovisuelle » (radio et télévision quel que soit le support de diffusion), et la « communication au public en ligne » (partie publique de l’internet). (voir l’amendement n°2 rectifié Sido-Herisson)
1.2 La liberté d’expression
Or cet amendement ayant permis l’éjection de la tutelle du CSA était un « package » créant un nouveau problème puisqu’il affirmait : "« Art. 1er - La communication au public par voie électronique est libre. « L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d’une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d’autre part, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle."
-A- Il est clairement inacceptable que la liberté d’expression des internautes soit par principe soumise aux intérêts économiques de l’industrie audiovisuelle.
1.3 L’accès au juge et la privatisation de la justice
Un point central du conflit généré par le projet de loi de Nicole Fontaine a été la « responsabilité des hébergeurs ». Pour faire bref, les hébergeurs voyaient leur responsabilité engagée s’ils ne retiraient pas un contenu « illicite ». Tout le problème étant la détermination de ce caractère illicite : En général, dans une démocratie, il revient au juge d’en décider. Là, non : il est demandé aux hébergeurs de juger eux-mêmes de ce caractère et, en fonction de cette décision, le cas échéant, de censurer. Certains ont pu prétendre que cela permettait d’aller vite et de ne pas encombrer les tribunaux : en bon français cela s’appelle créer une justice privée expéditive. Nicole Fontaine avait répondu à cet argument en affirmant qu’il était toujours possible d’accéder au juge. En pratique : Après... (on vous censure d’abord, pour le jugement indépendant et impartial, ce sera plus tard...)
Plus en détail, l’hébergeur confronté à un contenu problématique, ou présenté comme tel, va devoir gérer de façon rationnelle son risque juridique. C’est ce que nous avons dénoncé comme la « censure au faciès économico-médiatique » dans une lettre envoyée à la commission mixte paritaire en avril 2004 : « En engageant la responsabilité des “hébergeurs”, on les oblige à minimiser rationnellement le risque judiciaire. Les seuls critères objectifs à peu près fiables dont ils disposent pour déterminer s’ils doivent censurer un contenu litigieux à la demande d’un tiers sont : le poids économique et la notoriété médiatique relatives du client ayant publié le contenu, et du tiers. Ils donneront alors rationnellement raison à celui des deux qui sera économiquement ou médiatiquement le plus puissant : Ce sera donc la censure au faciès économico-médiatique. »
Ce mécanisme est illustré par l’exemple récent de la censure par typepad d’un logo sncf détourné sur le blog Train-train quotidien .
-B- Quelle qu’ait pu être la décision du conseil constitutionnel, il est nécessaire de réaffirmer que seul le juge, par son jugement indépendant et impartial, peut donner la connaissance du caractère illicite d’un contenu. L’affaire CDCA/Wanadoo/consul de Turquie a démontré que même dans des cas « extrêmes », ce qui peut apparaître comme « manifestement illicite » -en l’occurrence il s’agissait de « génocide »- ne l’est en fin de compte pas du tout. Par ailleurs, s’agissant d’obtenir un retrait rapide de contenus, il existe déjà en droit français des procédures adaptées et efficaces.
1.4 Le droit de lire et de s’informer, le filtrage aux frontières
Autre problème fondamental posé par la LCEN : Le filtrage aux frontières par les fournisseurs d’accès (FAI), à l’époque appelé la « Ligne Maginot numérique ». L’idée du gouvernement était la suivante : si un contenu problématique était hébergé en France, la Loi permettait d’imposer à l’hébergeur de censurer ce contenu. Mais si ce contenu était hébergé à l’étranger, il devenait nécessaire d’imposer aux FAI de filtrer les frontières pour empêcher l’accès à ce contenu aux internautes français... Effectivement, les lois françaises ne sont pas les mêmes que les lois américaines, par exemple : En France, certains propos sont illicites alors qu’aux Etats-unis, le 1er amendement de la constitution affirme une liberté d’expression quasi-totale.
