« Longue, intense et molle »
C’est en ces termes que le FMI a qualifié le mois dernier la récession mondiale.
Autant dire qu’on est pas sortis de l’auberge et que les pseudo experts ou prévisionnistes auto proclamés qui s’évertuent au quotidien à nous faire part de leur optimisme béat, du frémissement qu’ils perçoivent dans tel ou tel secteur de l’économie américaine, vont pouvoir allègrement continuer à manger leur chapeau dans les prochains mois.
Nos brillants politiques vont pouvoir de leur côté continuer à manier l’oxymore (la « croissance négative », par exemple), afin d’éviter de prononcer le mot qui fâche (récession) autant que faire se peut, pour ne pas désespérer un peut plus ceux qui sont en première ligne, c’est à dire ceux qu’on licencie par charrettes actuellement ou ceux qui désespèrent de trouver un premier emploi.
Les cyniques
Même si l’on commence à prononcer du bout des lèvres le mot récession, on nous indique que notre pays est moins touché que d’autres, ce qui constitue un signe encourageant et montre que nous sommes armés pour faire face à la crise. Et tout cela grâce à quoi ? Je vous le donne en mille : grâce au merveilleux dispositif amortisseur de l’Etat providence que bien des pays nous envient et qui fait preuve de ses vertus en temps de crise.
On nous indique également que grâce au nombre de fonctionnaires et de retraités dans notre pays, la croissance reste soutenue, ce qui est une seconde explication de notre bonne tenue face à la crise.
Le problème, c’est qu’une partie de ceux qui énoncent ces vérités sont les mêmes qui il y a quelques temps dénonçaient ; au nom de la « réforme indispensable » ce fameux Etat Providence et n’avaient de cesse que de tailler dans les dispositifs sociaux, dans les systèmes d’emplois aidés (avant d’en recréer), de supprimer des emplois publics (pendant la crise, on continue), de réformer le système de l’assurance maladie (franchises médicales), qui veulent « libérer l’initiative privée » en supprimant les « carcans administratifs », diminuer les recettes fiscales au profit des plus favorisés, dont certains n’en demandaient pas tant, en instaurant un bouclier fiscal et en supprimant les droits de succession, etc, etc...
D’aucun (on ne citera pas le nom) avait même envisagé la promotion des prêts hypothécaires (les fameux subprimes) avant la crise : on l’a échappé belle !
Virage à 180° donc, uniquement en matière de communication, pour ces cyniques qui pendant ce temps continuent à creuser encore plus le déficit de l’Etat en octroyant des fonds pour soutenir ceux qui précisément sont à l’origine de la situation, je veux parler des banques, ou à ceux, (les industriels de l’automobile) qui n’ont pas voulu anticiper et veulent continuer à vivre sur la rente du moteur à essence, ou en octroyant, quasiment sans contreparties un allègement de TVA à la restauration.
Dans quel état sera notre pays fin 2009 ?
Inutile de tourner autour du pot, les licenciements et les plans de sauvegarde de l’emploi (doux euphémisme pour dire que l’on ne vire pas tout le monde et que ceux qui restent ont intérêt à filer droit), vont se succéder dans les prochains mois.
Certains de ces plans et de ces fermetures de sites ne seront même pas dus à la crise mais sous tendus par un simple effet d’aubaine provoqué par des dirigeants et des actionnaires cupides alléchés par de meilleurs dividendes promis sous des cieux exotiques, ou à des exigences plus fortes de fonds de pension soucieux de se refaire après avoir spéculé dans « l’économie casino ».
Ajoutons à ce tableau que 650 000 jeunes vont se trouver sur le marché de l’emploi (au chômage, pour la plupart, donc) à la rentrée de septembre et on peut imaginer sans peine que ce que nous vivons actuellement n’est que broutilles par rapport à la situation de fin d’année 2009 où le plafond des 3 millions de chômeurs sera vraisemblablement dépassé.
Au final donc, perte sèche d’emplois avec un nombre de chômeurs qui surfera durablement sur cette ligne des 3 millions et un déficit budgétaire dépassant durablement lui aussi le plafond fixé par Bruxelles.
Scénario de sortie de crise (2010 ? 2011 ?...)
On voit bien que les mesures adoptées par le récent G20 ne vont pas dans le sens d’une moralisation de l’économie, que le contrôle des flux financiers n’est pas et ne sera jamais à l’ordre du jour et que la fameuse liste noire, grise ou presque blanche des paradis fiscaux, n’est qu’une aimable plaisanterie. Il est donc permis de penser que le système capitaliste (les fameux créateurs de richesse...), qui fait profil bas actuellement, voire qui subit les foudres de nos dirigeants politiques (mais c’est juste pour rassurer le bon peuple), va reprendre du poil de la bête et se jeter la tête la première dans le prochain système imaginé par un petit génie de la finance en attendant une prochaine crise qui mettra à la rue de nouvelles charrettes de salariés.
C’est dans leurs gènes, ils ne peuvent pas s’en empêcher, c’est comme une addiction au casino ou au poker.
