Outreau et la réforme de la Justice : le flou et la migraine
Contrairement aux prévisions exprimées par Philippe Houillon le 27 septembre dans un forum du Nouvel observateur, le compte rendu du Conseil des ministres du 18 octobre ne fait état d’aucun projet de loi relatif à la « mini-réforme » de la Justice annoncée pour avant les élections présidentielles. Aucune information à ce sujet ne semble avoir circulé. Doit-on s’en étonner ? D’après Le Monde du même jour, soixante pour cent des Français jugent les élus « corrompus ». Ce n’est assurément pas une situation idéale pour que la « classe politique » puisse se permettre d’aborder dans la transparence la question de la responsabilité d’agents et auxiliaires de la puissance publique. La réforme de la Justice devra sans doute passer par une réforme institutionnelle et politique globale, abordant dans la transparence les questions évoquées dans mes articles des 13 septembre et 15 octobre derniers. La mobilisation des citoyens devra constituer l’élément décisif de l’éventuelle réussite de ce profond changement.
A lire le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur Outreau, ainsi que les comptes rendus des auditions, on aurait pu croire que les députés tombaient des nues devant un certain nombre de constats qui s’imposaient à eux pour la première fois. Mais, dans ce cas, on peut valablement leur demander ce qu’ils ont fait eux-mêmes, en tant que milieu dirigeant politique du pays, au cours de la dernière décennie.
Par exemple, les déclarations de l’experte Marie-Christine Gryson affirmant en tant que "psychologue, responsable d’une structure d’accueil aux victimes" à Hazebrouck (Nord) : "Nous disposons d’une méthodologie fiable pour déterminer si un gosse dit la vérité", sont vieilles d’au moins dix ans et on peut les trouver, par exemple, dans un article de L’Express du 12 septembre 1996. Il semble que déjà à l’époque, devant un tel discours, le gouvernement se soit dit "prêt à mobiliser des moyens". Autant dire que les différents gouvernements, parlements, commissions d’évaluation scientifique, conseils régionaux et généraux, et bien d’autres instances, qui se sont succédé depuis cette date avaient eu largement de temps d’évaluer le sérieux réel de ce genre de déclarations.
Comment est-ce donc possible que la question de la validité et de l’impartialité des expertises n’ait été clairement abordée qu’au cours des audiences du procès d’Outreau de première instance, en mai et juin 2004, dans un contexte qui a abouti, précisément, à la récusation de Marie-Christine Gryson ?
Et comment Alain Juppé a-t-il pu déclarer d’après L’Express, le 4 septembre 1996 : "Il faut parfois mettre entre parenthèses les droits de l’homme pour protéger ceux de l’enfant" ? Pourquoi opposer les droits de la personne et ceux de l’enfant ? C’est pourtant un état d’esprit qui semble avoir prévalu jusqu’au procès d’Outreau de première instance de 2004, et encore n’est-ce que le 1er décembre 2005 que tous les innocents ont été acquittés en appel.
Un article paru mercredi sur Indymédia pose cette simple question : La Psychologie est-elle une science ? "Question tabou", écrit l’auteur. Le commentaire paraît très dur, exprimé de cette façon. Mais, au moins, il est indispensable de définir clairement les contours et les objectifs de cette discipline et de comprendre clairement sont état actuel, ce qu’il convient d’en attendre... Un débat qui aurait dû avoir lieu dans la transparence depuis fort longtemps. L’étonnement des politiques, lors des auditions d’il y a quelques mois, a de quoi choquer les citoyens qui leur ont accordé leur vote.
Mon article du 15 octobre et celui de Justiciable du 18 octobre dans Indymédia soulignent la proximité opérationnelle entre ce même monde politique et des experts universitaires influents tels que Jean-Luc Viaux, par exemple via des initiatives de soutien à des projets importants. Ils constatent le manque apparent d’information en temps utile de l’opinion publique à propos de la procédure disciplinaire qui avait été engagée contre ce professeur et qui paraît définitivement close. Mais comment demander des comptes à des experts ou à des magistrats, alors que des dirigeants politiques de tous les partis "de gouvernement" se sont trouvés en première ligne dans cette cascade de dysfonctionnements, et que de surcroît l’image éthique collective des élus ne paraît guère satisfaisante ?
Il en est de même du fonctionnement de plus en plus sommaire de la Justice française. Par exemple, c’est une loi votée en juin 2001 qui a rendu possible le refus d’admission, sans motivation circonstanciée, des pourvois en cassation. Dans l’ensemble, les politiques ne peuvent valablement évoquer les responsabilités des juges ou des psychologues, pas plus que celles d’autres milieux professionnels ou secteurs de l’Etat, sans souffler mot sur les leurs propres. C’est sans doute là que le bât blesse, et la raison pour laquelle le moindre changement devient une aventure de politique-fiction.
Dans une telle situation, la pire des "solutions" serait d’écouter ceux qui nous disent :"Laissez faire ceux qui savent, laissez faire les professionnels..." En réalité, "ceux qui savent" ont prouvé qu’ils n’en savaient pas plus que les citoyens qui font un minimum d’efforts pour examiner ces questions de près. Précisément, la France a été, au cours des trois dernières décennies, l’exemple type d’un pays gouverné par des "élites" sur des critères prétendument "techniques", et on a vu la résultat. Aucun sauveur ne fera, à la place des citoyens, ce que la nation a à faire de toute urgence.
23 réactions à cet article
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Je résume : La part du Budget affectée au ministère de la Justice en France est le plus bas ou l’un des plus bas d’Europe : moins de 2 %. Peau de chagrin volontairement décidée par nos « éluEs ». Au faibles moyens, ajoutons le laxisme ambiant et la corruption au sein même de la magistrature.
Laxisme, l’exemple le plus frappant m’a été donné lors de l’arrivée au tribunal du franco-argentin à qui on n’enlèvera pas la libertée de penser (j’ai oublié son nom) : tout le monde au balcon, une centaine de greffiers, greffières et autres scribes judiciaires attroupéEs pour « voir » l’artiste. Ca pourrait pas aller bosser tout ce beau monde ?
La justice française est également une corporation inamovible, corrompue à 95 %, qui s’auto-protège. Les juges qui font leur boulot sont tellement rares qu’ils en démissionnent pour faire ou non, ensuite, de la politique : Eva Joly, Eric Alphen pour les premiers, le juge Thierry Jean-Pierre (décédé) ou Di Pietro en Italie pour les seconds.
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CERTITUDES DES PSYS ET AUTRES « SOMMITES », SUIVISME DES POLITIQUES
La fin de l’article de l’Express de 1996 que cite Isabelle mérite d’être lue :
http://www.lexpress.fr/info/societe/dossier/pedophilie/dossier.asp?ida=418812&p=5
* COMMENT AIDER LES VICTIMES ? En respectant leur parole, d’abord. Les victimes se heurtent souvent à l’incrédulité, faute de preuves. Alain Juppé envisage de réactiver une procédure d’audition destinée aux mineurs, mais peu utilisée, qui prévoit la présence d’un psychiatre au côté du policier. En Grande-Bretagne, la police londonienne vient d’acquérir vingt maisons, qu’elle a aménagées pour recueillir en douceur les témoignages d’enfants. Marie-Christine Gryson, psychologue, responsable d’une structure d’accueil aux victimes à Hazebrouck (Nord), voudrait qu’on fasse appel systématiquement à deux ou trois experts : « Nous disposons d’une méthodologie fiable pour déterminer si un gosse dit la vérité. » Lorsqu’un enfant pressent qu’on ne le croira pas, il se replie sur son silence. « Mes patients attendent parfois des mois, des années, avant de déballer l’agression sexuelle qu’ils ont subie de la part d’un proche », raconte un psychiatre. La plupart des associations soulignent qu’il faut prendre en charge les enfants violentés, car les agresseurs sexuels ont souvent été eux-mêmes victimes d’abus pendant l’enfance. Il existe peu de structures d’accueil en France. Le gouvernement se dit prêt à mobiliser des moyens. Rendez-vous le 20 novembre.
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Dernière nouvelle :
http://info.france2.fr/france/25380166-fr.php
(Aujourd’hui, à 17h10)
La réforme du Conseil supérieur de la magistrature et l’instauration de sanctions contre les juges pour faute professionnelle ont été retirées du projet, a annoncé vendredi le garde des Sceaux.
Sur ces volets, Pascal Clément juge « nécessaire de poursuivre la réflexion », a-t-il expliqué devant le congrès de l’Union syndicale des magistrats, à Caen.
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Les politiques et les magistrats se tiennent mutuellement par les c... Pourtant la loi telle quelle est n’est pas mauvaise. Par exemple, former des greffiers qui notent réellement ce qui est dit, et qui n’attendent pas l’approbation du juge... Une école de la magistrature ouverte sur le monde... Et pourquoi pas l’élection du procureur, comme proposé par Montebourg...
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Indymédia, cette nuit :
Il n’y aura pas de réforme de la justice française
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http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=71403
Il n’y aura pas de réforme de la justice française
L’affaire d’Outreau avait été une catastrophe judiciaire d’une telle ampleur, que les Français espéraient pouvoir obtenir une certaine évolution institutionnelle suite au rapport de la commission d’enquête parlementaire. Cet espoir a subi, depuis décembre dernier, une série très conséquente de déceptions. Mais, si un doute subsistait encore quant à l’immobilisme du monde politique et de l’appareil d’Etat, l’annonce de la suppression de deux dispositions présentées jusque là comme essentielles dans le projet de « petite réforme » de la justice, paraît de nature à clarifier définitivement la situation. Dont acte.