Cela étant, en autorisant le juge à imposer aux FAI de filtrer des contenus, le gouvernement et la majorité parlementaire ont fait preuve d’une confusion liberticide et obscurantiste : Le droit de lire n’est pas le droit de dire. Que la liberté d’expression puisse être limitée en France est une chose, mais interdire aux français de lire, de s’informer de ce qui existe - et est publié légalement à l’étranger- n’est pas acceptable dans une démocratie.
Après une dure bataille, la LCEN affirme maintenant « L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. », l’expression « ou, à défaut, à cesser d’en permettre l’accès. » ayant été supprimée. Mais : une lecture attentive des débats met en évidence la rouerie de Patrick Devedjian (ayant succédé à Nicole Fontaine) après cette suppression alors considérée comme une victoire par les internautes..., le 6 mai 2004 à l’assemblée :« Il n’est pas inutile de revenir sur l’étendue des pouvoirs qui sont conférés au juge dans la lutte contre le dommage causé par les contenus illicites. Dans le cadre des procédures de référé, celui-ci peut prendre toutes décisions qu’il estime nécessaires pour faire cesser le dommage, y compris pour faire cesser l’accès aux contenus illicites. Je le précise au nom du Gouvernement, puisque mes propos ont ici une valeur interprétative. »
-C- Le respect du cadre légal de la liberté d’expression en France est complètement garanti par la possibilité accordée au juge d’imposer à un hébergeur français de censurer un contenu. Nul n’est besoin de s’adresser aux FAI et de leur imposer de filtrer les frontières du net français, sauf à vouloir restreindre le droit de lire, obscurantisme inacceptable. Pour cette raison, le passage « ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 » doit être supprimé.
1.5 L’auto-censure, le « chilling effect »
Une forme plus pernicieuse de censure a été introduite par la LCEN : l’auto-censure, y compris lorsqu’elle est générée par le flou (volontaire ?) de la loi. Dans ce dernier cas, on parle de « chilling effect ».
Un amendement, adopté, « l’amendement devedjian » (en tous cas, tel fut rapidement son surnom) prévoyait de transposer la prescription des délits de presse à internet d’une façon assez originale : là où la presse traditionnelle voyait ce délai courir à partir de la date de publication d’un contenu, sur internet il aurait dû courir à partir de la date de suppression d’un contenu. Autant dire ad vitam aeternam. Nul doute qu’un journaliste aurait réfléchi à deux fois avant de publier un article sur le net dans ces conditions... Fort heureusement, cela fut censuré par le conseil constitutionnel.
Autre source d’auto-censure : La notion introduite par le texte de « directeur de la publication », toutes « personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne » devant en nommer un... Cela pose problème par exemple pour les sites proposant des forums de discussion :« Si cette notion se comprend pour la presse en ligne ou des sites ayant une activité éditoriale analogue, elle est en revanche totalement irréaliste dans de nombreux cas, dont les forums de discussion accessibles au public sur des sites web, ou encore les groupes de discussion. Dans ces derniers cas, il est inacceptable d’imposer la désignation d’un bouc émissaire qui deviendrait “l’auteur principal”, et ce d’autant plus que la notion sous-tendue de responsabilité en cascade permettant à une personne lésée de pouvoir se retourner au moins contre un responsable dans le cas où l’on ne parviendrait pas à identifier un auteur ne peut plus tenir aujourd’hui » Mieux vaut donc bien peser les risques avant d’oser proposer un forum de discussion sur son site...
Dernier point : le chilling effect provoqué par l’imprécision des définitions des acteurs. Exemple : un fournisseur de services de forums est-il un « hébergeur », avec l’engagement de responsabilité que cela impose ? Le législateur ne le sait pas lui-même, qui répondait à cette question : « C’est le juge qui vous le dira »... Nous avons dénoncé ce risque à Patrick Devedjian lors d’un entretien peu de temps avant la décision du conseil constitutionnel, lui expliquant qu’il était difficile pour un acteur de respecter tel ou tel article de la loi s’il ne savait pas s’il était concerné par cet article. Patrick Devedjian avait alors reconnu que la loi était imparfaite, et qu’il allait falloir revenir dessus : on attend encore.
