Votations citoyennes : le laboratoire suisse
A l’heure où la votation citoyenne sur la poste témoigne, après le référendum européen de 2005, de l’appétit des français pour une démocratie active, l’exemple suisse mérite d’être mieux connu. En effet, de l’institution du référendum constitutionnel obligatoire en 1848, à la première initiative populaire sur « l’Interdiction d’abattre le bétail de boucherie sans l’avoir préalablement étourdi », en 1893, jusqu’au vote sur un financement additionnel de l’assurance invalidité par un relèvement temporaire de la TVA, le 27 septembre 2009, l’expérience suisse en matière de votation citoyenne est riche en enseignements. Elle prouve qu’une démocratie semi-directe, c’est-à-dire un système de décision politique dans lequel le peuple intervient avec une légitimité égale à celle du gouvernement et du parlement n’est pas une utopie. Les « droits populaires » de participer à la décision politique par les votations sont plus que dignes d’intérêt pour tous ceux qui s’interrogent sur la crise de nos démocraties représentatives.
Les votations citoyennes suisses se présentent sous trois formes : les référendums obligatoires, les référendums facultatifs et les initiatives populaires. Au niveau fédéral, le référendum obligatoire concerne toutes les modifications de la Constitution, de même que l’adhésion de la Suisse à certaines organisations internationales. L’adoption de telles dispositions requiert la double majorité du peuple et des cantons. Le référendum facultatif, instauré en 1874, intervient quand, dans les 100 jours qui suivent l’adoption d’une loi par le Parlement, 50 000 citoyens signent un texte demandant un vote de l’ensemble du corps électoral. La loi ne peut alors entrer en vigueur que si les électeurs l’approuvent. En pareil cas, seule la majorité du peuple est requise. Enfin, l’initiative populaire, instituée en1891, donne le droit à tout électeur de proposer une modification de la constitution (ou l’adjonction d’une nouvelle disposition). Il doit réunir à cet effet 100 000 signatures en l’espace de 18 mois. S’il y parvient - mais il s’agit évidemment dans la plupart des cas d’un travail collectif -, la proposition est soumise au vote de l’ensemble du corps électoral et doit recueillir également la double majorité populaire et cantonale.
Aux niveaux cantonal et communal, la démocratie directe est extrêmement diverse et beaucoup plus développée. Les cantons ne connaissent pas seulement l’initiative populaire constitutionnelle, mais aussi l’initiative populaire législative qui donne la possibilité aux citoyens de proposer l’adoption d’une nouvelle loi. Certains cantons ont instauré également le référendum financier – par lequel certaines dépenses publiques doivent être approuvées par les électeurs – ainsi que le référendum législatif. Dans ce dernier cas, toutes les lois adoptées par le Parlement cantonal doivent être soumises au vote des électeurs. Au niveau communal la situation est plus diverse encore.
Le processus référendaire
Pour bien comprendre la portée démocratique des votations, il faut prendre en considération l’ensemble du processus référendaire dont les votations sont l’aboutissement. De l’initiative à la campagne référendaire, puis au vote et enfin à l’après vote, toutes les étapes de la procédure référendaire contribuent à faire vivre l’idéal originel de la démocratie, le pouvoir du peuple par le peuple…
Le premier intérêt de la procédure référendaire suisse réside dans son déclenchement. Les référendums sont soit de droit, soit initiés par des citoyens. L’agenda politique n’est donc pas maîtrisé par les seuls élus, ce qui constitue une caractéristique essentielle de la démocratie directe. Le fait qu’il ne se passe pour ainsi dire pas de semaine sans qu’une initiative populaire ou un référendum ne soit initiée quelque part en Suisse à un niveau ou à un autre, souligne la portée d’une telle possibilité. Les comités d’initiative d’un référendum jouent un rôle clef dans cette turbulence démocratique, par l’information et les débats que suscite la collecte des signatures nécessaires. Les initiatives qui aboutissent ouvrent une campagne référendaire qui organise avec rigueur l’information équilibrée des citoyens. Depuis 1972, tous les électeurs reçoivent un livret référendaire. D’abord rédigé par le gouvernement, il est depuis 1983 en pratique, et depuis 1994 en droit, rédigé en partie par les comités d’initiative et référendaire et expose tous les points de vue, préalable à un débat de qualité. L’effervescence référendaire ne signifie pas qu’on vote en permanence. Dans la plupart des cas, lorsqu’une votation fédérale a lieu, les cantons et les communes en profitent pour organiser le même week-end leurs propres votations. Les votations sont en fait regroupées et organisées quatre fois par an selon un calendrier prévu longtemps à l’avance. Les dates des votations fédérales sont d’ores et déjà fixées jusqu’en 2028. Pour 2010, elles sont ainsi programmées pour le 7 mars, le 13 juin, le 26 septembre et le 28 novembre, mais cela ne signifie pas que toutes les dates seront effectivement utilisées. Il n’y a, par exemple pas eu de votation populaire à la date prévue, le 12 février 2006. Enfin, la votation ne clôt pas la dynamique référendaire, puisqu’il faut traduire les décisions populaires. Cette étape est un élément important du processus et pas toujours aisé. Ainsi, le 27 septembre 2009, une votation populaire, prenant acte de l’incapacité de traduire la première votation dans les textes, a abrogé l’initiative populaire générale votée en 2003, qui devait offrir l’opportunité d’un référendum législatif fédéral. Ceci dit, même négatifs, les résultats d’un vote plus ou moins serré exercent leurs effets sur les décisions des élus.