Le député UMP Georges Fenech a reconnu que des citoyens déclarés innocents par la suite avaient effectué en France un total de 584 années de prison en 2004. Soit, plus de vingt fois le total des périodes de détention subies par les innocents d’Outreau.
On peut aisément comprendre que, dans un tel contexte, l’affaire d’Outreau n’a été qu’un bout de l’iceberg. Un cas particulièrement médiatisé, du fait du nombre des détenus et des annonces sensationnalistes répandues depuis l’automne 2001 sur un prétendu « réseau pédophile ». Il paraît évident que derrière une telle situation se trouvent des dysfonctionnements institutionnels profonds, et que la colère citoyenne qui s’est manifestée à l’occasion du procès d’Outreau exprimait une demande pressante de rectification globale. En vain.
L’article du 18 octobre d’Isabelle Debergue, faisant remarquer l’absence d’un projet de réforme de la justice dans le compte rendu du Conseil des Ministres du même jour, aura malheureusement été prophétique. Quarante-huit heures plus tard, la nouvelle vient de tomber : du projet déjà « minimal » et très largement symbolique de réforme de la justice annoncé il y a un mois et demi, les deux prétendues « mesures phare » à caractère institutionnel disparaissent jusqu’à nouvel ordre. Sans doute, à jamais, vu la proximité de la campagne présidentielle de 2007. Il s’agit :
a) d’une modification de la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature ;
b) de l’introduction d’une prétendue « nouvelle faute disciplinaire » décrite comme suit : « la violation délibérée des principes directeurs de la procédure civile ou pénale, comme les droits de la défense, la présomption d’innocence ou le principe du contradictoire, sera désormais sanctionnée par une interdiction d’exercer pendant cinq ans des fonctions à juge unique (juge d’instruction, juge d’application des peines...) ». Il s’agissait en réalité d’une mesure de façade car, comme déjà signalé, les prétendues sanctions n’auraient été que des dispositions techniques d’organisation du service. Mais la notion même de faute disciplinaire des magistrats semble, en l’occurrence, s’être heurtée à une forte résistance.
C’est donc la mise à mort d’une « mini-réforme » qui était déjà, très largement, une apparence. Mais même l’apparence finit par tomber. C’est aussi l’aboutissement logique d’un processus d’étouffement des véritables problèmes institutionnels et politiques que soulève l’actuelle situation de la justice française. Une commission parlementaire avec un mandat limité propose des réformes limitées, dont seulement quelques points sont repris par le Garde des Sceaux, lequel finalement revient en arrière à la dernière minute... Mardi prochain, en Conseil des Ministres, il ne restera plus rien ou presque.
Ce n’est pas que ce n’était pas à craindre, mais ça n’enlève rien à la déception légitime que peuvent éprouver de nombreux citoyens. Raison de plus pour poursuivre l’analyse des causes profondes de ces dérives et en tirer toutes les conséquences.
Justiciable (France)
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Je me souviens d’André Vallini (PS), président de la commission d’enquête dans l’affaire d’Outreau, faire le beau et signer des autographes du côté de Grenoble (Voiron ?) au debut de l’été dernier... après cet aveu d’échec en matière de réformes concernant la Justice, il a plutôt, désormais, intéret de se cacher pour éviter les crachas sur son auguste personne.
Cela avait mal commencé, de toutes manières. Pourquoi avoir choisi un député ? Encore un cumul ! Pourquoi ne pas avoir nommé à la tête de cette commission d’enquête, une personne neutre et compétente ? Eric Halphen, par exemple ... Depuis 2001 il a démissionné de la magistrature, ayant jeté l’éponge, écoeuré par tous les bâtons dans les roues qu’ « on » lui a mis dans le suivi de l’affaire « des HLM de Paris ». Pasqua, Tibéri, Chirac ... coupables en liberté. Innocents en prisons. La Justice française pue.
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Les magistrats s’étonnent que les français ne croient plus en leur justice et dénoncent la collusion pouvoir/justice, souvenez vous le procès du sang contaminé, résultat tout le monde, responsables politiques, conseillés, acquittés motif : RESPONSABLES MAIS PAS COUPABLES et pour enfoncer le clou le responsable en chef de l’affaire se présente à l’investiture présidentielle comme sauveur de la France. Aux US cette personne aurait été écartée à vie de la vie politique.
Je crois que de républicain je vais devenir royaliste car moins hypocrite. La révolution française n’aura servi à rien si ce n’est qu’à massacrer des milliers de personnes.
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Te laisses pas abattre, Bateleur. Joue, au moins, la dernière carte en votant Mourguy au 1er tour. Lui seul peut changer la donne car il propose une révolution citoyenne immédiate sans verser une goute de sang. Renseignes-toi sur ces 40 propositions dont la plus importante, à mes yeux, est l’apport des Référendums d’Initiatives Citoyennes au sein de la « démocratie » représentative... Cela ou voter blanc ... Alors autant voter pour lui.
Et souviens-toi des 15 morts et des milliers de bléssés à Paris le 6 février 1934. Les citoyens s’étaient révoltés et se sont ensuite regroupés à l’appel des syndicats et ont obtenu enfin, par les lois du 11 et 12 juin 1936, la création de conventions collectives, la semaine de 40 heures et 15 jours de congés payés (12 jours de vacances + 2 du week-end). La lutte paye toujours. D’une façon ou d’une autre. Sans ses braves (de bravoure, courage) gens, 95 % des français vivraient aujourd’hui comme à l’époque d’Emile Zola. Remarques, on en est pas loin : 20 % des français possède 80 % de la richesse et du patrimoine national. Et le fossé se creuse, de jour en jour.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_Matignon_%281936%29
Gros bémol cependant, je ne cautionne en rien les syndicats et leurs leadeurs d’aujourd’hui. Ils sont devenus, peu à peu à partir de 1945, des corporatistes mous et gras complètement corrompus et de connivence avec tous les gouvernements de droite à gauche. Il ne reste donc plus que 3 solutions pour renverser ce régime oligarchique, mafieux et ploutocratique au fur et à mesure que tu gravis l’échelle sociale : 1/ devenir royaliste pour les raisons que tu évoques. 2/ Faire la Révolution : impossible car on ne meurt plus de faim en France et en plus ça peut être récupéré par un dictateur. 3/ Voter Mourguy ... dès le 1er tour !
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« Je crois que de républicain je vais devenir royaliste car moins hypocrite. »
Vraiment ? Regardez un peu les biographies de ceux qui nous gouvernent, et vous verrez qu’ils sont nombreux à être liés au milieu aristo...
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lesigne 22 octobre 2006 01:09Nous devons attendre les prochaines présidentielles pour espérer la mise en chantier d’une réforme de la justice. Le travail qui a été fait par la commission parlementaire met à jour de vrais problèmes.
Mais ce n’est pas avec le présent gouvernement qui a perdu toute légitimité que l’on peu attendre la mise en place d’une vaste réforme donnant de véritables moyens à la justice qui actuellement a perdu sa dignité.
Nous avons une justice digne d’un pays arriéré, d’une république bannière.
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Suit le discours de Clément au congrès de l’Union Syndicale des Magistrats, le vendredi 20 octobre :
http://www.justice.gouv.fr/discours/d201006.htm
Discours de Pascal Clément, Garde des Sceaux, Ministre de la justice
Congrès de l’USM
Vendredi 20 octobre 2006
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les magistrats,
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer, peut être avec plus de retenue que les propos précédents sur un certain nombre de malentendus qui ont pu émerger ces derniers mois.
C’est vrai, nous pouvons avoir des divergences sur un certain nombre de sujets. Je ne suis pas venu aujourd’hui pour acter des désaccords, je suis venu pour expliquer, sereinement, les choix qui ont été les miens.
Je suis attaché à la transparence de l’institution judiciaire et je vous dois cette même transparence.
Depuis ma venue l’an dernier à votre congrès, j’ai été amené à prendre des décisions difficiles. La première d’entre elles fut la saisine du Conseil Supérieur de la Magistrature, dans sa formation disciplinaire, sur les cas du juge Fabrice Burgaud et du procureur Gérard Lesigne. Laissez-moi vous rappeler quelques éléments de contexte sur cette affaire.
La justice est rendue au nom du peuple français. Les Français sont donc en droit d’avoir l’information la plus complète sur son fonctionnement, dans le respect des principes d’indépendance, d’objectivité et d’impartialité. Même si la justice n’a pas été la seule en cause, il n’a échappé à personne qu’elle a connu des dysfonctionnements lors de l’affaire Outreau. J’ai donc saisi l’Inspection Générale des Services Judiciaires.
Son rapport aboutissait à rejeter les responsabilités individuelles, mais relevait de nombreuses insuffisances affectant le traitement de l’affaire, émanant tant du parquet que de l’instruction.
J’avais la possibilité de ne donner aucune suite à ce rapport. Mais était-ce véritablement ce que les Français attendent de leur démocratie ? Ne fallait-il pas donner la possibilité aux acteurs de cette affaire de s’expliquer, en-dehors de toute pression médiatique, devant un organe constitutionnel indépendant ? N’aurait-on pas parlé de corporatisme si ma décision avait été de m’en tenir au rapport de l’Inspection ? En mon âme et conscience, il était de mon devoir de solliciter le Conseil Supérieur de la Magistrature.