2 LIL
La privatisation de la police du net
En France, la loi informatique et libertés (loi de 78) protège les données à caractères personnel, la commission nationale informatique et libertés (CNIL) étant chargée de protéger les libertés des citoyens face aux dérives possibles de l’utilisation de l’informatique. Ainsi, la CNIL avait refusé en 2001 à la SACEM la mise en oeuvre de traitements automatisés destinés à traquer les internautes : ce type de traitements relève des missions de police judiciaire.
L’amendement Delattre à la LIL a levé cette restriction, autorisant des sociétés privées à effectuer des recherches proactives d’infraction. En accordant à des entités privées l’autorisation de procéder au fichage d’infractions, alors que ce type de fichage ne pouvait être mis en œuvre que par :” 1° Les juridictions, les autorités publiques et les personnes morales gérant un service public, agissant dans le cadre de leurs attributions légales ; 2° Les auxiliaires de justice, pour les stricts besoins de l’exercice des missions qui leur sont confiées par la loi.” la LIL, validée par le conseil constitutionnel le 29 juillet 2004, a tout simplement autorisé la création de milices du net.
-D- La privatisation des opérations de police sur internet n’est pas acceptable : Cette dérogation accordée par la LIL à des sociétés privées doit être supprimée.
3 LSQ/LPSI/LCT : Les « Logs de connexion »
Le projet de loi de Nicolas Sarkozy contre le terrorisme (LCT) est le point culminant en France des mesures prises après les attentats du 11 septembre 2001. Le 6 Octobre 2001, le gouvernement français avait déposé des amendements au projet de loi pour la sécurité quotidienne (LSQ), destinés à insérer dans cette loi des « dispositions renforçant la lutte contre le terrorisme ». L’article impose alors ce qu’on appelle les logs de connexion : il s’agit d’enregistrer les agissements des internautes : sur quels sites vont-ils, quels services utilisent-ils, de quel endroit, et à quel moment...cette véritable mise sur écoute préventive numérique de l’ensemble des français doit cependant voir ses conditions précisées par un décret, et l’article 22 de la LSQ prévoit que ces mesures exceptionnelles sont temporaires (jusqu’à fin 2003). Le décret ne voit pas le jour.
Le 23 Octobre 2002, Nicolas Sarkozy dépose le projet de loi pour la sécurité intérieure (LPSI) au Sénat. L’urgence est déclarée. Son texte comporte un article 17 devant prolonger pour deux années supplémentaires la durée de vie de l’article 29 de la LSQ.
19 Novembre 2002 le Sénat confirme cette prolongation pour deux ans de l’article 29 de la LSQ. Le 26 décembre 2002 le rapport Estrosi est publié : La Commission a adopté son amendement pérennisant les dispositions des articles 29, 30 et 31 de la LSQ. Le 21 Janvier 2003, l’assemblée Nationale, après avis favorable de Nicolas Sarkozy, adopte l’amendement Estrosi, rendant définitive la mesure « anti-terroriste » , initialement exceptionnelle et temporaire, menant à l’enregistrement de tous les faits et gestes de tous les français sur internet : cette mesure est donc à partir de ce moment totalement séparée de l’existence ou non d’une menace terroriste, qui apparaît dès lors comme un prétexte. La LPSI est promulguée le 18 mars 2003.
