Suis-je apte à voter ?
Ne voyez point dans cet auto-questionnement une question de droit ou de légitimité. S'il m'est une chose facile à établir c'est que que j'ai bien l'âge requis. Et pour le reste en réalité la réponse à ma question je la connais.
Oui, comme la presque totalité des français majeurs, j'ai les capacités nécessaires pour confronter des arguments et je devrais donc pouvoir prendre une décision qui me semble la meilleure pour moi et pour la société, ou en tout cas élire un autre homme pour cela.
Mais avoir des aptitudes est une chose, avoir la volonté et les moyens de les utiliser correctement en est une autre.
Ainsi lorsque pour la première fois de mon existence je pus exercer ma souveraineté en déposant mon scrutin dans une urne, je crus avoir pleinement rempli mon devoir une fois que j’eus consciencieusement lu les programmes de tous les candidats. Enfin j'appelle ainsi les simples feuilles A4 qui me furent envoyées comme à mes concitoyens. Pour être franc, j'étais même plutôt fier d'avoir décidé de mon vote en ayant objectivement analysé ces projets. Du moins c'est ainsi que je le voyais alors.
Mais aujourd'hui, je m'interroge sur ce qui me permet d'asseoir mon raisonnement et ce qui conduit mon vote.
Je n'ai pas fait d'études dans la politique, le droit, l'économie, la sociologie ou même l'histoire. Et s'il est légitime que mes envies et mes besoins soient pris en compte au moins autant que ceux de tous les autres, ai-je pour autant les compétences pour juger les programmes des prétendants sur des sujets que je ne maîtrise pas.
Comment puis-je estimer la crédibilité des protagonistes sensés dominer des sujets dont je n'ai jamais pris le temps de gratter la surface ?
Comment puis-je distinguer entre deux candidats celui qui ne sait pas plus que moi de quoi il parle et celui qui saura conduire ma commune, ma région, ma patrie ou l'humanité, là où il faudrait ?
Bien sûr certains programmes me semblent irréalisables. Bien sûr certaines propositions me semblent idiotes. Bien sûr certains projets me semblent inacceptables. Mais sur quoi est-ce que je m’appuie pour le dire ?
Suis-je capable de préférer un discours qui nécessite de raisonner sur des arguments trop confus pour moi d'un discours démagogique ou populiste ?
Des propos trop simplifiés pour être mis à ma "portée" ne seront-ils pas nécessairement trompeurs ?
Ne vous méprenez pas, je ne dis pas là que je suis moins capable qu'un autre d'étudier chacun des ses sujets et prendre des décisions au moins aussi bonnes que celles que peuvent prendre nos assemblées. Seulement ces sujets je ne les ai jamais étudié, en tout cas pas suffisamment pour avoir une confiance suffisante dans mon jugement. Et comme ce n'est pas mon métier et que l’énergie qu'il me faudrait pour le faire semble bien grande par rapport à ce que ça me rapporterait, je ne peux dire si je le ferais un jour.
Et au fond, cela m'importerait bien peu si je n'avais pas tendance à penser présomptueusement qu'une majorité de français ne sera pas plus à même que moi à influencer notre avenir commun et à choisir.
Mais plutôt que de discourir inlassablement de manière abstraite dans cet article qui s'annonce déjà trop long, laissez moi tenter d'illustrer mon propos.
Un des sujets majeurs de la dernière campagne et qui risque de l'être pour longtemps est notre situation économique.
Sujet sur lequel les deux principaux candidats semblaient globalement d'accord et nous proposaient des solutions pour rembourser une dette qui nous oblige à donner des intérêts monstrueux à nos créancier. Une dette qui nous fait également courir le risque de ne pas pouvoir à nouveau emprunter à un taux acceptable si l'on juge que nous n'avons plus les moyens de payer les intérêts.
Cela semble d'une telle évidence qu'il faille rembourser cette dette pour ne plus avoir à payer d'intérêt qu'un candidat n'annonçant pas vouloir aller dans ce sens perd immédiatement toute crédibilité.
Pour autant je ne sais ni pourquoi cette dette existe, ni pourquoi on ne l'a pas remboursée plus tôt quand ce n'était pas encore la crise. Et surtout je ne sais même s'il est possible de la rembourser et quelles pourraient être les conséquences si on le faisait.
Il paraît que nous vivons dans un monde qui repose sur le fait que les monnaies perdent de leur valeur continuellement.
Sans cela il y aurait des personnes qui stockeraient l'argent au lieu de le réinvestir dans l'économie et notre système pourrait s'effondre.
Pour que nos monnaies perdent de leur valeur il faut créer de l'argent. Ainsi comme il y a plus d'argent pour la même quantité de ressources et de produits, il faut un peu plus d'argent pour les acheter.
Donc certes tous les prix augmentent mais si l'argent créé est réparti équitablement, c'est à dire en gros si mon salaire est indexé sur l'inflation, rien de ne change pour moi.
À l'heure actuelle, comment donc créons-nous cet argent supplémentaire ? Et bien, à ce que j'en ai compris en tout cas, c'est en l'empruntant. Donc si nous cessons d'emprunter, nous cessons de créer de l'argent et pire, si nous le remboursons nous allons en détruire.