On attend d’un ministre de la Justice qu’il fasse preuve de sérénité et d’impartialité. C’est la ligne de conduite que j’ai adoptée lors du débat sur le traitement judiciaire de la délinquance en Seine-Saint-Denis.
Ce n’est pas en opposant les services de police et la Justice que nous pourrons continuer à combattre l’insécurité, qui est une priorité pour tous les Français.
C’est pourquoi, à la demande du Président de la République, j’ai réuni, au cours du mois de septembre, tous les acteurs concernés à la chancellerie : magistrats, Préfet, fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie, et élus locaux.
Je tiens à souligner que l’ensemble des participants aux réunions que j’ai présidées a reconnu les progrès réalisés depuis plusieurs mois par les magistrats et les fonctionnaires de Bobigny pour répondre à la situation difficile de la Seine Saint Denis.
J’ai rappelé que 13 000 personnes ont été condamnées par le tribunal correctionnel en 2005, contre 10 000 en 2002. S’agissant de la délinquance des mineurs, le taux de réponse pénale pour les mineurs, qui était de 74 % en 2003, est de 83% aujourd’hui. Il est difficile, dans ces conditions, de parler de démission des juges !
Depuis 2002, nous avons beaucoup fait pour Bobigny : 35 postes de magistrats, 34 postes de fonctionnaires des greffes et plus de 70 postes d’agents de la protection judiciaire de la jeunesse ont été créés, et pourvus.
Je continuerai à soutenir l’action de la justice avec d’autant plus de convictions que les magistrats de Bobigny ont fait leur métier avec courage et efficacité lors des violences urbaines de l’année dernière, comme ceux de l’ensemble des juridictions concernées par ces évènements.
J’ai cru comprendre que vous n’aviez pas la même lecture que moi du budget de la justice, et sur ce point aussi, fidèle à mon exigence de vérité, je veux vous faire part de mes convictions.
Pendant de nombreuses d’années, la Justice a été trop souvent délaissée.
Cette politique erratique a abouti au classement de la CEPEJ, dans lequel la France était à la 23e position des pays européens pour son investissement dans la justice.
Ces chiffres dataient de 2002. Depuis, des efforts considérables ont été réalisés, puisque le budget de la justice a augmenté de 38% et qu’il connaît, cette année, une progression de 5%, soit la plus forte augmentation du budget de l’Etat.
Ces efforts ont eu des résultats concrets dans les juridictions. Comme le gouvernement s’y était engagé lors du vote de la loi d’orientation et de programmation de la justice en 2002, 616 magistrats et 1 760 fonctionnaires de greffe supplémentaires sont en fonction aujourd’hui.
Pour l’année 2007, j’ai voulu que 285 magistrats rejoignent les juridictions en septembre prochain.
Nous avons également prévu l’arrivée de 661 fonctionnaires : 261 greffiers et greffiers en chef, qui achèveront leur scolarité à l’Ecole nationale des greffes ; et de 400 adjoints qui, dès leur recrutement, viendront immédiatement soutenir l’activité des juridictions.
Il est, à cet égard, nécessaire de réduire le nombre de vacances de postes de magistrats, greffiers et fonctionnaires dans les juridictions. C’est seulement ainsi que l’activité juridictionnelle peut s’exercer dans les meilleures conditions. Je peux vous assurer aujourd’hui que l’ensemble des emplois de magistrats budgétés sera pourvu.
Je voudrais enfin revenir sur la mise en place de la Loi Organique relatif aux Lois de Finances qui a transformé les frais de justice de crédits évaluatifs en crédits limitatifs.
L’an dernier, certains Premiers Présidents avaient fait part de leur inquiétude. Elle est aujourd’hui, en grande partie, dissipée et je suis heureux qu’ils l’aient reconnu.
Alors que les frais de justice connaissaient une augmentation de 15 à 20% par an et avaient atteint 487 millions d’euros en 2005, ils seront en 2006 conformes aux prévisions, soit environ 420 millions d’euros.
J’avais assuré que cette maîtrise des frais de justice ne se ferait pas au détriment de la liberté d’initiative des magistrats et de la recherche de la vérité. Je crois pouvoir affirmer que nous y sommes arrivés, grâce à la mobilisation des magistrats et fonctionnaires qui se sont fortement engagés pour moderniser notre gestion et au travail de mise en concurrence effectué par le secrétaire général du Ministère de la Justice.
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La Justice a besoin de moyens conformes à la noblesse de sa mission, mais l’affaire OUTREAU nous a également montré qu’elle avait besoin de réformes.
Notre Justice doit s’appuyer sur un statut de la magistrature modernisé.
Afin de mettre un terme au soupçon de corporatisme, je pense que la composition et le rôle du Conseil Supérieur de la Magistrature doivent évoluer.
Il n’existe cependant pas de consensus sur cette question.
S’agissant de la composition du CSM, je sais, et vous l’avez rappelé, Monsieur le Président, que votre syndicat est opposé à une présence minoritaire des magistrats au sein de cet organe.
Le rôle et la composition du CSM constituent des questions d’une particulière importance sur lesquels des consensus doivent se dégager.
Il me semble donc nécessaire de poursuivre la réflexion.
C’est pourquoi j’ai décidé d’ouvrir une concertation d’envergure qui associera non seulement l’ensemble des acteurs judiciaires, mais aussi d’éminentes personnalités afin d’aboutir à un diagnostic partagé et des propositions communes sur ces questions essentielles pour l’institution judiciaire.
L’affaire OUTREAU a été l’occasion de réfléchir sur la formation et la responsabilité disciplinaire des magistrats.
Vous le savez, je souhaitais qu’une nouvelle faute disciplinaire sanctionne la violation intentionnelle des principes directeurs de la procédure pénale et civile. Comme pour la réforme du conseil supérieur de la magistrature, je considère que cette réforme ne peut prospérer que si elle est consensuelle. Je sais que certains magistrats lui étaient défavorables.
Prenant en compte l’avis du Conseil d’Etat, je considère que ce texte doit être précisé sur plusieurs points, notamment sur le caractère grave et intentionnel de la violation de ces principes.
J’ai donc décidé de poursuivre la réflexion sur cette question.
Je souhaite que l’ensemble des magistrats issus des principaux modes de recrutement parallèles se voient imposer une formation probatoire.
Ce stage probatoire concernera les candidats reçus au concours complémentaire, les candidats à l’intégration directe dans le corps judiciaire, ou les candidats à une nomination en tant que magistrats exerçant à titre temporaire.
S’agissant du disciplinaire, il existe des fautes qui justifient, non pas de mettre fin aux fonctions du magistrat, mais de l’écarter des fonctions de juge unique. C’est ce que prévoit aussi cette réforme. Enfin, lorsqu’un magistrat a un comportement dont la nature justifie la saisine du comité médical et a un impact évident sur l’exercice de ses fonctions, il doit être suspendu temporairement. Cette décision reviendra au Garde des Sceaux, sur avis conforme du CSM.
Les Français souhaitent disposer d’un interlocuteur reconnu à qui adresser leurs réclamations sur le fonctionnement de l’institution judiciaire ou sur le comportement d’un magistrat constituant un manquement à leur déontologie. Je souhaite que les citoyens puissent saisir le Médiateur de la République d’un dysfonctionnement de la Justice.
Celui-ci interviendra auprès du Garde des Sceaux qui en tirera, le cas échéant, les conséquences, notamment en saisissant l’Inspection Générale des Services Judiciaires et en sollicitant le CSM.
Je m’étais engagé l’an dernier à honorer deux revendications anciennes de l’USM sur l’obligation de résidence des magistrats et sur l’affectation des magistrats placés. Ces engagements seront tenus.
Le champ de l’obligation de résidence des magistrats sera étendu au ressort de la cour d’appel.
Le champ de la priorité d’affectation des magistrats placés concernera désormais l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de la Cour d’Appel.
La réforme de la justice doit également se traduire par une exigence renforcée de formation des magistrats.
Les magistrats sont formés, et bien formés, à l’Ecole Nationale de la Magistrature. J’ai cependant souhaité initier un mouvement d’ouverture de l’école afin que l’on ne puisse plus reprocher à un magistrat son corporatisme ou son manque de formation.
J’ai demandé pour cela que les formations communes entre les magistrats et les avocats soient développées. Ainsi, depuis cette année, l’ENM accueille une quarantaine d’élèves-avocats.
J’ai également demandé au directeur de l’ENM de créer une direction d’étude spécifiquement dédiée aux droits de la défense dans le cadre de laquelle interviendront plusieurs avocats. De même, un programme spécifique d’enseignement de psychologie a été intégré dans la scolarité.
J’ajoute enfin que cette évolution de votre statut implique une dynamisation de la politique de gestion des ressources humaines du Ministère de la Justice.
A ma demande, la sous-direction de la magistrature a été réorganisée afin de mettre en place une véritable gestion individualisée des carrières des magistrats.
L’encouragement et la valorisation de la mobilité externe seront une des priorités à laquelle celle-ci devra répondre.
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Notre Justice a également besoin d’une réforme de sa procédure pénale.