Le 10 Octobre 2005, la CNIL étudie le projet de loi LCT présenté par Nicolas Sarkozy, et émet un avis particulièrement sévère sur le texte qui prévoit ni plus ni moins que de donner accès aux logs de connexion des français aux services de Police (DST, DGSE, Renseignements Généraux, ...) en dehors de tout contrôle de l’autorité judiciaire pourtant constitutionnellement garante des libertés des français. Le texte prévoit que les demandes d’accès aux logs de connexion des internautes seront centralisées par l’Unité de Coordination de la Lutte Anti-terroriste (UCLAT), et autorisées par une personnalité qualifiée placée auprès du ministre de l’intérieur et nommée par lui.
Nicolas Sarkozy affiche clairement ses intentions : être à l’écoute de tout, et si possible savoir tout... n’hésitant pas à qualifier de « polémique stérile » les réactions d’inquiétude légitime provoquées par un projet de loi menaçant à l’évidence le droit au respect de la vie privée. Il dépose le projet de loi LCT à l’Assemblée Nationale le 26 Octobre 2005 sans tenir compte de l’avis de la CNIL. L’obligation d’enregistrement des données de connexion est étendue aux cybercafés. La Ligue Odebi dénonce le projet de loi le 1er novembre et annonce la publication d’un document de synthèse le 29 novembre : « les logs pour les nuls » afin d’informer les internautes des dangers du texte.
Le rapport Marsaud est publié le 22 Novembre 2005 : L’étude de l’article 5 du projet de loi y confirme clairement la volonté d’exclure l’autorité judiciaire :« Cet article vise à instituer, à côté de l’obligation de transmission des données techniques de connexion par les opérateurs de communications électroniques et les hébergeurs de site Internet dans le cadre d’une procédure pénale, une procédure semblable de réquisition administrative au profit des services chargés de la lutte contre le terrorisme. [...]. Les nécessités de la lutte contre le terrorisme justifient donc la mise en œuvre d’une procédure de réquisition administrative, même si celle-ci aura d’incontestables incidences sur la vie privée de nos concitoyens. » Le texte est validé par le conseil constitutionnel le 19 janvier 2005.
-E- Au total la LCT place tous les internautes français sous surveillance, les considérant de ce fait comme des suspects, écarte totalement et volontairement le rôle du juge gardien des libertés, et instaure un véritable état numérique policier : Ces mesures inacceptables doivent être abrogées. Ne devraient pouvoir être mis sur écoute numérique -a posteriori donc- que des personnes raisonnablement suspectes, sur décision d’un juge, dans le cas de l’existence réelle d’une menace terroriste, la mise sur écoute a priori de toute une population n’étant, elle, pas tolérable dans une démocratie.
4 DADVSI
Le projet de loi DADVSI résulte de la transposition d’une directive europénne (EUCD), elle-même résultant d’accords internationaux impulsés par l’administration Clinton afin d’imposer indirectement le digital millenium copyright act (DMCA) aux Etats-unis : Cet historique est décrit en détail dans le « dadvsi pour les nuls », document de synthèse publié par Odebi le 15 décembre 2005. Le projet de loi déposé le 12 novembre 2003 par Jean-Jacques Aillagon sera porté par Renaud Donnedieu de Vabres, l’examen du texte n’ayant réellement commencé qu’en mai 2005.
La légalisation des DRM et la pénalisation de leur contournement
Le coeur du projet de loi DADVSI a pour objectif de pénaliser le contournement des DRM, dispositifs de contrôle d’usage des oeuvres limitant ou interdisant la lecture sur certains lecteurs, ou la copie privée. En France, la copie privée est autorisée, et une redevance est payée sur les supports vierges depuis la loi Lang de 85.
Premier problème posé par les DRM : ils peuvent tout simplement empêcher la lecture d’une oeuvre sur le lecteur de son choix (ce qu’on appelle l’interopérabilité), ce qui n’est pas acceptable. Il est donc nécessaire de contourner ces dispositifs pour pouvoir simplement lire une oeuvre.
