Révision de la Constitution : y a-t-il vraiment hypocrisie au sommet de l’Etat ?
Certains disent qu’il faut arrêter « l’hypocrisie » sur le rôle véritable joué par le président. En effet, comme l’a dénoncé, sur tous les plateaux, Nicolas Sarkozy, en France le président « gouverne » en lieu et place de son Premier ministre, celui-ci se voyant simplement détenir un rôle de « collaborateur », d’exécutant. En se basant sur cette analyse, le président souhaite donc réviser notre Constitution, pour rendre cohérente la Constitution, avec la pratique du pouvoir.
Mais y a-t-il vraiment incohérence ? Hypocrisie vis-à-vis de la Constitution ? Pas forcément. Pourquoi ? Parce que donner des ordres à un Premier ministre ne signifie pas « gouverner ». Parce que, quoi qu’en dise M. Sarkozy, la Constitution contraint les présidents, et les Premiers ministres, à s’installer dans le rôle qu’elle définit à leur intention.
S’il y a « hypocrisie » c’est que le Premier ministre, lorsqu’il est du même parti que le président, laisse généralement au président l’initiative des propositions. En revanche, il n’y a pas « d’hypocrisie » vis-à-vis de la Constitution… Car c’est clairement au Premier ministre d’assurer le « gouvernement » de la France. Ce qu’il fait, en contresignant les actes du président, en toute liberté, du fait de sa prérogative.
On donne souvent comme exemple ce que certains nomment le « domaine réservé » pour expliquer que le général de Gaulle « gouvernait » la France, au lieu de la « présider », et que, dès lors, il faudrait que les présidents se voient reconnaître des prérogatives gouvernementales, liées à l’exercice du pouvoir, et non au respect de la Constitution.
En pratique, il est vrai que de Gaulle a choisi de diriger lui-même le domaine de la défense, et que ses successeurs ont fait de même. Ils ont pourtant régulièrement affirmé que ce domaine réservé n’existait pas, jusqu’à M. Sarkozy, qui a dit, pendant la campagne qu’il n’y aurait pas de distinction entre les différents domaines. Cette pratique a été tolérée parce qu’un verrou de sécurité demeure : si jamais le président impose un peu trop sa volonté, les parlementaires peuvent l’arrêter en renversant le gouvernement. Le président ne pouvant rien faire sans le Premier ministre, il est coincé. Le chef du gouvernement peut, au besoin, lui rappeler que c’est lui qui est « responsable de la défense nationale » (art. 21). En période de cohabitation, ce domaine prétendu réservé devient en fait partagé. Il y a une discussion entre le président et le Premier ministre, avec une sorte de co-décision. Et comme la Constitution interdit la révision de la « forme républicaine du gouvernement », c’est-à-dire la révision de la partie consacrée au gouvernement, dans notre Constitution, qui institue un « couple » Exécutif, dans lequel le président est irresponsable, et donc ne gouverne pas, et un Premier ministre qui gouverne, mais est responsable devant le Parlement… Le président est donc contraint de rester dans son rôle constitutionnel, puisque sa « volonté » dépend exclusivement du bon vouloir du Premier ministre, lequel peut parfois réagir violemment, quand on touche à ses prérogatives, comme le firent Chirac, Jospin, et quelques autres.
Mieux. Le président, parce qu’il est l’élu du peuple, peut changer de Premier ministre… Mais encore faut-il qu’il le puisse. En effet, chaque Premier ministre « capitalise » généralement auprès de « sa » majorité (qui n’est pas celle du président) pour éviter justement d’être traité comme un mouchoir jetable. S’ajoute à cela, et on a un exemple récent, que même si un Premier ministre agace beaucoup le président, il ne peut le virer sans se justifier auprès de ceux qui l’ont élu. Politiquement, par exemple, « licencier » François Fillon, serait une faute politique d’envergure. Pourquoi ? Parce que M. Fillon « rassure » aussi bien la « base » militante de l’UMP, les élus UMP, que les citoyens français, qui à défaut de lui faire majoritairement confiance, lui en accordent plus qu’au chef d’Etat. La propre personnalité du président joue contre lui : à force de donner l’image d’un être voulant tout contrôler, la personnalité « sage », « responsable », et « rassurante » du Premier ministre, apparaît comme un paravent aux excès de Nicolas Sarkozy.