L’affaire Outreau nous a montré que l’équilibre entre les droits de la défense et l’efficacité de la procédure, nécessitait d’être repensé.
Pour que la justice soit mieux acceptée et mieux comprise, nous devons la plus rendre plus transparente.
Cette exigence de transparence m’a conduit à proposer l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires de garde à vue en matière criminelle.
Chacun d’entre vous a en mémoire des procédures au cours desquelles la transposition des déclarations sur les procès verbaux a été contestée. Leur enregistrement aurait permis d’écarter toute suspicion à l’égard des enquêteurs.
Lors d’un déplacement en Grande-Bretagne, j’ai pu constater à quel point les policiers étaient attachés à cette mesure protectrice qui, pourtant, avait été âprement débattue lors de son adoption.
Ce même souci de transparence doit s’appliquer aux interrogatoires devant le juge d’instruction, même si je n’ignore pas que la comparaison avec la police n’est pas pertinente parce que le greffier authentifie les procès-verbaux. L’enregistrement réalisé pourra être consulté en cas de contestation du contenu du procès-verbal d’interrogatoire, et protégera l’ensemble des acteurs du procès.
Nous devons aussi lutter contre les détentions provisoires excessives.
Il est nécessaire de rendre à la détention provisoire son caractère exceptionnel. Pour cela, le débat contradictoire sur la détention provisoire doit être public, aussi souvent que possible.
Par ailleurs, le critère de l’ordre public en matière de détention provisoire doit être limité.
S’il peut s’avérer nécessaire en matière criminelle, il doit être écarté pour la prolongation ou le maintien en détention dans une affaire correctionnelle.
Par ailleurs, il est nécessaire de renforcer le contrôle de la chambre de l’instruction sur la procédure lorsqu’une personne est en détention provisoire. C’est pourquoi le président de la chambre de l’instruction doit avoir la possibilité d’organiser, tous les 6 mois, une audience publique sur l’ensemble de la procédure.
Je souhaite aussi que nous renforcions les droits de la défense dans le procès pénal.
Renforcer les droits de la défense implique avant tout de favoriser le travail collégial des magistrats, garantie d’efficacité et d’impartialité pour les justiciables.
Dénoncée depuis de longues années, la solitude du juge d’instruction a sûrement été l’une des causes de l’affaire Outreau.
Pour mettre fin à cette solitude, les affaires criminelles et les affaires correctionnelles les plus complexes, qui donnent lieu à une cosaisine, doivent être instruites au sein d’un pôle de l’instruction.
Ces pôles permettront de favoriser le recours à la cosaisine, puisque le président de la chambre de l’instruction pourra, d’office ou à la demande des parties, imposer une cosaisine au magistrat instructeur initialement saisi.
Cette réforme de notre organisation judiciaire est une étape importante car elle accroît la spécialisation de notre justice.
J’ajoute que quelque soit l’endroit où l’affaire sera instruite, elle sera jugée par la juridiction territorialement compétente. Bien entendu, les affaires correctionnelles resteront instruites au sein du Tribunal de Grande Instance du ressort.
En outre, afin de renforcer l’instruction, j’ai décidé de créer des postes de premier vice-président, chargés de l’instruction, au sein des juridictions interrégionales spécialisées.
Il faut également donner une plus grande portée au principe du contradictoire.
Les parties doivent être informées par le juge des décisions ordonnant une expertise. Elles pourront lui demander de modifier la mission de l’expert ou de désigner un co-expert de leur choix si les circonstances le justifient, dans un temps strictement limité afin de clôturer l’instruction dans des délais raisonnables.
Le règlement des informations doit être, lui-aussi, plus contradictoire. Le juge doit pouvoir statuer au vu des réquisitions du parquet et des observations des parties qui, chacun, auront la possibilité de répliquer à ces réquisitions ou observations.
L’ordonnance de règlement doit tirer les conséquences de cet échange et préciser les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen.
J’ai demandé au Premier ministre les moyens nécessaires à la mise en œuvre de cette réforme, dont l’application sera progressive.
Le coût précis de la réforme de la justice ne pourra être établi qu’à l’issue de l’adoption des textes de loi et du calendrier de sa mise en œuvre. Les estimations fournies par la Direction des Services Judiciaires ne nécessiteraient qu’une augmentation de 30 millions d’euros du budget du ministère de la Justice.
Cette évaluation prévoit la création de 70 emplois nouveaux de magistrats pour les pôles et les chambres de l’instruction ainsi que 102 emplois de personnels de greffe. Elle inclut également les coûts immobiliers induits par la création de ces pôles. Enfin, j’ai demandé que la réforme soit accompagnée d’une amélioration de la situation indemnitaire des personnels concernés. J’ai bon espoir d’aboutir à un budget renforcé qui sera à la hauteur de cet enjeu.
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Vous savez que je ne suis pas favorable à une révolution judiciaire.
Nous avons tous à cœur de défendre les principes fondateurs de notre modèle judiciaire. Je suis intervenu à plusieurs reprises pour défendre la place du juge d’instruction. Le risque de sa remise en cause s’est un peu dissipé. Mais les adversaires de notre modèle ont alors trouvé un nouveau cheval de bataille : la séparation du siège et du parquet. Je souhaite en appeler à votre très grande vigilance pour résister aux tentations séparatistes.
L’unité du corps des magistrats fait partie des principes sur lesquels je ne transigerai pas. Je voudrais solennellement rappeler que les membres du parquet sont pleinement des magistrats et que leur transformation en corps de fonctionnaires serait une régression démocratique.
L’appartenance à un même corps n’empêche pas que les rôles soient différents. Dans leur pratique quotidienne, les magistrats observent scrupuleusement la séparation de l’autorité de poursuite et de l’autorité de jugement qui est inhérente à notre droit.
J’ai confiance dans notre justice et dans ses magistrats. Vous exercez un métier difficile et vous êtes amené à prendre des décisions qui emportent des conséquences graves sur les libertés individuelles. Ce métier si particulier, vous l’exercez avec honneur et dignité, que vous apparteniez au siège ou au parquet.
Vous pouvez compter sur moi pour continuer à défendre ce principe essentiel à notre organisation judiciaire.
Je vous remercie de votre attention.
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Discours Dominique Barella, président de l’USM le 20 octobre 2006 au congrès de l’Union Syndicale des Magistrats
http://usm2000.free.fr/article.php3?id_article=109
Monsieur le Ministre, Monsieur le représentant du Premier ministre, Mesdames et Messieurs les représentants de l’UNSA, du CNB et de la FNUJA, du SJA, du SJF et de Synergie-Officiers Mesdames, Messieurs, chers collègues,
A l’heure où je quitte la présidence de l’USM, je veux surtout m’adresser à vous chers collègues après ces années d’engagement commun pour l’idéal de justice, après des années de bruit et de fureur judiciaires.
I. La France EST au ban de l’Europe judiciaire
Au congrès de l’Association européenne des magistrats à Vilnius puis au congrès de l’Union Internationale des magistrats à Budapest, la France a été critiquée pour son peu de respect à l’égard de sa propre justice : tentatives de verrouiller les nominations en doublant le nombre des personnalités politiquement désignées au sein du Conseil supérieur de la magistrature, mise en place d’un système de primes au rendement, stigmatisation des juges et de leurs décisions, tentative de faire entrer l’acte juridictionnel dans la sphère disciplinaire, projet de donner aux maires des pouvoirs de contrôle et d’influence sur la politique pénale, maintien du Président de la République et du ministre de la justice à la tête du CSM, abus d’utilisation du secret défense (affaire des frégates de Taiwan et affaire Borel), instrumentalisation de la justice (affaire Clearstream), budget sous-dimensionné, etc. Ainsi, par deux fois en un an la France a été condamnée à l’unanimité pour ses comportements antidémocratiques envers la justice. Cela confirme le recul de la France, pays des Lumières et de la séparation des pouvoirs, devenue la lampe de poche judiciaire de l’Europe. C’est pourquoi monsieur le Ministre le 18 octobre 2006 je vous ai demandé solennellement, dans l’intérêt général, de bien vouloir retirer votre projet en ce qu’il comporte des dispositions inacceptables concernant la composition du Conseil supérieur de la magistrature et la déontologie des magistrats.
Que le Premier président et le Procureur général de la Cour de cassation aient dû monter au créneau pour défendre le tribunal de Bobigny contre les attaques mensongères d’un membre du gouvernement est symptomatique d’un affaissement des valeurs démocratiques.
Ce ne furent pas les seuls mauvais moments judiciaires que nous avons vécus de ces dernières années.
Il y eu aussi l’affaire de Toulouse, l’affaire d’Outreau et, plus généralement, la perte de confiance des Français dans leur justice, l’augmentation importante des agressions physiques contre les magistrats, la création de juges de proximité, notables de justice aussi inutiles qu’incertains, les primes au rendement renomées « primes modulables » mais qui traduisent le basculement d’une justice de qualité vers une justice productiviste. Ou encore les propos haineux du style « le juge doit payer » ou les multiples réformes gadget : Sarkozy 1, Sarkozy 2, Sarkozy 3, Sarkozy 4, Sarkozy 5 ; Perben I Perben II. Et peut être Clément I ? Chaque réforme signant l’inutilité et l’échec de la précédente, réformes vides de sens qui ne firent que résonner dans la grosse caisse médiatique.
