Retraites : lettre aux apôtres de la capitalisation
1) Le premier est « l’équité intergénérationnelle » : les droits à pensions que se constitue la génération aujourd’hui au travail seront une charge excessive pour la génération future (Non ! Par contre, les droits institutionnels à créer du crédit à rembourser avec intérêts que constitue la génération aujourd’hui seront une charge excessive pour la génération future ! Ndlr). Il faut donc que chaque génération, au moins partiellement, finance ses propres pensions par de l’épargne qui sera liquidée lors de son entrée en retraite.
2) D’autant plus que – second argument – le travail va manquer relativement aux besoins à satisfaire (on reconnaît là la rhétorique du « problème démographique »), et nous serons heureux lorsque viendra la disette d’avoir épargné des fonds que nous pourrons alors liquider pour compenser le déficit en travail.
Ces deux arguments sont faux.
(…)
Le raisonnement selon lequel le recul de la part des actifs occupés rendra impossible le financement des retraites en répartition est aussi absurde que si l’on avait prédit au début du 20ème siècle la famine pour la France du 21ème parce que la part des paysans allait se réduire à moins de 3% de la population. Depuis plus de soixante ans, nos régimes de pension par socialisation du salaire nous montrent que nous avons assumé sans aucun problème une croissance du poids des pensions dans le PIB très supérieure à sa croissance future. Au cours des cinquante dernières années, les pensions sont passées de 5% à 12% du PIB (en France), alors qu’au cours des cinquante prochaines, elles devraient passer de 12% à 20% si l’on supprimer les réformes menées depuis 1987 : le poids de pensions a été multiplié par 2,4 de 1950 à 2000, il devrait l’être par 1,7 seulement d’ici 2050. A moins de fonder les calculs sur une perspective de stagnation du PIB ce qu’aucun des réformateurs ne fait, cette décélération (alors que le discours du choc démographique suppose une accélération fantasmée) signifie évidemment une plus grande facilité demain à absorber la hausse du poids des pensions, alors même qu’elle l’a été sans difficulté jusqu’ici. Cette facilité s’explique simplement : le PIB doublant de volume tous les quarante à cinquante ans, la progression plus rapide d’un de ses éléments s’accompagne de la progression, et non pas de la régression, de la richesse disponible pour les autres composantes. Dans un PIB qui augmente, il n’y a pas besoin de déshabiller les actifs pour habiller les retraités.
(…)
La monnaie déposée pour l’épargne sert à acheter des titres financiers qui n’ont en eux-mêmes aucune valeur. Mais - et c’est l’origine de la croyance dans leur capacité à congeler de la valeur - ils sont des titres de propriété dotés de droits à valoir sur la monnaie en circulation le jour où ils seront liquidés. Si la monnaie ne préexiste pas à cette transformation des titres en monnaie, les titres ne valent rien. Or c’est le travail courant (ici et maintenant. Ndlr) qui rend possible cette création de monnaie préalable à la liquidation des titres. Autrement dit, à supposer que les retraites soient assurées par l’épargne des fonds de pensions, la vente de titres nécessaire à la transformation de l’épargne en pensions en 2040 sera fonction de la monnaie dont disposeront alors les actifs désireux de les acheter pour se constituer eux-mêmes des droits. Cette monnaie sera l’équivalent de ce qu’ils auront produit par leur travail de l’année 2040. Dans ce cas, l’épargne ne sert à rien puisque les actifs auraient pu affecter à un régime en répartition cette monnaie utilisée pour acheter des titres (pourquoi capitaliser pour demain - mode égoïste - alors que nous pourrions socialiser pour aujourd’hui - mode solidaire ?! Ndlr). Qu’on soit en répartition ou en capitalisation, c’est toujours le travail de l’année qui produit la richesse correspondant à la monnaie qui finance les pensions de l’année (ce n’est pas notre épargne qui s’occupera de nous en 2040 mais bien le travail et le temps des infirmières, des kinés, des restaurateurs et des proches en 2040 ! Ndlr). L’épargne ne peut donc en aucun cas être un substitut du travail, ni permettre à chaque génération de financer ses pensions.
La promotion de l’épargne repose en réalité sur deux choses.
1) D’une part, la propriété de titres (capitalisation) permet de ponctionner de la monnaie sur le travail du monde entier, alors que la répartition est réduite à l’espace national des règles politiques du droit du travail : magie du raisonnement impérial.