Second problème : la copie privée est autorisée en France, ce qui n’est pas compatible avec des dispositifs anti-copie. Il n’est pas possible de faire payer une redevance copie privée sur les supports vierges et dans le même temps d’interdire la copie privée, ou d’autoriser les industriels à imposer ces dispositifs. Autres problèmes : ces dispositifs peuvent porter atteinte à la vie privée, ou à la sécurité informatique des internautes (voir l’exemple du rootkit Sony).
Le DADVSI est donc un texte criminogène. Pour preuve, ce passage du rapport Vanneste : « La Commission a rejeté un amendement de M. Christian Paul visant à exclure du délit de contrefaçon les actes de contournement des mesures de protection des œuvres par celui qui les a licitement acquises, de façon à bénéficier des usages normaux de cette œuvre permis par la loi ou le contrat. »
-F- La légalisation des DRM et la pénalisation de leur contournement a tout simplement accordé à quelques multinationales le droit de déterminer unilatéralement en pratique les règles d’accès à la culture : cela n’est pas acceptable. Puisque la France ne réussira très probablement pas à empêcher les multinationales du contenu de mettre en oeuvre ces DRM, il est indispensable que la conception, la diffusion, la détention et l’utilisation de tout dispositif permettant de les contourner à des fins de simple lecture sur le lecteur de son choix (interopérabilité), copie privée, sécurité informatique, ou protection de la vie privée soient totalement libres et légales.
La prohibition de logiciels Le DADVSI est par ailleurs allé bien au-delà de la simple transposition d’une directive européenne, puisque sous la pression d’Universal, et avec l’aide de Nicolas Sarkozy, la majorité parlementaire est allée jusqu’à prohiber des logiciels, au prétexte que des logiciels pourraient avoir une « destination » comme la contrefaçon, alors que c’est seul l’usage de tel ou tel logiciel qui a du sens.
-G- Interdire un logiciel n’est ni sensé ni acceptable dans une démocratie : Pourquoi dans ce cas ne pas interdire aussi des protocoles ou des langages, au prétexte qu’ils auraient une « destination » ? Ces dispositions doivent être abrogées.
L’impact sur le logiciel libre
Durant les débats, certains ont pu être surpris d’entendre le lobby des éditeurs dominants de logiciels propriétaires prendre la défense des industries culturelles. Derrière cet altruisme apparent se cache le fait que la pénalisation du contournement des DRM rend illégale la lecture de CD ou DVD DRMisés avec un logiciel libre, ce qui ne peut qu’aller dans le sens de leurs intérêts économiques. En effet, lire légalement ces CD ou DVD imposerait l’achat de leurs logiciels propriétaires, au premier rang desquels, leur système d’exploitation.
Convergence et DRM : Les deux problèmes de la redevance pour copie privée
Dès le début de l’examen du projet de loi, l’incompatibilité entre la redevance pour copie privée et les dispositifs anti-copie a été dénoncée : Comment en effet demander aux français de payer une taxe sur des supports vierges (dont, d’ailleurs, l’assiette ne fait que s’élargir, puisqu’il s’agirait bientôt de taxer les disques durs externes) au titre de la copie privée, et permettre en pratique aux industries du contenu d’imposer des dispositifs empêchant ou limitant la copie privée. La redevance pour copie privée permet de rémunérer des artistes et des créateurs : Interdire la copie privée ne pouvait que mener à terme à la disparition de cette rémunération.
Le gouvernement aurait dû penser à ce problème dès le début : autoriser les DRM impliquait soit de léser le public en lui faisant payer un droit disparu, soit de léser les artistes en faisant disparaître cette rémunération. Le gouvernement et l’Union européenne semblent découvrir ce problème : Le 5 décembre 2006, Dominique de Villepin écrivait au Président de la Commission européenne, pour lui demander de reporter le projet de recommandation de la Commission européenne tendant à faire disparaître le système de rémunération pour copie privée, insistant sur la nécessité de prendre le temps de débattre ce problème. Or, le Premier ministre avait justement refusé de lever l’urgence sur le projet de loi DADVSI... Pour l’heure, l’examen de cette recommandation a été repoussé , au détriment du public donc puisque les dispositifs anti-copie eux sont légalisés.
