Pour revivifier la démocratie : changement de république ou évolution constitutionnelle ?
Dans le contexte électoral actuel, on ressent une contradiction entre une volonté des principaux candidats de faire de la politique autrement (volonté au moins affichée) et une timidité dans leur propositions institutionnelles pour que, des citoyens aux élus, la politique retrouve sa véritable raison d’être dans une démocratie revivifiée.
1.-Introduction
Un des traits de la campagne présidentielle 2007 tient à l’affirmation des principaux candidats : faire de la politique autrement. N. Sarkozy prône la rupture tranquille, S. Royal, la démocratie participative et F. Bayrou récuse l’alternative gauche-droite. On est donc conduit à la question des institutions de la Ve République : restent-elles encore compatibles avec ces affirmations ? Il est vrai que ces élections laissent présager un flottement dans le fonctionnement de ces institutions. Va-t-on vers régime présidentiel renforcé ? Jusqu’où ira la confusion entre le rôle du Premier ministre et celui président ? Le Premier ministre ne sera-t-il que le porte-parole du président ? Par ailleurs, la question du Sénat reste récurrente dans la Ve République : rappelons à cet égard l’échec du général de Gaulle lors du référendum du 27 avril 1969. Ajoutons les effets pervers du financement public des partis politiques, tout particulièrement illustrés par la multiplication des candidatures, les problèmes soulevés par le parrainage des candidats, le scandale de l’absentéisme à l’Assemblée nationale...
Pourtant, il ne s’agit pas de trouver dans une VIe République la solution à tous les problèmes : des changements constitutionnels sont déjà intervenus sans que la république ait changé de numéro ! Et non des moindres : il suffit de mentionner, parmi les vingt-trois exemples, celui consistant à introduire, dans la constitution de 1958, l’élection du président de la République au suffrage universel ; cette modification constitutionnelle majeure a été adoptée lors du référendum du 28/10/62 à une nette majorité (près de 62%) ; trente-huit ans plus tard, une loi constitutionnelle faisait passer le mandat présidentiel de sept à cinq ans. Ainsi, parmi les diverses propositions d’évolution constitutionnelle, je propose une réflexion sur trois d’entre elles paraissant de nature à revivifier la démocratie : le système électoral, la limitation des mandats électifs, une décentralisation modernisée.
2.- Pour un système électoral conciliant représentativité et stabilité
Pour la représentation des citoyens, les codes électoraux sont divers et variés suivant les pays, leurs mœurs politiques, leur histoire. Mais on décèle deux tendances qui, de fait, s’opposent : le système majoritaire avec le scrutin uninominal à un tour à l’issue duquel le candidat ayant obtenu le plus de voix est élu (grande stabilité de l’exemple anglais) ; le système proportionnel, plus sûr moyen d’avoir une représentation nationale fidèle à l’état du pays mais aussi la meilleure façon de rendre difficile l’exercice du pouvoir gouvernemental.
Compte tenu de l’écart entre ces deux systèmes et leur inadéquation à la situation française marquée par la multiplicité des partis politiques avec existence d’extrêmes à gauche comme à droite, un autre mode de scrutin a été retenu avec une élection à deux tours : un premier ouvert à tous avec ainsi une expression possible des petits partis et un deuxième avec une règle d’élimination n’autorisant que les candidats ayant atteint 12,5% des inscrits à se maintenir. Un tel système permet que se dégage une majorité de gouvernement mais il élimine une forte proportion du corps électoral dans la représentation nationale. Regardons d’un peu plus près : si l’on évalue à 90% le nombre de citoyens inscrits sur les listes électorales, avec un taux d’abstention de 40% (facilement atteint pour ces dernières élections !), une élection avec 50% des voix correspond à une représentation de 27% des hommes et des femmes électeurs dans la circonscription ! Peut-on se satisfaire d’une règle électorale où l’élu représente un quart des mandants, même si l’on pense que les non-inscrits et les abstentionnistes ont tort ?
C’est pourquoi l’idée de proportionnelle ne peut être rejetée aussi radicalement. Mais comment l’utiliser sans la payer en instabilité gouvernementale ? On y parvient pourtant en Israël, aux Pays-Bas, en Allemagne... Le système allemand est souvent cité comme bon exemple de compromis : une moitié des députés est élue au scrutin majoritaire à un tour sur une base géographique et l’autre moitié est élue à la proportionnelle sur liste nationale et sous réserve d’atteindre au moins 5%, chaque électeur disposant ainsi de deux voix à cet effet. Ce système s’est révélé satisfaisant car il permet une représentation plus équitable tout en permettant que se dégage une majorité. On note, toutefois, une difficulté : les marchandages relatifs aux postes ministériels entre partis s’associant après l’élection pour constituer le gouvernement, association ne correspondant pas forcément aux attentes de l’électorat.
