Loi CENSI : Evolution d’une jurisprudence
Loi CENSI.
Cette loi votée le 5 janvier 2005 est applicable le 1° septembre 2005.
« Dans les classes faisant l'objet du contrat, l'enseignement est dispensé selon les règles et programmes de l'enseignement public. Il est confié, en accord avec la direction de l'établissement, soit à des maîtres de l'enseignement public, soit à des maîtres liés à l'Etat par contrat. Ces derniers, en leur qualité d'agent public, ne sont pas, au titre des fonctions pour lesquelles ils sont employés et rémunérés par l'Etat, liés par un contrat de travail à l'établissement au sein duquel l'enseignement leur est confié, dans le cadre de l'organisation arrêtée par le chef d'établissement, dans le respect du caractère propre de l'établissement et de la liberté de conscience des maîtres.
Nonobstant l'absence de contrat de travail avec l'établissement, les personnels enseignants mentionnés à l'alinéa précédent sont, pour l'application des articles L. 236-1, L. 412-5, L. 421-2 et L. 431-2 du code du travail, pris en compte dans le calcul des effectifs de l'établissement, tel que prévu à l'article L. 620-10 du même code. Ils sont électeurs et éligibles pour les élections des délégués du personnel et les élections au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et au comité d'entreprise. Ils bénéficient de ces institutions dans les conditions prévues par le code du travail. Les rémunérations versées par l'Etat à ces personnels sont prises en compte pour le calcul de la masse salariale brute, tel que prévu à l'article L. 434-8 du même code, et la détermination du rapport entre la contribution aux institutions sociales et le montant global des salaires, mentionné à l'article L. 432-9 du même code. »
Cette loi est dérogatoire à double titre : Bien que l’Organisme de gestion ne soit pas l’employeur, et que les enseignants soient des agents publics, le code du travail va s’appliquer néanmoins pour ces agents publics dont l’employeur est l’état au titre de l’enseignement.
C’est la première loi et la seule loi qui dit qui est l’employeur et qui n’est pas l’employeur !
Le but de cette loi était clairement de s’opposer à la jurisprudence de la cour de cassation qui considérait que nous avions 2 contrats : un de droit public avec l’état et un de droit privé avec l’établissement privé dans lequel nous enseignons.
Il existe une dérogation dans la dérogation, puisque les fonctionnaires travaillant dans le privé, ont eux un contrat de travail de droit privé, reconnu par la jurisprudence.
Il y avait eu une cassation plénière en 1996, à ce sujet.
Dés le début de cette loi CENSI, quasi-immédiatement, l’enseignement catholique se déchaine de toute part contre les agents publics enseignants. Refus de paiement des heures de délégation syndicale, refus de nomination d’un délégué syndical.
Rapidement des juges ne se laissent pas faire et nonobstant le refus des patrons catholiques, les juges tranchent en faveur des salariés.
Le jugement du TI de Tarbes sur un délégué syndical enseignant et contractuel, agent public travaillant dans un établissement privé sous contrat d'association) : http://www.snpefp-cgt.org/juridique/jugement_tarbes.pdf ouhttp://www.snpefp-cgt.org/juridique/jugement_tarbes_nb.pdf (13 mars 2006)
" Attendu que l’article L. 412-14 du Code du Travail n’exige nullement que la personne désignée comme délégué syndical soit titulaire d’un contrat de travail avec l’entreprise cadre de sa désignation, mais précise seulement que ce délégué doit "travailler dans l’entreprise" ; qu’en l’espèce M. X, professeur de technologie exerçant au sein du collège et de l’ensemble scolaire "Pradeau-La Sède", remplit cette condition ;
" Attendu que le bénéfice accordé aux maîtres exerçant leurs fonctions dans des établissements d’enseignement liés à l’État par contrat, d’un statut d’agent contractuel ou titulaire de droit public avec application du droit syndical des enseignants fonctionnaires, n’apparaît pas incompatible avec la mise en œuvre des dispositions susvisées du Code du Travail ;
" Attendu que contrairement à ce que soutient la requérante, les dispositions de l’article 1er alinéa 2 de la loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005 n’excluent pas expressément ces personnels enseignants de la faculté d’être désignés en tant que délégués syndicaux ;
" Attendu que l’examen des travaux parlementaire et notamment du compte-rendu de la séance du 22 décembre 2004, des débats au Sénat - pages 26 et 27 - permet de se convaincre à l’inverse de la volonté du législateur de maintenir la possibilité pour un enseignant d’être délégué syndical ; "
Il y a trois points essentiels des attendus de ce jugement :
- La loi Censi n'interdit pas la désignation d'un tel enseignant comme Délégué Syndical
- Les débats parlementaires (au sénat) indiquent au contraire que l'intention du législateur était que cela soit possible
- Si le code du travail (art. L 412-14) indique que le DS doit travailler dans l'entreprise, il n'exige pas l'existence d'un contrat de travail
La demande de l'organisme patronal est rejetée et celui-ci doit payer les frais irrépétibles.