L’autre problème de la redevance sur les supports vierges tient à la convergence : à l’époque des supports magnétiques, il était à peu près évident qu’une cassette audio servait à enregistrer de la musique, et une cassette vidéo à enregistrer de la vidéo. Mais l’apparition du numérique a changé la donne : Les supports numériques vierges servent à stocker toutes sortes de données, n’ayant bien souvent rien à voir avec les industries culturelles. Or la commission chargée d’établir ces redevances (la commission Brun-Buisson, puis d’Albis) a étendu, et continue d’étendre comme si de rien n’était ces taxes à toutes sortes de supports numériques.
Durant les débats, la Ligue Odebi a promu l’amendement 176 du député Dutoit, qui avait pour but d’exonérer les acteurs de santé français, comme les hôpitaux, de cette taxe. Nul ne peut prétendre qu’il soit légitime de taxer des supports qui servent indéniablement au stockage de données purement médicales. La majorité parlementaire a rejeté cet amendement...
-H- Les hôpitaux français devront donc continuer à subventionner les industries culturelles : cela n’est pas acceptable, et décrédibilise les acteurs qui en tirent les bénéfices. Par ailleurs un choix doit rapidement être fait entre redevance sur les supports vierges (et donc rémunération des artistes), et dispositifs anti-copie : Le public ne saurait plus longtemps faire les frais de l’incohérence de textes inniques. Un système adaptatif prenant en compte au cas par cas la présence ou non de DRM sur chaque oeuvre diffusée sur un support donné afin de déterminer si oui ou non elle entre dans le mécanisme redevance/rémunération n’est pas raisonnablement envisageable : La complexité de ce système rendrait sa gestion tellement coûteuse que la plus grande partie des sommes perçues partirait en frais de gestion, déjà particulièrement élevés. Le problème de fond est le périmètre de la copie privée : ce périmètre a en pratique explosé avec l’apparition du net. En effet, s’il est évident que le download est du domaine de la copie privée, l’upload est lui considéré comme une mise à disposition illégale. Or initialement, la copie privée autorise nécessairement dans un périmètre restreint une forme de mise à disposition. Le p2p a simplement en pratique considérablement étendu ce périmètre... Mais, d’un autre côté : la convergence a permis à la commission Brun-Buisson/d’Albis d’étendre considérablement l’assiette de la redevance puisque presque tous les supports numériques sont aujourd’hui taxés (pour un total perçu de un milliard de francs) alors que leur usage n’est bien souvent aucunement lié à des contenus culturels. Il y a donc là un équilibre de fait qui permet de considérer légitimement l’upload comme entrant dans le domaine de la copie privée.
5 LPD/CND/Label presse : Le triptyque de contrôle de l’information
Ce quinquennat s’achève avec la (tentative de) mise en place d’outils tendant à un certain contrôle de l’information sur internet : Le projet de création d’une commission nationale de déontologie (CND), et le projet -promu par Renaud Donnedieu de Vabres -de labellisation des sites d’information, ainsi que la prohibition de la diffusion de vidéos d’agressions.
5.1 Projet de décret devant créer une commission nationale de « déontologie »
Le 7 février 2007 la Ligue Odebi dévoilait un projet de décret ayant pour but de créer une “commission de déontologie sur les services de communication au public en ligne” (CND). La CND serait composée de représentants des industries, de représentants d’utilisateurs, et de représentants de ministères, en particulier de l’intérieur, de la justice, de la culture, et de la famille. Ses membres seraient nommés pour cinq ans par le gouvernement, son président devant être membre du conseil d’état. La CND devrait s’assurer du respect ou non par les acteurs de la Société de l’information de règles qu’elle établirait elle-même. En pratique, de nombreux domaines seraient concernés : téléphonie fixe ou mobile, fourniture d’accès, hébergement de sites, édition de contenus, hébergement de forums ou plateformes de blogs. Ce projet menacerait de plus l’existence du Forum des Droits sur Internet (FDI).
