Voter est-il un acte banal ?
Vous me direz : pourquoi encore un article sur le sujet ? Il vient s’ajouter à tous les autres, précédemment publiés, sur le vote électronique et ses dérives.
Je constate avec regrets que toutes ces interventions n’inspirent que peurs, soupçons, discrédits, et méthodes algébriques d’un éventuel système...
Mais jamais personne ne s’est interrogé sur le fondement du vote, sur sa valeur psychologique et sociale dans notre société. Le droit de vote a été conquis à force de luttes des citoyens pour exprimer leur choix dans la vie politique de la France, 1848 pour les hommes, et malheureusement bien plus tard pour les femmes, 1944...
Un tel droit doit-il être réduit finalement à l’appui sur un bouton, ou à un simple clic de souris ?
Qui a déjà participé à un scrutin et vu comment il se passait ? Pour avoir été de nombreuses fois scrutateur, assesseur et président d’un bureau de vote, je dois avouer que le système actuel est archaïque, mais il constitue certainement ce qu’il y a de mieux aujourd’hui dans notre société.
Dans toute commune importante, le scrutin est découpé en autant de bureaux de vote, rassemblant de 700 à 1500 inscrits. Les assesseurs sont choisis dans des listes déposées à la mairie par tous les mouvements politiques qui le veulent ; il en est retenu de 4 à 8, afin de pouvoir garantir un relais, pour permettre à chacun d’aller déjeuner et de prendre une pause. Le président du bureau est désigné par la mairie, ce dernier choisit librement un remplaçant parmi les assesseurs pour le remplacer ponctuellement.
L’ensemble du bureau est présent dès 7h30 pour vérifier la bonne mise en place du système, le verrouillage de l’urne, la clef étant confiée à celui qui le souhaite parmi les assesseurs, le contrôle des listes des votants et des procurations fournies par la mairie, la vérification des enveloppes et des bulletins sur les tables...
Et puis, c’est l’instant du café collectif, avant le coup de feu ; généralement il y a deux ou trois assesseurs qui apportent des croissants, et malgré les divergences politiques de chacun, l’ambiance est excellente.
Tout au long de la journée, on s’arrange pour les remplacements, la mairie fournit en principe le déjeuner (des trucs simples), au cours des votes chacun s’efforce de dégoter des scrutateurs pour la soirée, au hasard parmi les votants, ce n’est pas toujours facile ; dans ce cas on garde la carte d’électeur et la carte d’identité, pour être sûr que la personne sera présente au dépouillement.
20h, le bureau ferme, le président réunit les assesseurs et les scrutateurs ; on procède alors au dépouillement, on ouvre l’urne pour compter le nombre de bulletins, ce chiffre est comparé à celui que le compteur de l’urne indique.
On décide de manière concertée du nombre de tables à utiliser, un assesseur pour quatre scrutateurs ; on répartit les bulletins entre les différentes tables, il est établi une feuille de dépouillement pour chaque table, le premier scrutateur dépouille l’enveloppe, sort le bulletin et comptabilise, le deuxième vérifie sa validité, le troisième annonce le vote, le quatrième supervise les opérations précédentes, l’assesseur inscrit le vote sur le bordereau de la table.
Quand le travail de chaque table est terminé, un employé de la mairie consigne les résultats sur un document officiel, le tout est mis sous enveloppe, décompte du nombre d’enveloppes, du nombre de bulletins (valides, nuls, blancs, etc. ), le tout signé par le président, l’accesseur, et l’employé de mairie.
Direction le bureau central de vote, où on comptabilise le regroupement pour la commune, afin de donner les chiffres à la préfecture, et une fois tous les bureaux dépouillés, un responsable de la mairie (maire adjoint) s’occupe le soir-même du transfert des documents à la préfecture.
Il est vrai que toute cette procédure est fastidieuse, mais elle vaut tout de même la peine : cela permet un rapprochement humain entre des adversaires politiques, donne l’occasion de se parler, de partager des responsabilités, un croissant, un repas, de discuter de nos différences, de nos idées, ce n’est pas si mal finalement...
Je n’ai que de bons souvenirs de ces périodes, même si j’ai dû affronter quelquefois les échecs du camp que je représentais.
En voulant instituer un vote électronique, on retire le côté humain à un système qui existe depuis des années, pour gagner quoi, finalement ? Deux heures de procédure entre la clôture du scrutin et la publication de son résultat. Mais que sont finalement deux heures, dans un mandat de cinq ou six ans ?
Tous les acteurs de ce beau scénario sont bénévoles, ne touchent aucune indemnité, sauf les employés municipaux qui sont réquisitionnés, et c’est bien normal.
Finalement, la démocratie est belle, pourquoi vouloir la changer par un simple clic ?
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