Bien sûr, les patrons font des pourvois en cassation.
Cependant un juge du tribunal d’instance saisit la cour de cassation pour avis(1).
Le conseiller rapporteur donne son analyse et rapidement l’avis de la cour de cassation tombe et provoque la première défaite de l’enseignement catholique.
L’avocat général, de même va à peu près dans le même sens, même s’il y a des erreurs manifestes d’analyse sur les faits, les deux se « mélangeant les pinceaux » entre le droit syndical public et le droit syndical privé.
L’avis de la cour de cassation sort le 15 janvier 2007.
Il convient de remarquer que lors de la discussion, cette question avait été posée et le Ministre avait dit « Oui, les agents publics peuvent être délégués syndicaux ».
Mais les patrons catholiques ne l’entendaient pas de cette oreille.
Pendant ce temps, Elisabeth Bedin et moi-même avons saisi les juridictions prud’homales pour nos heures de délégation.
Elisabeth Bedin gagne devant la cour d’appel de PARIS en novembre 2007.
Cette cour d’appel met en avant des principes constitutionnels, car cette loi CENSI est assez mal ficelée.
En janvier 2007, le CPH de Narbonne me donne raison, mais comme un problème de compétence se pose sur « l’ordre administratif » ou « l’ordre judiciaire », l’OGEC de Bon Secours fait un contredit devant la cour d’appel de Montpellier qui rendra son arrêt le 23 Mai 2007.
Contrairement au CPH de Narbonne, la cour d’appel de Montpellier considère « Ainsi aucun contrat de travail n'existe entre l'association Notre- Dame de bon secours et Monsieur WAESELYNCK et la juridiction prud’homale s'avère incompétente pour connaître de ses demandes en paiement de ses heures de délégation » et se déclare incompétente.
Je fais donc un pourvoi en cassation qui posera les bases d’une nouvelle jurisprudence, le 18 novembre 2008, qui, il est vrai est assez délicate, puisque la Loi CENSI affirme qu’il n’existe pas de contrat de travail entre l’enseignant agent public et l’organisme de gestion de l’établissement privé.
Cependant, l’agent public peut être élu DP, CHSCT, CE, et être nommé délégué syndical.
La cour de cassation motive ainsi la violation de la Loi : « Qu'en statuant ainsi, alors que la demande de M. X..., délégué du personnel et délégué syndical, était dirigée contre l'établissement Notre-Dame de Bon Secours, personne morale de droit privé, et tendait à obtenir, sur le fondement de l'article L. 412-20 du code du travail alors applicable, le paiement des heures de délégation accomplies en dehors de son temps de travail, pour l'exercice de ses mandats dans l'intérêt de la communauté de travail constituée par l'ensemble du personnel de l'établissement, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; »
C’est donc sur un fondement constitutionnel que la cour de cassation se prononce :
De manière plus précise, c’est l’article 8 du préambule de la constitution de 1946 qui est invoqué.
Article 8 . Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises.
Le conseil constitutionnel s’était déjà prononcé sur le sujet.
Le 10 février 2009, mon ami Roidor, qui avait été débouté par la cour d’appel de Nîmes gagne devant la cour de cassation pour les mêmes motivations que moi et la cour de cassation casse cet arrêt de la cour d’appel de Nîmes. Il sera renvoyé devant la cour d’appel de Montpellier. J’ai plaidé cette affaire et nous l’avons gagnée.
Le 20 novembre 2007, Elisabeth a la « chance » que la cour d’appel de PARIS lui donne raison. Son OGEC fait un pourvoi en cassation qui sera rejeté en mars 2009.
Une bonne évolution se met en place, puisque non seulement, la cour de cassation continue de dire que l’ordre judiciaire est compétent, mais surtout affirme « Mais attendu que le paiement des heures de délégation des maîtres des établissements d'enseignement privés sous contrat prises en dehors de leur temps de travail incombe à l'établissement au sein duquel ils exercent les mandats prévus par le code du travail dans l'intérêt de la communauté constituée par l'ensemble du personnel de l'établissement ;
Et attendu que la cour d'appel, qui a retenu que Mme X..., intégrée de façon étroite et permanente dans la collectivité de travail au sein de laquelle elle enseigne, relève des dispositions de l'article L. 2143-1 du code du travail et doit disposer à ce titre, avant comme après la promulgation de la loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005, du temps nécessaire à l'exercice de ses fonctions syndicales, et qui a relevé que ces heures étaient accomplies en dehors de son temps de travail, en a exactement déduit qu'elles devaient être payées par l'établissement d'enseignement privé »
Un autre camarade, Damien, avait perdu son procès devant la cour d’appel de Montpellier et s’était pourvu en cassation. Les 13 octobre 2010, la cour de cassation casse une nouvelle fois un arrêt de la cour d’appel de MONTPELLIER et élargit la jurisprudence :
La cour dit : « que les heures de délégation dont dispose chaque délégué syndical pour l'exercice de ses fonctions ne se confondent pas avec les décharges d'activités de service accordées au représentant syndical en application de l'article 16 du décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique, et que d'autre part, l'association n'a pas contesté que, pour les périodes 2007/2008 et 2008/2009, M. X... avait pris les heures de délégation en dehors de son temps de travail, ni l'usage qu'il en a fait, la cour d'appel a violé, par refus d'application les dispositions de l'article L. 2143-17 du code du travail ; »
La cour d’appel de Montpellier avait considéré des heures de décharges (droit public) comme des heures de délégation (droit privé). Cet arrêt fut aussi publié au Bulletin pour que les autres cours d’appel comprennent !