Bien sûr ce mécanisme est mondial, donc on pourrait sans doute rembourser notre dette publique en la reportant sur de la dette privé ou en s'arrangeant pour que d'autre pays soient endettés à notre place. Mais si tout le monde cherche à réduire ses dettes en même temps, cela ne fonctionnera pas. Il semble donc que nous allions vers une déflation.
Voilà un exemple type source de mon malaise.
Ce raisonnement de quelques lignes seulement est sans doute faux, certainement faux. Du moins cela semble souhaitable. Mais si je ne peux vous dire s'il est erroné ou non, et quelles pourraient être les conséquences d'une déflation suffit à ma démonstration. C'est une preuve s'il en fallait une que je n'ai pas eu le temps, l'envie, le courage, les moyens ou la capacité d’approfondir suffisamment ce sujet pour que je puisse juger un candidat là dessus.
Et ce qui est vrai pour ce point l'est à priori pour tous les autres. En tout cas je ne peux dire le contraire sans les avoir creusé.
Évidemment aucun homme ne peut connaître a fond tous les sujets et évidemment mes connaissances ne sont pas totalement nulles. Je sais par exemple que le pétrole, le gaz, le charbon et même l’uranium sont des ressources qui arriveront à épuisement un jour ou l'autre. Je sais également également que si mes revenus ne sont pas comparables avec ceux de mon CEO (Thierry Breton), il m'est bien plus dur de les comparer avec le revenu moyen par habitant du Niger. Bien entendu savoir cela compte. Mais est-ce pour autant suffisant pour guider intelligemment mon choix, je n'en suis pas sûr.
Peut être me direz-vous qu'il y a les campagnes électorales, sensées m'aider et me permettre de confronter mes idées et celles des différents candidats. Mais on peut se demander si, comme leur nom le laisse supposer, ce ne sont pas en fait de véritable campagnes publicitaires financées à coup de millions distillant quelques informations utiles au milieu d'un vrai matraquage médiatique.
Bien sûr je décèle parfois qu'un candidat n'est pas cohérent, bien sûr un candidat me semble parfois adapter son discours uniquement pour élargir son électorat. Il m'arrive même d'avoir suffisamment de mémoire pour me rendre compte qu'un candidat n'a pas réalisé ce qu'il m'avait promis et reprend pourtant les mêmes promesses. Mais avec ces quelques éléments suis-je vraiment capable de désigner un représentant et puis-je ensuite assumer les choix qu'il fera. Car les décisions qu'il prendra pour notre pays il les prendra en mon nom, investi par la légitimité de mon vote. Je serai donc responsable de ses choix et comptables de ses erreurs.
Pourtant croyez moi j'ai essayé, j'en ai bien regardé quelques unes des émissions politiques. Je ne dirais pas que je n'ai rien appris mais j'y ai surtout vu des critiques effleurant à peine la surface des véritables problèmes. J'ai vu des émissions entières passées à commenter des sondages, des tendances, à nous dire qui va où et qui organisent quoi pour faire parler de lui.
Certes au milieu de tout ça un observateur avisé saurait sans doute distinguer les éléments importants. Seulement voilà bien mon problème puisque je ne peut être avisé sans être informé et avoir pris suffisamment de temps pour réfléchir.
Je suis néanmoins tenter de croire que moi, au milieu de tout cela, j'arrive à me forger une opinion par moi même. Que je me base sur des éléments et des faits, et que je confronte des idées et des projets. Toutefois rien ne me prouve que je ne fais rien d'autre que suivre une opinion générale, convaincu par celui qui parle le mieux et fait le mieux écho à nos peurs et nos espoirs, fussent-ils irraisonnés.
Si jamais le candidat le plus sensé me proposait de renoncer à tout mon confort et à tout ce qui fait ma vie actuelle pour ne plus avancer dans une voie qui ne peut être qu'un cul de sac pour notre avenir ou celui de nos générations futures, je me rangerais sans doute à l'avis général pour le considérer le plus fou.
Qui sont donc les élus de nos démocraties ? Sont-ce des visionnaires conduisant notre destinée et nous expliquant pourquoi nous devons choisir tel chemin ? Ou sont-ils des hommes essayant de faire ce que le peuple semble vouloir désirer le plus, ou ce qui en tout cas leur permettra d'être le plus facilement réélu ?
À défaut de connaître la route connaissent-ils le point de mire ? Ou bien ne maîtrisent-ils pas plus les bases du monde sur lequel nous construisons que moi ?
Ô je vous supplie de croire qu'il n'y a rien dans mes propos qui soit contre la démocratie. Et même s'il n'est peut être pas évident que notre république soit une vraie démocratie, ce n'est pas un acte anti-républicain que de se permettre une critique.
Car enfin mon but est bien constructif et si je m'évertue par ce texte à vous avouer mon incompétence, ce n'est évidemment pas pour être montré du doigt et passer pour un mauvais citoyen, un fainéant ou un même rebelle. Non, c'est plutôt pour comprendre pourquoi et que nous puissions ensemble chercher à y remédier. Enfin quand je dis ensemble, je présume sans doute un peu trop de moi même...
Sur ce je vous laisse, je m'en vais chercher des problèmes bien moins compliqués à résoudre et vaquer à des occupations qui n'ont absolument rien de cruciales.
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