Chaque fois, comme pour la réforme qui sera présentée le 24 octobre prochain au Conseil des ministres et pour le projet relatif à la prévention de la délinquance, pas la moindre étude d’impact, pas le moindre euro supplémentaire. Et toujours les mêmes fantasmes sur la justice et les magistrats, prétendument irresponsables, que certains voudraient coupables à tout prix, coupables à n’importe quel prix.
Ainsi en est-t-il de la tentative d’audition de Fabrice Burgaud devant les rapporteurs du CSM reportée à la demande de ses avocats. Ils avaient reçu, la veille de l’audition à 17 heures, 1652 pièces secrètes de la procédure devant l’Assemblée nationale. Qui s’est prêté à cette violation évidente des droits de la défense, à ce détournement de procédure ?
La commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau avait pourtant affirmé qu’elle ne cherchait qu’à qu’améliorer le fonctionnement de la justice, qu’elle n’était pas une commission spéciale d’instruction disciplinaire. Remarquez, nous avions des doutes sur la bonne foi et l’éthique des uns et des autres en observant le comportement du rapporteur, agressif et peu respectueux des personnes. Mais peut être y a-t-il deux poids et deux mesures ? Quand les magistrats sont mis en cause, même les moyens illégaux sont justifiés pour certains. Coupables à tout prix je vous l’ai dit, de la chair à canon médiatique pour artilleurs populistes et démagogues.
Pourtant, pour avoir beaucoup rencontré de magistrats dans toutes les juridictions au cours de ces six dernières années, comme secrétaire général puis président de l’USM, je peux dire que les magistrats méritent le respect. Travaillant beaucoup, tardivement, sous tension, avec des lois changeantes, sur fond d’agressivité de l’opinion publique, sous les critiques pas toujours objectives de la presse, sous la pression des élus politiques, les magistrats sont dignes de leur mission. Ils n’ont pas démissionné. Peut-être aurait-ils dû d’ailleurs ? Car il y a de l’abnégation et peut être de la folie à travailler dans les conditions dans lesquelles nous travaillons.
Oui vous devriez être respectés par les élus de la nation qui devraient être un tant soit peu reconnaissants pour votre dévouement à la République et à ses citoyens. Or ces dernières années nous n’avons récolté que de la haine et du mépris.
Si certains n’en sont pas convaincus, je vais vous relire les déclarations sur les magistrats de la jeunesse, tenues le vendredi 27 février 2004 en séance publique à l’Assemblée Nationale, par un député :
« ... les juges des enfants procèdent à des placements sans jamais demander l’avis des travailleurs sociaux qui connaissent pourtant bien mieux les familles et les enfants. L’affaire remontait parfois jusqu’au vice-président du conseil général que j’étais et il m’est arrivé d’appeler le juge, qui m’expliquait que ce n’était pas l’affaire du département et que nous n’avions que le droit de payer. Très honnêtement, les présidents de conseils généraux considèrent que cela ne peut pas durer... Les juges sont jaloux de leurs prérogatives. Dans leur esprit, il y a l’équation suivante : « le travailleur social n’est pas magistrat, donc il ne sait pas ». Or le juge des enfants ne voit l’enfant que dans son cabinet et travaille sur dossier sans jamais aller sur le terrain, ... ».
Je veux faire deux observations :
- Premièrement ce député se trompe : si dans l’affaire d’Outreau on avait un peu moins fait confiance aux services sociaux du département, on ne serait pas arrivé à cette catastrophe.
- Deuxièmement ces propos ne sont pas ceux d’un ministre de l’intérieur mais d’un député de la Loire qui depuis a fait une grande carrière politique. Vous le voyez les attaques contre les juges des mineurs ne sont pas une nouveauté. Une autre anecdote sur l’amateurisme et la mauvaise foi de certains élus.
Un autre député, Yves Bur, a évoqué récemment « l’aggravation de la délinquance existante sur Lingolsheim ». En illustration de son propos il a fait référence à un adolescent qui, je le cite, « venait d’être arrêté 150 fois ». Des propos qui ont fait, à n’en pas douter, un tabac dans l’arrondissement de M. Yves Bur et qui ont contribué à affoler la population et la rendre inquiète quand au comportement supposé empreint d’une excessive mansuétude, voire d’un laxisme coupable, des juges.
En vérité cet adolescent avait été déferré devant le juge des enfants le 3 août 2006, avec un total de 14 dossiers à son actif. Il venait d’avoir seize ans en juin 2006. Regretter l’absence de détention provisoire à son égard tenait de la manipulation puisqu’elle était impossible. De plus, pour des enquêtes préliminaires, parfois longues, le juge des enfants n’est pas saisi avant la clôture d’enquête. Les magistrats exercent, face à la délinquance, la mission aussi difficile qu’indispensable en démocratie de vérifier la culpabilité, et donc la validité des preuves, et de rechercher des sanctions proportionnées et favorisant la réinsertion. Même en Seine-Saint-Denis, où le nombre des agressions contre les personnes a augmenté de plus de 14 % depuis janvier 2006.
Face à ces problèmes graves et anciens, qui prennent leurs racines dans le contexte économique, sociétal et urbanistique, les faiblesses conjoncturelles et structurelles de l’institution judiciaire française éclatent en peine lumière :
- l’épuisement des tribunaux face au flux de textes complexes et instables ;
- la faiblesse des moyens financiers et humains, qui vaut à la justice française d’être placée au 37è rang en Europe pour son budget de la justice par habitant rapporté au PIB, selon le dernier rapport du Conseil de l’Europe sur la justice ;
Alors moi je vous le dit, j’ai du respect pour vous, beaucoup de respect et je suis fier d’avoir été, ces dernières années, la voix de ceux qui sont les bouches tant décriées de la loi et les acteurs d’une justice à la française tant brocardée.
On nous accuse de refuser toute critique, de nous draper dans notre indépendance. On nous reproche notre morgue, notre condescendance, d’être coupés des réalités, d’être irresponsables, démissionnaires, faibles contre la délinquance, trop répressifs face aux infractions. N’en jetez plus !
Je veux répondre à ce flot ininterrompu d’assertions aussi mensongères que manipulatrices. Oui, la justice peut être critiquée ! Oui, les magistrats peuvent être critiqués ! Oui, la justice doit être réformée ! Que le Parlement assume son rôle de contrôle est sain dans une démocratie. Il n’y a aucune atteinte à l’indépendance de la justice dans l’analyse, l’audit et le commentaire de la manière dont elle remplit ses missions. Encore faut-il que les critiques ne soient pas mensongères, que les attaques ne soient pas développées par pure démagogie par des politiciens empressés à faire oublier leurs échecs et leur impuissance par la critique des autres.
On nous accuse aussi de corporatisme : aimer son métier devient une tare, le défendre inadmissible. On préfère les magistrats peureux, soumis, quémandeurs, silencieux, aux ordres. Et bien non, nous continuerons à débattre dans l’intérêt collectif sur ce que nous connaissons quand même beaucoup mieux que beaucoup de commentateurs : le fonctionnement de la justice et la défense des libertés publiques au quotidien. Il n’y a aucun corporatisme à souhaiter que les lois soient moins nombreuses et plus simples, le budget de la justice plus important, la justice plus efficace, les personnels mieux formés et plus nombreux.
Connaissez-vous beaucoup de professions qui ne se contentent pas de demander plus d’argent et qui s’intéressent comme la nôtre à l’intérêt général et au bon fonctionnement des institutions ? Nous, magistrats, travaillons pour la sécurité, pour la réinsertion des personnes en difficultés, pour les familles déstructurées. Nous traitons les problèmes juridiques de nos concitoyens qui supportent les aléas de la vie : chômage, divorce, accident, expulsion, agression, surendettement, etc.
Quel beau métier au service des autres ! Mais dans ce pays s’occuper des autres, travailler pour la collectivité, est devenu le signe que l’on est pas un « gagneur ou une gagneuse économique » utile à la société. Regardons comme le moindre froncement de sourcil des débitants de tabac, profession fort honorable au demeurant, met en état de stress la classe politique. Je note qu’apparemment on ne considère pas qu’ils sont corporatistes quand ils râlent, à la différence des avocats ou des magistrats ces juristes casse-pieds. Cette noble profession de buraliste vend du tabac dont chacun connaît les dégâts sur la santé publique et le coût pour les finances publiques. Mais qui sont les réprouvés de la société ? Les magistrats, pas les buralistes : les premiers il est vrai sont tenus à la neutralité, alors que les seconds sont perçus comme de très importants agents électoraux.
Et pourtant, notre système judiciaire français est-il si mauvais ? Le Premier ministre, M. Dominique de Villepin, est venu l’an dernier à notre congrès. C’était courageux à lui d’apporter ainsi son soutien à la justice et aux magistrats à ce moment-là si décriés. Ce sens de l’Etat et de l’intérêt général mérite d’être salué, d’autant que le Premier ministre a récidivé dans l’objectivité puisque il a déclaré sur une grande radio il y a quelques jours : « Il n’y a aucune raison de mettre en cause la justice, je le répète, qui fait un travail difficile (...). » « Mais les juges font bien leur travail (...). » « Il faut renforcer les moyens dont disposent les juges, renforcer la gamme, parce que la prison n’est pas toujours la meilleure solution - le côté éducatif de la prison est pour le moins discuté dans un certain nombre de cas. Il faut donc être sévère, plus sévère, avec des moyens adaptés. Mais je crois que c’est un problème de moyens, un problème de coordination, et un problème d’intégration de la chaîne pénale : c’est-à-dire, il faut faire en sorte que les forces de l’ordre, la justice, marquent une continuité de l’action de la chaîne pénale... ». Des propos constructifs.