Il m’apparaît donc inutile de sortir d’une « hypocrisie » qui n’existe en réalité qu’entre les deux têtes de l’Exécutif, et non vis-à-vis de la Constitution. Dire que le président « détermine » la politique de la nation, qu’il « gouverne », serait faux, puisque ce n’est pas le cas, et que, de toute manière, l’écrire dans la Constitution, n’enlèvera certainement pas l’envie au président de se « cacher » derrière le Premier ministre lorsqu’un échec de politique est fait, et de le mettre dans l’ombre, en cas de succès. La vision politicienne, et opportuniste de certains, ne saurait être résolue par une modification du texte fondamental !
La situation du quinquennat n’a strictement rien changé en matière de responsabilité pour le président. Accroître les prérogatives du président, sans relier celles-ci à un accroissement de sa responsabilité (ce qui doit être fait par référendum), faire du Premier ministre un simple « collaborateur », supprimerait le garde-fou fondamental qui existe aujourd’hui, à savoir le fait que le pouvoir de décision appartient en droit à un organe qui peut être contrôlé et révoqué à tout instant : le Premier ministre. Par ailleurs, si le président est élu directement par le peuple… Cela ne justifie en rien qu’il possède des prérogatives gouvernementales. En effet, dans tous les autres pays de l’UE, même lorsque le président est élu directement par le peuple, il n’a jamais le pouvoir de diriger seul la politique, y compris en matière de défense.
L’argument du quinquennat ne tient pas non plus. Si on avait voulu réviser la Constitution pour que le président dirige tout, il aurait fallu soumettre cette proposition au peuple. Ce n’était absolument pas la question posée lors du référendum.
L’article 4 me paraît inutile, en raison de la non-responsabilité du président. Celui-ci n’est pas acteur, mais arbitre, selon notre Constitution.
Juridiquement, le fait que le président se prononce devant les chambres ne change rien, mais, en pratique (même s’il y a un problème de séparation des pouvoirs), on aura l’impression que les assemblées sont à la botte du président, qui les convoque quand il veut, et que la fonction première des assemblées est d’exécuter la volonté présidentielle.
Cela ne pose pas du tout le même problème en Grande-Bretagne, par exemple. Le discours du Trône est prononcé par la Reine, mais son contenu est établi par le Premier ministre. Ce dernier peut, à tout instant, être renversé par les parlementaires. A l’opposé, aux Etats-Unis, le président prononce devant les Chambres, une fois par an, le discours sur l’état de l’union, dans lequel il exprime ses souhaits. Mais ce n’est pas aussi grave qu’en France parce que le président américain n’a pas le pouvoir de dissolution, et ne peut diriger l’action des chambres à travers le gouvernement. Les deux chambres du Parlement face à lui sont de véritables pouvoirs, libres, sans discipline de vote, puissants et indépendants. Il ne dispose d’aucune arme pour mener le Parlement à la baguette, comme c’est le cas en France. Ce ne sont pas les petites mesures envisagées au profit de Parlement français qui vont rétablir l’équilibre.
Cette possible intervention est très inquiétante. Cela semble évoluer vers une convocation annuelle du Parlement en congrès. Ce serait moins grave, mais toujours inacceptable. Ce qu’il y a de pervers dans cette réforme, c’est qu’on essaie sans arrêt de faire croire : qu’il est normal que le président dirige seul la défense, qu’il dirige l’activité des chambres, alors qu’il est totalement irresponsable politiquement, personne ne pouvant le renverser pendant cinq ans (la destitution étant presque impossible et ayant d’autres motifs). Concrètement, cela affaiblirait encore le rôle du Parlement, soupçonné à tout moment d’obéir au président, et non de mettre en œuvre les promesses qui ont permis l’élection de ses membres. Dans un pays qui a une histoire monarchiste longue, c’est aussi créer l’idée que le président se prend pour un roi, recevant annuellement les parlementaires pour une sorte de « discours du trône », appelé anciennement « Lit de Justice » à l’égard des « juges » du « Parlement » de l’Ancien Régime, ou discours de la Royauté, dans les rares cas où le roi convoquait la tenue d’Etats Généraux.
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