On est alors conduit à évoquer, pour la France, un système électoral répondant aux quatre objectifs suivants :
- représentation nationale la plus fidèle possible à la réalité du corps électoral
- majorité gouvernementale clairement constituée devant le pays, excluant donc tractations et marchandages secrets
- attractivité électorale impliquant une procédure simple et donnant le sentiment d’être effectivement représenté, élément nécessaire pour faire reculer l’abstention
- incitation au regroupement politique : la créativité et l’invention politique ne doivent pas se payer par l’éclatement et la dispersion des partis.
On pourrait tendre vers ces objectifs en retenant la procédure suivante :
a) un parti ou une coalition de partis s’engage devant les électeurs dans un contrat de législature impliquant la formation d’un gouvernement. Cette coalition se fait avant les élections, en prenant les électeurs à témoin ce qui exclut la possibilité de tractation après l’élection avec toute formation ne s’étant pas inclus dans ladite coalition. Comme dans le système allemand, chaque électeur dispose de deux voix : l’une pour une élection locale (avec des circonscriptions naturellement agrandies) au scrutin uninominal majoritaire à un tour, l’autre attribuée à un parti avec un scrutin national proportionnel.
b) De deux choses l’une : ou bien un parti ou la coalition de partis s’étant engagé dans un contrat de législature obtient par addition des sièges locaux et nationaux la majorité absolue et il (ou elle) forme un gouvernement ; ou alors, il (elle) ne possède qu’une majorité relative : dans ce cas, ce parti (ou cette coalition) se voit attribué les sièges acquis localement auxquels s’ajoutent les sièges nationaux dont le nombre permet d’atteindre la majorité absolue (moitié du nombre total de sièges à pourvoir plus un). A l’intérieur de la coalition, ces sièges nationaux sont attribués à chaque composante avec la même règle proportionnelle. De même, dans l’opposition, chaque parti dispose des sièges acquis localement auxquels s’ajoutent ceux qui restent à attribuer nationalement répartis dans chaque formation de cette opposition, là encore avec la même règle proportionnelle.
Un système électoral qui suivrait ces principes présenterait bien des avantages. Tout en obtenant une majorité électorale dès le premier tour (simplification !), la représentation nationale respecterait la volonté des électeurs tant du point de vue des réalités locales que de la diversité des opinions. Bien sûr, cette majorité pourrait se révéler faible, voire, dans certaines situations exceptionnelles, devenir minoritaire comme cela a déjà existé sans qu’il en ait découlé de crise (1988). En outre, une pression s’exercerait naturellement en faveur des regroupements politiques constructifs et non pas seulement opportunistes ; la conséquence serait un encouragement pour la recherche de convergence entre partis proches et freinerait la multiplication des partis et, donc, l’émiettement des idées. Reste le point le plus délicat : le mode électoral évoqué ici entraînerait l’entrée des extrêmes à l’Assemblée nationale. D’aucuns pourraient en retirer la crainte de voir ces extrêmes prendre appui sur cette bénédiction institutionnelle pour se développer jusqu’à mettre en danger la démocratie parlementaire, ou plus simplement, déjà, donner un statut honorable à des thèmes antinomiques de cette démocratie. Inversement, on peut penser qu’une telle situation serait l’occasion de désamorcer ces thèmes en faisant apparaître leur caractère pernicieux, inapproprié et antidémocratique. En tout état de cause, vouloir ignorer plusieurs millions d’électeurs en les sevrant de toute représentation nationale n’est sûrement pas le meilleur moyen de les faire changer d’avis !
Enfin, le nombre de voix obtenues par chaque parti dans le vote proportionnel pourrait être utilisé pour définir un critère de candidature aux présidentielles, réglant ainsi la question des parrainages si controversée actuellement. Un autre débat s’ouvre alors : faut-il utiliser ce critère sur la base des législatives précédentes ou alors doit-on envisager l’inversion temporelle des élections présidentielles et législatives ?