Je voudrais également reprendre les paroles de l’ancien président du Crédit Lyonnais, Jean Peyrelevade, qui, comme vous le savez a eu affaire avec la justice américaine : « Comme je le dis à mes amis, je suis un autodidacte de la procédure pénale comparée en France et aux Etats-Unis... Et je peux affirmer que le système français, avec ses humiliations, ses excès et ses dérapages, est infiniment plus protecteur des droits de la défense que le système américain. Ce qui, à mon sens, rend le système américain extrêmement dangereux, c’est que le procureur, à la différence du juge d’instruction français, n’instruit qu’à charge. En plus, il n’est pas tenu de transmettre à la défense les pièces du dossier. Enfin, quand on vous invite à plaider coupable pour éviter l’inculpation et le procès criminel, on vous demande de coopérer, autrement dit de donner des éléments à charge contre les autres suspects. En France, on appelle ça de la subornation de témoin. Autrement dit, on m’a déclaré coupable en m’accusant sur des preuves que l’on ne voulait pas me communiquer tout en me pressant de jouer les délateurs. Le débat contradictoire ne peut s’engager qu’au moment du procès devant un jury populaire, pas avant. En France, les avocats de la défense ont en main toutes les pièces du dossier bien avant le procès. » Voilà de quoi interpeller les zélotes du système accusatoire dont nous reparlerons en débat demain. Mais la campagne électorale ayant démarré sur les chapeaux de roue judiciaire, je pense qu’en matière de propositions pour la justice nous n’allons pas tarder à déjanter. Préférant anticiper, je vais faire un peu de droit pénal comparé.
Comme aurait pu le dire Alain Peyrefitte, qui fut ministre de la justice, « Quand la Chine judiciaire s’éveille, l’avenir radieux de la justice française pointe ». Je m’explique.
(à suivre)
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(suite du Dominique Barella, président de l’USM, le 20 octobre 2006)
Le tribunal de Zibo, dans la province chinoise de Shandong, teste un logiciel qui détermine les peines à appliquer aux coupables et donne des conseils au juge sur la peine à infliger. Le juge soumet certains éléments au logiciel, tels que la nature du crime, le préjudice subi par la victime, les circonstances atténuantes ou aggravantes. A partir de ces informations, le programme propose une sanction. En revanche, il ne se prononce pas sur la culpabilité, et le juge reste libre de suivre les recommandations de son processeur.
L’agence de presse officielle Chine Nouvelle décrit le processus dans le cas d’un accident de la route ayant tué une personne. La peine « générique » est d’un an de prison. Le juge signale au logiciel que l’accusé porte 90 % de la responsabilité, ce qui ajoute neuf mois au compteur, puis que celui-ci a promis une compensation financière aux proches de la victime. Aussitôt, le logiciel préconise une réduction de 15 à 25 % de la peine. Le juge a, dans ce cas, condamné le coupable à 13 mois de prison.
A Zibo, cette « justice assistée par ordinateur » a été testée sur plus de 1 500 affaires criminelles, selon le South China Morning Post. Le quotidien de Hong-Kong souligne que le logiciel peut traiter une centaine de crimes différents, du cambriolage à l’atteinte à la sûreté de l’Etat en passant par le viol. Plus de 50 % de ces crimes sont passibles de la peine de mort, selon le code pénal chinois. Sur toutes ces affaires, « personne n’a fait appel » assure l’agence Xinhua.
Ce dispositif est appelé à se généraliser selon le South China Morning Post. La Chine espère ainsi égaliser les peines infligées. Zhang Baosheng, professeur à l’Université de droit et de science politique à Xinhua affirme : « Les ordinateurs, sans émotions ni désirs, ne sont pas affectés par des facteurs externes lors de leurs prises de décisions ».
En France, si nous adoptions ce système et prévoyions des peines plancher en matière de récidive, nous pourrions automatiser les peines. Une case plaider-coupable pourrait même être ajouté sur ce beau logiciel chinois ! Mais étions-nous si loin de ce système lors des émeutes des banlieues avec les comparutions immédiates et les procès-verbaux automatisés qui se ressemblaient tous ?
Quels rendements nous pourrions obtenir ! Et sans primes pour les ordinateurs : un rêve bercyen !
Je pense que si nous mettions en place ce système qui permettrait de remplacer ces juges français irresponsables par des processeurs certains ordinateurs risqueraient de se faire taper sur le clavier par les plus hautes autorités de l’Etat. J’imagine déjà l’interrogatoire de mon nec Versa P 520 par Philippe Houillon, rapporteur de commission d’enquête, s’adressant à la Webcam : « Regardez moi dans les yeux P 520 et arrêtez de vous tourner vers vos informaticiens ! ».
Il est vrai que maintenant les ordinateurs disposent d’un processeur Intel double cœur, pas comme ces magistrats qui, eux, n’ont pas de cœur !
II. La réforme de la justice est un enjeu dÉmocratique majeur pollué par un contexte de communication populiste
Plusieurs dérives théoriques ou lubies à la mode sous-tendent de nombreux projets en matière d’ordre public et de sécurité.
- D’abord la tolérance zéro, une méthode en trompe-l’œil, critiquée même aux Etats-Unis d’où elle vient. Les états américains qui n’ont pas appliqué la tolérance zéro ont constaté la même chute du taux d’actes délinquants par habitant et par an que ceux qui l’avaient appliquée. Deux explication à cette chute de la délinquance : la progression importante du PIB américain - et donc la baisse du taux de chômage - et la baisse importante de la consommation de crack dans les grandes villes. D’ailleurs, tolérance à quoi et jusqu’où ?
- Vient ensuite le principe de précaution constitutionnalisé et appliqué à l’enfermement d’ordre public : hospitalisation d’office, détention, notamment provisoire, avec les dégâts que l’on a vu dans l’affaire d’Outreau. De 2001 à 2004 le nombre des peines fermes prononcées par les juridictions pénales a augmenté de 18 000. Est-ce cela que l’on appelle la démission et la démagogie des magistrats face à la délinquance ? Le projet prévention de la délinquance, en ce qu’il stigmatise les malades psychiatriques et privilégie l’hospitalisation d’office, va dans ce sens. Il pose le principe d’un contrôle social préventif en partant du postulat de la prédictibilité des passages à l’acte dangereux.
- Autre chimère, la transparence totale et son avatar la manie de tout filmer. Déjà un premier pas avait été franchi avec l’autorisation de sonoriser les appartements en enquête préliminaire. Puis vint les caméras dans les villes, les caméras sur les autoroutes et maintenant les caméras dans les cabinets de juges d’instruction. Ne nous arrêtons pas là ! Je propose des caméras dans le bureau du ministre de la justice, du ministre de l’intérieur et des membres de leurs cabinets pour pouvoir vérifier s’ils n’interviennent pas dans les affaires judiciaires et s’ils se comportent bien avec leurs interlocuteurs...
Une caméra dans les cuisines et les chambres à coucher des Français serait également de nature à éviter des violences conjugales et à permettre de statuer en toute connaissance de cause en matière de divorce et d’assistance éducative. Une caméra dans tous les bureaux permettrait aussi d’éviter le harcèlement sexuel au travail et aiderait les conseils des prud’hommes à statuer en cas de licenciement.
- Le refus de l’aléa dans une société rétractée sur elle-même prospère également. Et pourtant l’aléa c’est la vie, l’aléa c’est la mort. Au moment où la mort est cachée par la société, les médias passent leur temps à épier de malheureuses victimes effondrées censées « faire leur deuil » en direct. Jean-Pierre Pernaud est devenu le nouveau Freud, les Français se couchent physiquement et moralement devant les journaux télévisés, l’écran plat les psychanalyse en direct.
- La victimisation, la négation de la résilience, la recherche du responsable à stigmatiser à tout prix inspirent aussi les apprentis réformateurs. Faudra-t-il juger des irresponsables, détecter les mineurs de trois ans potentiellement délinquants comme suggéré par le principal syndicat de commissaires ? Déjà trois mineurs de cinq ans ont été exclus d’une école maternelle pour avoir « joué au docteur » avec une petite camarade du même âge. La couverture par la presse de ce sujet impliquant de prétendus dangereux obsédés sexuels de 5 ans illustre les dérives d’une société en perte de repères, qui se met à stigmatiser n’importe qui et n’importe quoi. Même ce qui aurait fait sourire ou aurait impliqué qu’une simple réprimande parentale il y a encore peu de temps.
- La technicisation à outrance a, elle aussi, des conséquences pernicieuses : la croyance dans la prédictibilité des actes humains et dans l’identification certaines des auteurs d’actes. Toutes choses porteuses d’insatisfaction et d’erreurs policières ou judiciaires. Fichiers, empreintes, bracelets, écoutes, les moyens d’investigation deviennent des fins d’enquête ou des preuves suffisantes. Et quand la technique échoue à prédire, le peuple en veut à l’expert et au juge qui doivent alors expier.