Et nos « gouvernants » dans tout cela ? Et bien eux aussi, ils reprendront leur marche en avant, interrompue pour cause de crise, c’est à dire celle qui consiste à servir la soupe au système libéral (on dit « réforme » pour ne pas effrayer), en continuant à se désengager de la gestion des services publics, en glissant progressivement de la retraite par répartition vers les fonds de pension (à « la française », on vous rassure !), en déremboursant un peu plus les soins de santé et faire plaisir à l’industrie pharmaceutique et aux assurances privées, en favorisant la déliquescence des écoles et universités et hôpitaux publics au profit du secteur privé payant (liste non exhaustive...) et en augmentant au passage les impôts pour financer le déficit public occasionné par les largesses de l’Etat au profit des susnommés et provisionner pour les futures crises en vue « d’organiser – à nouveau - le sauvetage du système bancaire » par exemple.
Bref, nous ne sommes pas à la veille du « lendemain du grand soir », que craignent certains et que d’autres appellent de leurs voeux.
Ça va péter ou pas ?
Pas tout de suite en tout cas. C’est en fin 2009 et au début de 2010 que les risques seront les plus grands étant entendu qu’une fois la croissance revenue, au mieux en 2011, ceux qui s’en seront sortis sans trop de casse, seront enclins à accepter la purge libérale énoncée ci dessus en croyant éviter ainsi la prochaine crise et en ignorant superbement ceux qui seront restés sur le carreau (chacun pour soi...)
Les actes de « violence » enregistrés çà et là ainsi que le mouvement dans les universités, en bout de course, sont plutôt des expressions catégorielles que l’annonce d’un mouvement de fond imminent et il a suffit que le gouvernement agite le spectre de l’extrême (ou de l’ultra) gauche pour obtenir un fragile retour au calme.
Au chapitre « dormez en paix bonnes gens », on rappellera les efforts démesurés du gouvernement en matière de communication (le discours sur nos nos fameux amortisseurs sociaux, notamment...) et du Chef de l’Etat qui n’hésite pas à se montrer, dans des endroits aseptisés, toutefois, c’est à dire entouré que de sympathisants cantonnés dans un périmètre de sécurité bouclé par les forces de l’ordre, mais en étant certain d’un retour sur investissement dans les médias.
Au chapitre « épouvantail », on notera les efforts méritants de M. GUEANT pour ouvrir le débat sur l’antisémitisme, en instrumentalisant un ex-comique qui n’en demandait pas tant.
Au chapitre « santé » on attend selon toute vraisemblance une résurgence de l’épidémie de grippe A à la rentrée, qui occupera bien les médias pendant une semaine ou deux et leur évitera de parler trop souvent de la crise.
La complexité des choses
On aura noté que la communication est pour l’instant au coeur de la problématique et que la difficulté sera de pouvoir continuer à alimenter la boîte à images dans les prochains mois. Tous les sujets seront les bienvenus, s’ils contribuent à entretenir la léthargie en faisant oublier l’essentiel, c’est à dire la crise. Cette crise a tout juste 6 mois et nos dirigeants se sont évertués jusqu’à présent à faire de la pédagogie en disant que le plan de relance va commencer prochainement à produire des effets (la preuve, c’est que le voisin vient d’acheter une twingo avec la prime à la casse). Les français aiment bien croire qu’ils comprennent l’économie telle qu’elle leur est expliquée (ce qui laisse de la marge...), que l’argent prêté par l’Etat aux banques va rapporter autant qu’on le dit, que demain tout ira mieux, que ce n’est qu’un mauvais moment à passer, qu’il faut se serrer les coudes (!), que le plan pour l’emploi des jeunes va leur éviter de pointer au Pôle emploi à la rentrée, etc, etc...
Jusqu’à quand la communication jouera-t-elle son rôle d’anesthésiant ? Quelle sera votre réaction quand vous vous apercevrez que le voisin qui a acheté sa twingo il y a deux mois vient de se faire virer de son entreprise, que la fille de votre collègue qui a emprunté pour payer 15000 €/an ses études dans une boîte privée, n’a trouvé qu’un CDD à 1300 € par mois et qu’il est obligé de boucher le trou alors qu’un dirigeant de banque récemment « remercié » touchera 2000 € par jour de retraite ?
Jusqu’à quand l’attitude prudente des syndicats continuera-t-elle à faire illusion sur le corps social, face à la dégradation de la situation ?
Finalement, tant que c’est le voisin, on serre les fesses, mais imaginez que demain cela vous arrive ?
On peut penser que les Français ne sont pas mûrs actuellement pour participer à un mouvement d’ampleur (pas forcément uniquement un mouvement social, mais un mouvement plus profond visant à un changement de modèle et basé sur des fondamentaux comme la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen), mais qu’ils attendent un seuil critique. Lequel ? Voilà la question qui sera peut-être posée dans quelques mois.
« Ils ne se révolteront que lorsqu’ils seront devenus conscients et ils ne pourront devenir conscients que lorsqu’ils se seront révoltés ».
Cette citation tirée du roman de George Orwell « 1984 », donne une idée de la difficulté à prévoir les choses dans un avenir pourtant proche et de la spontanéité et du contenu d’un éventuel mouvement.
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