Le projet de décret met en avant les labels de type “protection de l’enfance”, mais ne donne aucune limite au domaine d’intervention de la CND. Le domaine de labellisation ira très certainement au-delà de la stricte protection de l’enfance, et permettra d’imposer d’autres labels comme le label presse. Ce projet d’instauration d’un ordre moral sur le net a été dénoncé par l’APRIL, IRIS, et Reporters Sans Frontières.
-I- Il n’est pas acceptable qu’une commission instaure un ordre moral du net en édictant des règles morales ayant en pratique force de loi sur les acteurs de la société de l’information. A supposer que face aux réactions que le projet suscite cette commission soit renommée "commission nationale de régulation", et n’ait plus pour vocation d’imposer des règles morales, mais des normes d’ordre purement juridique, cela n’est pas acceptable non plus : C’est au législateur d’écrire la loi -une loi intelligible pour tous- en toute transparence. Pas à une commission parallèle à la représentation nationale, qui dicterait un ersatz de loi élaborée sans aucune transparence.
5.2 Vers une "labellisation" des sites d’information : L’imprimatur gouvernementale
Le 19 février 2007, le ministère de la communication annonçait la publication du rapport “La Presse au défi du numérique“ de Marc Tessier : Ce rapport propose l’instauration d’un système de labellisation des sites d’information. Le rapport justifie ce système par l’impossibilité compte tenu de la nature du net de mettre en place un “cadre juridique contraignant” pour imposer le “respect de certains critères de qualité“, et propose donc de “faire ressortir” grâce à un label, ceux qui “de leur propre initiative” respecteraient ces “règles précises de déontologie et de contenu“. Par ailleurs, le ministère envisage que ces labels ouvrent droit à des avantages financiers : “[...]un label, qui pourrait également servir de référence dans différents mécanismes publics relatifs à l’information en ligne et notamment les aides (aide en fonds propres, TVA réduite, statut de correspondant en ligne...)”.
L’objectif est d’avantager certains sites : "L’idée d’un label « information en ligne » est assez intéressante à plusieurs titres. D’abord, elle permettrait effectivement de donner un avantage immatériel aux sites concernés qui pourraient le faire valoir auprès de leurs lecteurs électroniques, ceux-ci pouvant immédiatement identifier les sites où ils seraient à peu près sûrs des informations fournies en ligne."
Enfin, le ministère propose sans détours que son système de labellisation soit utilisé dans les établissements scolaires à des fins d’éducation au sens critique : “Ceci serait particulièrement utile à destination des plus jeunes générations pour leur apprendre, dès leur scolarité, à mettre en perspective ce qu’ils trouvent sur Internet et hiérarchiser entre les différentes sources d’information en fonction de leur qualité.”
Maxime Baffert, co-auteur du rapport, a par la suite émis lui-même des doutes :"Une question plus importante me semble être celle de l’utilité de ce label. Le risque de "ligne Maginot" est réel et les craintes exprimées par plusieurs commentaires sur l’inefficacité de cette démarche me paraissent assez fondées. De même, il est clair que, pour beaucoup de sites disposant d’une marque forte, un label n’apportera rien en termes de crédibilité."
-J- Une labellisation gouvernementale (ou une récupération gouvernementale d’une éventuelle auto-labellisation de telle ou telle corporation) des sites d’information n’est pas acceptable : L’objectif clairement exprimé est d’avantager certains sites, dès lors, les sites ne disposant pas de ce label seraient désavantagés. Dans une démocratie, le gouvernement n’a pas à indiquer au peuple quelles sont les bonnes informations. Il est encore moins acceptable que ces labels soient assortis d’avantages financiers. Et il est intolérable que le gouvernement prétende utiliser ce système d’hiérarchisation de l’information basé sur ses "règles précises de déontologie et de contenu" dans les établissements scolaires à des fins d’éducation au sens critique.