2) D’autre part, comme le rendement des titres est, hors les situations de crise financière aigüe, supérieur au taux de croissance, la rente progresse plus vite que les salaires et donc que les cotisations pour la retraite, qui progressent moins vite que le taux de croissance : faire valoir, en faveur de la capitalisation, qu’il est plus rentable d’épargner que de cotiser, c’est avouer très ingénument que toute épargne retraite est un vol sur le travail d’autrui, et qu’il est infiniment plus rentable d’avoir un portefeuille de titres que de travailler.
Promouvoir la propriété d’usage suppose de s’attaquer à la propriété lucrative, dont la pension comme salaire continué montre l’inutilité. La propriété lucrative est défendue par les réformateurs au nom de l’investissement, qui suppose, disent-ils, des investisseurs. Or qu’est-ce qu’un investisseur ? Le discours courant, soigneusement entretenu par le discours savant, dit qu’il apporte un indispensable capital. Rien n’est plus faux. Un investisseur n’apporte rien. Un investisseur qui « apporte » par exemple un million d’euros pour une entreprise n’a pas un million d’euros en billets dans une valise, pas plus que les titres dont il est porteur ne sont dotés, par une curieuse métaphysique, d’une quelconque valeur : ce sont des titres de propriété lucrative qui vont lui donner le droit de ponctionner un million sur la valeur attribuée au travail d’aujourd’hui. Un investisseur est un parasite qui a le droit de ponctionner une partie de la valeur de la production contemporaine pour transformer les producteurs ainsi expropriés en forces de travail et les contraindre à produire les marchandises qu’il a décidé de produire, bref à travailler sous le joug de la valeur travail. Un investisseur nous vole et nous aliène dans la même opération.
Dans l’expérience réussie de la cotisation vieillesse (tout le monde cotise aujourd’hui pour les personnes âgées d’aujourd’hui, Ndlr), on a la démonstration à grande échelle de l’intérêt qu’il y a à se passer d’investisseurs financiers. Cette cotisation est la façon d’assurer sans épargne des engagements massifs et de long terme, comparables à l’investissement. Sur le modèle de la cotisation sociale, on peut parfaitement financer sans épargne l’investissement. S’il est possible de financer la pension au plus grand bénéfice des régimes et des pensionnés sans aucune logique d’épargne et de prêts, il est possible de financer l’investissement de la même façon en affectant une cotisation économique au salaire (de l’ordre de 35 % du salaire brut), prélevée sur la valeur ajoutée comme les cotisations sociales ou le salaire direct. Cette cotisation serait collectée par des caisses d’investissement qui financeraient sans taux d’intérêt, puisqu’il n’y aurait pas d’accumulation privée du capital. Accumulation financière, crédit bancaire, prêt à intérêt, bourse, toutes ces institutions peuvent être remplacées en transposant pour le financement de l’investissement l’expérience de la cotisation sociale, ce qui est évident puisque tout investissement est financé sur la production courante. La cotisation sociale a débarrassé notre quotidien individuel des usuriers, la cotisation économique débarrassera notre quotidien collectif de la bourse et des banquiers.
Bernard FRIOT insiste enfin sur la qualification et la nécessité d’une vision forte du salaire comme institution proprement politique.
La qualification (et donc le salaire qui va avec) est un attribut de la personne, elle ne peut pas lui être retirée et elle ne peut que progresser au cours de la vie. La qualification et donc notre salaire ne doivent plus dépendre des décisions d’employeurs sur le marché du travail mais doit faire partie d’un droit institutionnel politique inaliénable au même titre que le droit de vote
Je conseille de lire l’ensemble du document introductif (15 pages) de son livre.
Si seulement nos grands conseillers et économistes pouvaient s’inspirer de personnes comme Bernard FRIOT, Claude BELAN ou Michael ALBERT. Evidement cela implique un tour de force qui replacerait le politique à la place qui lui revient. Un politique fort et uni qui ne croit pas ou plus en une gestion optimale des marchés (des oligopoles) en aliénants ses droits et ses devoirs. C’est la grande faiblesse de l’Euro. Un Euro qui s’est vendu corps et âme aux forces obscures et égotiques d’une finance mondialisée.
Pas d’amalgames. Pas ou moins de croyances dogmatiques. Pas d’inversions. Juste des hommes qui cherchent humblement (ils essayent) des alternatives au TINA de Thatcher. Allez voir du côté d’ALOE, PARECON ou Appropriate Economics et pourquoi ne pas dépasser ses préjugés pour aller voir aussi du côté du M-PEP ou du Carré-Rouge ?
N’écoutez pas ce qui se dit.
Ce n’est pas la fin du monde, c’est juste la fin d’un monde…
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