Les vertus de la démocratie directe
La pratique référendaire a des vertus politiques et éducatives, étroitement mêlées. En donnant aux citoyens un rôle clef dans l’agenda politique et la décision, elle institue un véritable pouvoir citoyen, considéré comme impossible, voire nuisible, dans la majorité des démocraties représentatives. Les votations obligent à la transparence, à l’information, elles nourrissent les délibérations sur les grands sujets politiques (la libre circulation des personnes en Europe) comme sur les petites questions de voisinage (la création d’une zone de vitesse limitée à 30km/h). Ce pouvoir citoyen exerce en outre un effet en amont sur le mode de fonctionnement de la démocratie représentative. Les élus savent en effet que toute décision peut être soumise à référendum et évaluent donc avec soin la possibilité d’un recours référendaire. Le CPE (contrat première embauche) n’aurait jamais franchi l’ébauche d’un projet en Suisse. Les élus sont donc plus réceptifs aux attentes citoyennes.
Les votations ont également une vertu éducative. Par l’information et la délibération qu’elles suscitent et alimentent, ce sont des ateliers de la démocratie. Des chercheurs suisses ont ainsi mis en évidence que plus on offre aux citoyens des opportunités de participer à la vie politique, mieux ils sont en effet informés. La participation fait prendre conscience que les sorts des citoyens sont liés. Elle légitime les décisions politiques : là où les citoyens peuvent voter sur le budget, il y a 30 % de moins d’évasion fiscale.
Enfin, et cette leçon vaut particulièrement pour la France, les processus référendaires déplacent les enjeux de la vie politique des questions de personnes aux questions politiques. Alors que la vie politique française est totalement polarisée par l’enjeu présidentiel, il n’est pas sans intérêt de souligner que les référendums suisses ne portent pas sur des questions de personnes, ni directement ni indirectement, mais sur des questions substantives. La Suisse n’est pas une république (ni une fédération) monarchique. La présidente ou le président de la Confédération change chaque année, et députés sont le plus souvent à temps partiels. La démocratie n’y est pas le domaine réservé des professionnels.
Les observateurs français ne manquent pas de stigmatiser les dérives ou les pièges de la démocratie directe. Ils se plaisent à rappeler que les Suisses ont mis du temps à accorder le droit de vote aux femmes, à pointer telle ou telle initiative particulièrement conservatrice ou discriminatoire comme le projet de votation en cours visant à interdire la construction de minarets, ou à souligner le faible pourcentage de participation. Ces remarques occultent toutefois les dérives et les pièges de la démocratie représentative qui a consacré de dangereux ennemis de la démocratie.
Quant à l’argument de la faible participation, qui se situe en moyenne autour de 40%, il néglige le fait que la Suisse est une démocratie semi-directe. Le vote populaire y complète la délibération des élus. Ainsi, la décision d’augmenter une taxe n’a pas été prise par les seuls élus, mais par des élus et un vote du peuple. L’enjeu de l’introduction d’une véritable forme de démocratie directe est là, non pas dans la croyance qu’elle nous épargnera toute dérive, ni qu’elle garantira la « bonne » ( ?) décision, mais que toutes choses égales par ailleurs, les citoyens sont les plus compétents pour décider du destin de la cité.
Antoine Bevort
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