5.3 LPD : prohibition des images d’agressions raciales, homophobes ou de bavures policières.
Au prétexte de la lutte anti-happy-slapping, un amendement au projet de loi de Nicolas Sarkozy pour la prévention de la délinquance (LPD), a introduit un article qui a pour effet de faire encourir 5 ans de prison à tout internaute qui diffuserait des images d’agressions (définies par une liste d’articles du code pénal) s’il n’a pas pour profession d’informer, ou s’il n’a pas l’intention de fournir des preuves à la justice.
Cet article 44 de la LPD a donc été dénoncé par Wikimedia France, RSF, et Odebi comme une atteinte à la liberté d’informer. En particulier, dans la liste d’articles du code pénal, l’article 222-13 mentionne les agressions raciales, ou homophobes, ou encore les violences commises par des forces de l’ordre : On est bien au-delà du discours officiel prétendant se préoccuper de lutte contre le happy-slapping : Désormais seuls les professionnels de l’information auraient le droit de diffuser des images de "bavures policières", ou encore ceux qui auraient l’intention de fournir des preuves à la justice...
Premier problème : on voit mal ce qui justifierait que les non professionnels aient des droits d’informer (ou de dialogue et de débat citoyen) restreints par rapport aux professionnels.
Deuxième problème : Il est légitime dans une démocratie de diffuser des images de violences policières, raciales, ou homophobes, dans l’intention de les dénoncer. On voit mal en quoi les non professionnels devraient avoir comme obligation préalable à ces diffusions l’intention d’apporter des preuves à la justice, si tant est que cela puisse être systématiquement raisonnablement prétendu. Troisième problème : Dès que des auteurs de violences filmées auront été jugés, nul ne pourra plus alors prétendre s’abriter derrière une quelconque intention de fournir des preuves à la justice. Dès lors la diffusion d’images de ces violences sur internet coûterait au non professionnel 5 ans de prison, et plus personne ne publierait ces images (à part des professionnels).
Certains ont vu, un peu rapidement, une surenchère dans la réaction de la Ligue Odebi, en considérant que la mention des violences policières dans les articles concernés du code pénal n’avait pour but que d’aggraver les peines, et non pas de définir ces violences. Ce qui est effectivement le cas pour l’article 222-10 qui aggrave les peines prévues au 222-9, et de même pour le 222-12 vis à vis du 222-11. Ce n’est en revanche pas le cas pour l’article 222-13, qui est précisément celui qui a été dénoncé dès le départ, et qui mentionne les violences raciales, homophobes, ou commises par les forces de l’ordre, et qui donc _définit_ les violences dont la diffusion d’images sur internet est désormais prohibée.
L’article 44 de la LPD a déclenché de nombreuses réactions à l’étranger, en particulier aux Etats-unis, qui gardent en mémoire l’affaire Rodney King. En réaction, Nicolas Sarkozy, ou son entourage, ont tenté de défendre cet article de la LPD, défense relayée aux Etats unis par un blogger-supporter, qui a affirmé que les gens n’avaient pas lu la loi, ou encore que l’article 44 ne visait que les violences graves comme la torture ou les actes de barbarie et pas les violences légères. Ce qui d’une part si l’on réfléchit un tant soit peu serait plutôt surprenant pour une mesure censée lutter contre le happy-slapping, mais, d’autre part, est surtout totalement faux : l’article 222-13 concerne en effet les violences ayant entraîné moins de huit jours d’interruption totale de travail (ITT) ou n’ayant entraîné _aucune_ ITT.
-K- La prohibition de la diffusion d’images à des fins d’information et de dialogue citoyen sur internet n’est pas acceptable, pas plus que l’instauration d’une différence de droits d’informer entre professionnels et non professionnels.
Références et liens complémentaires sur : Bilan internet du quinquennat : pour approfondir...
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