- L’obsession de la réactivité totale - sociale, économique, judiciaire, thérapeutique - fait elle aussi de nombreux dégâts. Tout doit se faire vite, dans l’instant et la précipitation : le temps de la réflexion est oublié, l’analyse préalable perdue, l’étude d’impact négligée, la mise en perspective évacuée. Communiquons vite, trouvons d’urgence une solution ! Comparution immédiate et traitement en temps réel des affaires impliquant des mineurs permettront d’évacuer plus, plus vite, toujours et encore. C’est cela, évacuons les mineurs, évacuons les anciens en tutelles, évacuons les jugements, évacuons les justiciables ! La LOLF c’est aussi cela, un monde judiciaire sans justiciables évacués des juridictions trop « insécures ». Comme cette victime qui a bénéficié d’une téléconférence depuis la cour d’appel de Versailles car le tribunal de Nanterre ne pouvait, faute de policiers, assurer sa sécurité ... Comme vous me le disiez il y a trois semaines, Monsieur le ministre, des webcam ce n’est pas cher et ça suffit ! Comme le juge de proximité d’ailleurs. Plus le juge est de proximité, plus la justice s’éloigne au profit de la téléjustice et de la justice à la télé. Une justice de vacuité autant que d’évacuation.
- Dernière lubie, la concentration des pouvoirs dans les mains d’élus s’autoproclamant comme seuls légitimes pour lutter contre la délinquance. On finira par voir les maires jouer au médecin généraliste et les présidents de conseil général s’estimer compétents pour la chirurgie de proximité au motif qu’ils ont été élus.
- Enfin, en clef de voûte de toutes ces fantasmagories, la bonapartisation de la Ve République avec son dernier avatar : la recherche du sauveur politique, auréolé de sa légitimité élective, en rapport direct avec le peuple qu’il est le seul à comprendre et qui le comprend, télévangéliste de la sécurité qui a tout compris et va tout réformer d’un coup de menton. Au passage les corps intermédiaires, syndicats, associations, et plus généralement tous les contre-pouvoirs, sont attaqués et disqualifiés. Le juge doit payer, l’expert doit payer. Faisons pénitence face à l’opinion sondagière, ce veau d’or sur l’autel duquel certains se croient autorisés à sacrifier les principes républicains. La mise au pilori devient un mode de dédouanement des responsabilités politiques et d’évitement des réformes nécessaires. En donnant un jouet à casser au peuple, on peut lui permettre de se défouler sans risque politique apparent. Attention cependant : en jouant avec la mèche de la stigmatisation, on risque de démobiliser les hommes et de déclencher une réaction en chaîne incontrôlée de haines antiinstitutionnelles.
III. UNE MÉTHODE ET UN CONTEXTE DONT DÉCOULENT DES RÉFORMES DANGEREUSES POUR LA SÛRETÉ ET LES LIBERTÉS
Certains utilisent la loi comme un moulin à prières et tourne autour du Parlement comme d’un stupa institutionnel. Les réformes tombent sans sens, au grès des nécessités de la communication politique dont la loi, notre norme commune, devient un simple accessoire.
Quelque Moloch gouvernemental, pour satisfaire son insatiable appétit de communication, dévore des kilomètres de lois de répression, de prévention, de sécurisation. Les lois ne sont plus des lois en elles-mêmes, elles ne sont plus que des lois pour ou des lois contre. On oublie d’ailleurs pour ou contre quoi dès le lendemain de leur vote. Le principal est que les journaux télévisés aient été abreuvés de leurs lots de communication gouvernementale. Mais, pour lancer des réformes, il faut d’abord travailler à les rendre indispensables.
Par exemple, pour justifier une réforme complète de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante plusieurs étapes manipulatoires sont nécessaires : 1. On assèche le budget de la justice. 2. L’institution dysfonctionne. 3. On prépare un état des lieux parlementaire de l’institution. 4. On communique de façon mensongère, par exemple contre le tribunal de Bobigny. 5. On annonce une réforme de reprise en main fondée sur les fausses théories que l’on voulait appliquer. Le tour de passe-passe législatif et de communication est joué, jusqu’ à la prochaine réforme ! Sur le fond, l’ordre public devient l’alpha et l’oméga des réformes judiciaires, alors que ceux-là mêmes qui le promeuvent ont critiqué cette notion dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau ...
Prenons l’exemple du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, actuellement débattu au Parlement. Il crée des confusions importantes entre soins et contrôle social, sanctions et contrôle social, sanctions et soins. Il instaure la confusion y compris dans les domaines de compétence, comme si tout devait relever de la sphère politique dans ce pays.
Le maire, dont le rôle est indispensable en matière d’urbanisme, d’aménagement, de logement, d’action sociale, de culture, de formation, d’économie et dont les décisions ont des conséquences importantes en matière de prévention de la délinquance, n’est pas le mieux placé pour s’occuper de politique pénale et de soins psychiatriques, comme l’ont rappelé les praticiens hospitaliers.
Car le maire, ne l’oublions pas, est en liberté surveillée politique. Il manque d’indépendance vis-à-vis de la pression locale directe. Il opère des délégations non contrôlées dans les grandes villes.
L’élection rend légitime mais pas forcément compétent en matière juridique, psychologique et sociale. Souvenons-nous aussi du peu de courage des responsables politiques quand ils étaient chargés de prendre les décisions sur les mises en libération conditionnelle des détenus purgeant des longues peines.
On assiste dans notre pays à un renouveau extrêmement fort du contrôle social, qui doit nous conduire à nous interroger sur son but, sa pertinence, son utilité et son impact.
Gardons un juste équilibre entre sécurité collective et libertés individuelles. Vieux débat qui devrait nous pousser à ne pas opérer dans la précipitation, et pour flatter l’opinion publique, à des arbitrages qui instaurent la confusion des rôles et des pouvoirs.
Ainsi en est-il du développement du nombre des fichiers informatiques déjà condamné par la CNIL, de la stigmatisation de personnes ou de groupes de personnes, de l’exigence de prédictibilité comportementale, de l’accroissement de la concentration des pouvoirs dans les mains des préfets et des commissaires de police.
Au congrès de Marseille, le 11 octobre dernier, les psychiatres hospitaliers ont unanimement condamné l’économie de la loi prévention délinquance, qui crée une sorte de lettre de camisole.
Oui, les professionnels de la délinquance et de la psychiatrie doivent s’adapter aux évolutions d’une société sans doute plus violente économiquement, culturellement, socialement et physiquement ! Oui, les délinquants majeurs et mineurs de 2006 ne sont pas les délinquants de 1945 ! Mais nous ne sommes responsable que des choix et décisions individuelles que nous prenons. Nous ne sommes pas responsables des évolutions collectives passées, actuelles ou à venir de la société. La légitimité de l’élu est dans ce champ d’intervention. De plus en plus impuissants à influer sur les grands secteurs de la société, certains élus se dédouanent en cherchant des boucs émissaires de leurs échecs. Les professionnels sont responsables de leurs actes, pas coupables des dérives de la société.
Le juge, ou le psychiatre, ne doit pas payer à chaque récidive non prédite, à chaque publication de mauvais chiffres statistiques sur les passages à l’acte. Le juge n’est qu’un recours. C’est déjà beaucoup. Ne lui en demandons pas plus, pas trop.
Pour l’avenir de la justice, pour votre avenir, battez-vous, faites vous respecter dans l’intérêt de nos concitoyens face à des élus qui ne rêvent, pour certains, que de vous asservir pour mieux asservir la justice. La magistrature est en marche, elle n’est pas couchée. Tous ensemble nous allons le rappeler dans les mois à venir. Avec vous partenaires policiers, éducateurs, avocats nous allons construirent la sécurité et la justice en valorisant les institutions et ceux qui les servent avec la passion de l’Etat, de l’intérêt général et des valeurs républicaines. Loin d’une rupture destructrice des institutions et des valeurs que nos anciens ont consciencieusement mises sur pied dans une démarche de progrès, loin des démarches consistant tour à tour à flatter puis à stigmatiser les juges, les avocats, les éducateurs et les policiers dans une dérive démagogique facile, je souhaite des états généraux de la sécurité et de la justice pour que le dévouement et les talents de tous soient mis en synergie. Merci et bonne chance à nous tous, bonne chance à chacun de vous, bonne chance à la justice de ce pays.
Dominique Barella, président de l’USM le 20 octobre 2006
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« L’élection rend légitime mais pas forcément compétent en matière juridique, psychologique et sociale. Souvenons-nous aussi du peu de courage des responsables politiques quand ils étaient chargés de prendre les décisions sur les mises en libération conditionnelle des détenus purgeant des longues peines. »
S’agit-il d’une question de « compétence » ? Surtout, lorsqu’on nous sort la compétence en matière « juridique » (comme si les citoyens n’etaient pas capables d’étudier les textes de loi), psychologique (avec le débâcle des « experts » dont on vient tout juste de prendre conscience) et « sociale » (qui est compétent en matière « sociale » ?).
Monsieur Barella voudra bien me pardonner, mais c’est l’exemple type d’un langage technocratique. Précisémént, c’est de cette façon que la France a été gouvernée depuis les années 1980 et le résultat est désastreaux.
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Mireille, envoies un lien ou fait un article mais là cest du n’importe quoi.