A la suite de ma première cassation, je suis renvoyé devant la cour d’appel de TOULOUSE. Devant l’évolution de la jurisprudence, je suis assez confiant. Le juge (M BRUNET) qui préside la chambre sociale de la cour d’appel de TOULOUSE me demande si je suis d’accord pour demander un avis de la cour de cassation (ce que demandait l’OGEC). J’ai répondu non, car la position de la cour de cassation était assez claire.
De manière inexplicable, ce magistrat décida de me débouter de toutes mes prétentions.
Ce magistrat décida de s’opposer à la cour de cassation. C’était un adepte du droit positif et il imaginait qu’il devait créer toutes les bases de la Loi CENSI.
Je dus donc faire un nouveau pourvoi en cassation et la cour de cassation me donna raison pour la 2° fois le 18 mai 2011, arrêt qui fut publié au bulletin, comme le premier arrêt de novembre 2008 (Sont publiés uniquement les arrêts nouveaux et intéressants, soit un pour cent).
Le même jour, il y avait un autre pourvoi identique mais qui avait été fait par un organisme de droit privé contre un arrêt de cour d’appel qui l’avait condamné. Le pourvoi fut donc rejeté. On pouvait dès lors comprendre que la jurisprudence était fixée.
La cour de cassation prenait alors la position suivante :
« Attendu, cependant, que le paiement des heures de délégation des maîtres des établissements d'enseignement privé sous contrat prises en dehors de leur temps de travail, qui ne se confondent pas avec les décharges d'activités de service accordées au représentant syndical en application de l'article 16 du décret n° 82-447 du 28 mai 1982, incombe à l'établissement au sein duquel ils exercent les mandats prévus par le code du travail dans l'intérêt de la communauté constituée par l'ensemble du personnel de l'établissement ; que ces heures, effectuées en sus du temps de service, constituent du temps de travail effectif et ouvrent droit au paiement du salaire correspondant ; »
La nouveauté ici de la cour de cassation est de dire que « que ces heures, effectuées en sus du temps de service, constituent du temps de travail effectif et ouvrent droit au paiement du salaire correspondant ».
La cour de cassation officialisait donc le fait que des heures de délégation devaient être payées par l’établissement sous forme de salaire. C’était une manière de dire sans le dire que ces heures de délégation syndicale créaient de fait un contrat de travail, mais la cour de cassation se refuse à le dire, car ce serait contraire à la Loi.
Inutile de dire que la FNOGEC (organisme patronal fit la gueule…)
Encore une fois, je me suis retrouvé devant une nouvelle cour d’appel, à BORDEAUX.
Comme c’était après 2 cassations, j’eus droit à une audience particulière avec la première présidente et une cour de 7 juges, dont 2 s’endormirent assez rapidement).
J’en profitais pour faire une QPC et demandais que la cour de cassation puis le conseil constitutionnel soit saisi de l’inconstitutionnalité de la Loi CENSI.
La première présidente de la cour d’appel de BORDEAUX refusa que cette QPC fût transmise à la cour de cassation puis rendit un arrêt au fond qui ne me satisfit point.
C’est ce que l’on appelle en langage usuel un jugement à la louche.
Sauf que je me battais depuis 6 ans pour des principes et je fis donc un nouveau pourvoi qui est actuellement pendant devant la cour de cassation et qui devrait être jugé cette année 2013.
Dans cette évolution de la jurisprudence, ce qui est intéressant, c’est que j’ai fait seul ces conclusions et que j’ai toujours plaidé seul. On est seulement obligé de prendre un avocat à la cour de cassation, ce qui est assez onéreux (4000 à 5000 euros).
(1) : Un avis peut être demandé à la cour de cassation dans des cas très particuliers : Loi nouvelle concernant de nombreux salariés. Cela permet aux juges de se diriger plus facilement en cas de difficulté d’interprétation.
(2) Une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) peut être posée dans des cas précis : La loi ne doit pas être passée par le conseil constitutionnel, elle doit être nouvelle, se poser dans de nombreux cas et il faut faire la démonstration que la Loi viole la constitution. Si le juge accepte la QPC, il transmet la QPC à la cour de cassation qui examine cette QPC et la transfère ou non au conseil constitutionnel.
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