3.- Limitation du nombre des mandats
Qu’y a-t-il de plus scandaleux que la vision d’une Assemblée nationale où semblent perdus une poignée de parlementaires ? La charge des députés serait si lourde ? De qui se moque-t-on ? On sait bien que la raison principale résulte du cumul des mandats. L’idée du renforcement du rôle du Parlement semble majoritaire dans le pays ; des forces politiques de tous bords la soutiennent. Que l’on se donne donc les moyens de ce renforcement en exigeant des élus du peuple qu’ils assument la confiance accordée par ceux qui les ont envoyés au Palais Bourbon. L’absentéisme actuel est une véritable désertion et les déserteurs ne sont généralement pas les derniers pour accuser l’excès de pouvoir de la fonction présidentielle.
L’argument souvent mis en avant pour justifier le cumul des mandats est la complémentarité entre activité politique locale et nationale. Mais la désertion nationale de fait, rend cet argument sans valeur.
Il est courant de dire que la France vit sous le régime de monarchie élective. Seule une Assemblée nationale vivante, rassemblant tous les élus du peuple, l’absentéisme restant concevable mais devant être exceptionnel, peut conduire à un fonctionnement constitutionnel retrouvant les sources de la démocratie. Naturellement, cela va de pair avec le point précédent relatif au mode électoral permettant la représentation de toute la nation.
Ainsi pourrait-on donner un sens à la question récurrente depuis 1962 : l’équilibre entre la fonction présidentielle et le rôle du parlement et en espérer une évolution positive.
4.- Pour une décentralisation du XXIe siècle
Depuis les lois Defferre de 1982, la décentralisation a fait un grand pas en avant avec la création des régions. Mais à part les dispositions de 1999 sur les regroupements de communes et celles de 2003 sur l’institutionnalisation du rôle des diverses collectivités locales, peu de choses ont vraiment changé : la décentralisation reste encore plutôt une déconcentration de l’action de l’État avec des transferts de moyens financiers contestables et une bureaucratie en augmentation. On en arrive aujourd’hui à dénombrer vingt-six régions, cent départements, 36 782 communes, six territoires et collectivités à statuts particuliers sans oublier les 2455 communautés de communes ou d’agglomérations et les 18 510 syndicats de communes ou d’agglomérations nouvelles !
La fonction du maire, l’élu le plus proche des citoyens, n’est pas contestée : il incarne la démocratie de proximité. La notion de communauté de communes limite l’inadéquation de certaines communes trop petites pour trouver justification administrative et capacité de fonctionnement (de là pourraient d’ailleurs naître certaines fusions de communes). Les régions sont les pièces maîtresses pour réformer un État « colbertiste et jacobin » et leur rôle est appelé à s’affirmer. Restent les départements, pour l’essentiel vestiges napoléoniens ; leur action dans le domaine sanitaire, social, de l’éducation, de l’aménagement du territoire s’insère arbitrairement entre celle des communes et celle des régions. A l’évidence, leur maintien est essentiellement dû au poids qu’exerce, dans les partis politiques, la masse des élus départementaux (près de 4000 conseillers généraux !), souvent plus notables que véritables agents de la vie démocratique locale. Leur suppression apporterait simplification et recul de la bureaucratie, contribuant ainsi à la reviviscence de la démocratie territoriale. Une telle suppression peut se concevoir de manière crédible avec un mode d’élection des conseillers régionaux analogue à celui des députés : scrutin à un tour avec deux voix par électeur, l’une exprimée sur une liste régionale à la proportionnelle, l’autre utilisée à l’échelle locale de super cantons, le tout comptabilisé avec la règle majoritaire présentée plus haut. Il en résulterait, en outre, une modernisation du Sénat qui, tout en conservant sa fonction d’équilibre territorial avec la représentation nationale, verrait sa caractéristique d’assemblée de notables conservateurs reculer en reflétant plus fidèlement les réalités locales.
5.- Conclusion
Ce texte pourrait apparaître comme un exercice de droit constitutionnel de café du commerce. Mais ne recouvre-t-il pas des questions posées depuis les débuts de la Ve République et notamment depuis le référendum raté de 1969 qui avait entraîné la démission de Charles de Gaulle ? L’utilisation du vote proportionnel n’est-elle pas régulièrement revendiquée ? En cette période d’élections présidentielles, n’a-t-on pas entendu S. Royal défendre le non-cumul des mandats des députés et F. Bayrou envisager la suppression des départements ?
Mais il n’est pas nécessaire d’invoquer une VIe République, changement suggérant une situation de crise (il suffit de se rappeler l’avènement des républiques successives !) dont résulterait une prime aux conservateurs et rien ne bougerait. Il suffit de lois constitutionnelles traduisant l’adhésion des citoyens et reposant sur la volonté politique des élus, à commencer par celle de la personne qui sera bientôt portée à l’Élysée.
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