On dirait qu’il suffit que la Justice admette qu’elle est fautive pour que certains « citoyens » dépassent la mesure ou gueulent ou s’étalent plus fort que les autres. A choisir entre deux maux : une justice corrompue avec quelques bons magistrats malgrè tout et le manque de savoir-vivre de la populace, je préfère encore revenir à la première.
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Voir plus bas ma réponse de 21h04 . Mais en l’occurrence je ne me suis pas « étalée » moi-même. Bien au contraire, j’ai répercuté avec un maximum d’exactitude les propos tenus par le Garde des Sceaux et le Président de l’USM, que les médias avaient tendance à « simplifier ».
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Moi, je trouve ces textes très instructifs pour comprendre à qui on a affaire. Si tous les justiciables les liasaient, ce serait très bien.
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A mon avis, il faut absolument que les citoyens lisent ce genre de discours et en débattent. C’est très parlant quant à ceux qui « gèrent » l’actuelle société pensent vraiment des citoyens.
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Quel mal y a-t-il à rendre un peu plus visible ce qui a déjà été rendu public par les intéressés eux-mêmes ? Ces deux discours méritent d’être lus, car ils reflètent précisément ce qui se dit quand la « populace » n’est pas là...
D’ailleurs, on voit bien que la justice n’a jamais admis qu’elle est fautive. Il suffit de lire le discours du président de l’USM.
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Un autre document intéressant à lire est cet arrêt du Conseil d’Etat du 1er juin 2005.
Pascal Clément est également président du Conseil général de la Loire :
http://www.loire.fr/display.jsp?id=c_5661
A ce titre, il a remporté, la veille de sa nomination en tant que Garde des Sceaux, un important procès en Conseil d’Etat concernant un appel d’offres qui avait été désavoué par une tribunal administratif :
http://www.achatpublic.com/dmp/jp/Folder.2004-03-23.0239/AchatPublicBrevePro.2005-06-09.3616
Conseil d’Etat, 1er juin 2005, n°274053, Département de la Loire
Conseil d’État
statuant au contentieux
N° 274053
Mentionné aux Tables du Recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
Mlle Sibyle Petitjean, Rapporteur
M. Casas, Commissaire du gouvernement
M. Stirn, Président
SCP PARMENTIER, DIDIER ; SCP CHOUCROY, GADIOU, CHEVALLIER
Lecture du 1 juin 2005
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 novembre 2004 et 25 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le DEPARTEMENT DE LA LOIRE, représenté par le président du conseil général ; le DEPARTEMENT DE LA LOIRE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance du 22 octobre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant en application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’une part, a annulé la décision du 27 septembre 2004 de la commission d’appel d’offres du département rejetant l’offre de la société Demars, ensemble la procédure de passation du marché ayant pour objet la restauration extérieure du chevet de l’église du couvent des Cordeliers à Saint-Nizier-sous-Charlieu, d’autre part, lui a enjoint de recommencer la procédure au stade de la mise en concurrence ;
2°) de rejeter la demande de la société Demars devant le tribunal administratif de Lyon ;
3°) de mettre à la charge de la société Demars le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Sibyle Petitjean, Auditeur,
- les observations de la SCP Parmentier, Didier, avocat du DEPARTEMENT DE LA LOIRE et de la SCP Choucroy, Gadiou, Chevallier, avocat de la société Demars,
- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que selon les dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics, des contrats de partenariat, des contrats visés au premier alinéa de l’article L. 6148-5 du code de la santé publique et des conventions de délégation de service public./ Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par ce manquement (...)./ Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l’exécution de toute décision qui s’y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu’il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu’au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours. ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Lyon, que par un avis d’appel public à la concurrence envoyé à la publication le 19 juillet 2004, le DEPARTEMENT DE LA LOIRE a lancé un appel d’offres ouvert pour la restauration extérieure du chevet de l’église du couvent des Cordeliers à Saint-Nizier-sous-Charlieu ; que, la société Demars a vu son offre rejetée par une décision de la commission d’appel d’offres du 27 septembre 2004 ; qu’après avoir enjoint à la personne responsable du marché, par une ordonnance du 8 octobre 2004, de surseoir à la signature du contrat, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Lyon, saisi sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 551-1 du code de justice administrative par la société Demars a, par une ordonnance du 22 octobre 2004, annulé la procédure de passation du marché et enjoint au DEPARTEMENT DE LA LOIRE de reprendre cette procédure au stade de la mise en concurrence ; que le DEPARTEMENT DE LA LOIRE se pourvoit en cassation contre cette dernière ordonnance ;
Considérant que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a annulé la procédure de passation du marché au motif qu’en n’indiquant pas dans l’avis d’appel public à la concurrence publié dans le bulletin officiel des annonces des marchés publics, dans le Moniteur et dans le Progrès le montant prévisionnel du marché, alors pourtant que ce montant avait été préalablement évalué par la commission permanente du conseil général de la Loire dans sa délibération en date du 7 juin 2004, le DEPARTEMENT DE LA LOIRE avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; qu’en statuant ainsi, alors qu’aucune disposition du code des marchés publics ni aucune autre règle ne met à la charge de la personne responsable du marché une obligation de publicité quant au montant prévisionnel du marché qu’elle entend attribuer, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Lyon a commis une erreur de droit ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de sa requête, le DEPARTEMENT DE LA LOIRE est fondé à demander, pour ce motif, l’annulation de l’ordonnance attaquée ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Demars ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit, la personne responsable du marché n’est pas tenue à une obligation de publicité en ce qui concerne le montant prévisionnel du marché qu’elle entend passer ; que, par suite, la société Demars n’est pas fondée à soutenir que l’absence d’une telle indication dans l’avis d’appel public à la concurrence envoyé à la publication par le DEPARTEMENT DE LA LOIRE le 19 juillet 2004 était constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à ce dernier ;
Considérant que, en vertu des dispositions du II de l’article 57 du code des marchés publics : Le délai de réception des offres ne peut être inférieur à cinquante-deux jours à compter de la date d’envoi de l’appel public à la concurrence. (...) Ce délai peut toutefois être ramené à vingt-deux jours minimum : (...) b) Pour les marchés de travaux dont le montant est compris entre 230 000 euros HT et 5 900 000 euros HT. ; que par sa délibération du 7 juin 2004 la commission permanente du conseil général de la Loire a fixé à 400 000 euros le montant estimé du marché ; que, par suite, en prévoyant dans l’avis d’appel public à la concurrence envoyé à la publication le 19 juillet 2004 un délai de 45 jours entre cette date et la date limite de réception des offres, le DEPARTEMENT DE LA LOIRE n’a pas méconnu les dispositions précitées du code des marchés publics ;
Considérant que selon les dispositions du VI de l’article 40 du code des marchés publics : Les avis mentionnés aux III, IV et V sont établis conformément aux modèles fixés par arrêté du ministre chargé de l’économie ; que si l’arrêté du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 30 janvier 2004 fixant, en application de ces dispositions, le modèle de formulaire des avis relatifs à la passation de marchés publics, dont le montant est inférieur au seuil communautaire, pour leur publication dans le bulletin officiel des annonces de marchés publics a prévu une rubrique relative aux modalités de financement et de paiement du marché, cette rubrique n’est pas au nombre de celles que l’arrêté fait obligation à la collectivité publique de remplir ; qu’ainsi en ne mentionnant dans l’avis d’appel public à la concurrence du marché en cause que les modalités essentielles de paiement, sans indiquer les modalités essentielles de financement, le DEPARTEMENT DE LA LOIRE n’a méconnu ni les dispositions de l’arrêté du 30 janvier 2004, ni ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que pour apprécier les offres des entreprises candidates le DEPARTEMENT DE LA LOIRE a retenu un critère relatif au prix et un critère relatif à la valeur technique de l’offre ; que la société Demars n’est pas fondée à soutenir que le choix de ce second critère n’était pas justifié eu égard, d’une part, au choix fait par la collectivité de recourir à un appel d’offres sans variante et, d’autre part, à l’objet du marché envisagé lequel consiste en des travaux de restauration d’un couvent ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que les modalités prévues par le DÉPARTEMENT DE LA LOIRE pour apprécier la valeur technique des offres ne sont pas pertinentes ; qu’en particulier, contrairement à ce que la société soutient, les renseignements demandés au titre de la présentation des offres, distincts de ceux demandés pour la présentation des candidatures, n’étaient pas étrangers à la nature des prestations demandées ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société Demars n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision du 27 septembre 2004 par laquelle la commission d’appel d’offres du département a rejeté son offre ainsi que celle de la procédure de passation du marché dans son ensemble ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Demars la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par le DEPARTEMENT DE LA LOIRE et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, ces dispositions font obstacle ce que soit mise à la charge de cette collectivité, qui n’est pas la partie perdante, la somme demandée par la société Demars au titre des mêmes frais ;
DECIDE :
Article 1er : L’ordonnance du juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Lyon en date du 22 octobre 2004 est annulée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Demars devant le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Lyon et devant le Conseil d’Etat sont rejetées.
Article 3 : La société Demars versera au DEPARTEMENT DE LA LOIRE une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DE LA LOIRE et à la société Demars.
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Ce qui, à mon sens, tend à prouver que les institutions françaises manquent de règles d’incompatibilités beaucoup plus strictes. On ne devrait pas pouvoir être à la fois responsable d’une administration qui est un justiciable potentiel (Conseil général ou régional, mairie...) et Garde des Sceaux.
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