2 ou 3 questions à François, Nicolas, Ségolène et aux autres
La campagne électorale pour les élections du 22 avril prochain révèle bien des paradoxes. A travers quelques points importants, il est tenté de mettre en relief le flou, le manque d’information précise voire la superficialité du « discours grand public » des candidats. Les réflexions qui suivent se voudraient en réaction contre « l’américanisation » de cette campagne.
Nous vivons une époque paradoxale. D’une part, la gravité des problèmes posés au monde entier (conflits locaux non résolus comme au Moyen Orient, exacerbation des tensions entre riches et pauvres entraînant migration de populations, oppositions de civilisation, terrorisme, et plus globalement, mise en danger de la biosphère allant jusqu’à interrogation quant à la survie de l’humanité) fait contraste jusqu’au surréalisme avec le caractère franco-français de la campagne électorale pour les Présidentielles. D’autre part, cette campagne elle-même révèle une opposition étonnante entre l’intérêt qu’elle semble susciter et sa superficialité politique. L’art de la politique est de rendre aussi clair que possible les choix fondamentaux pour lesquels le citoyen délègue, à travers le bulletin mis dans l’urne, son pouvoir au politique qui s’efforce de concrétiser ces choix ; on est loin du compte quand dominent les propositions éclatées dont la multiplicité voisine avec le clientélisme, dont la générosité flirte avec la démagogie et dont l’inspiration tient plus souvent du populisme que du courage politique. C’est dans ce contexte que cette note voudrait mettre en avant quelques questions, peut-être naïves, mais dont on souhaiterait percevoir au moins un embryon de réponse dans les engagements des candidats susceptibles d’occuper l’Elysée en mai prochain.
1. la dette publique
Depuis le rapport Pébereau constatant une dette publique de 1100 milliards d’euros fin 2005, beaucoup de choses ont été dites et écrites. On en a fait un épouvantail : il est vrai que le seul paiement des intérêts de cette dette utilise 12.3% des dépenses dans le budget 2006 (à titre de comparaison, rappelons que dans ce même budget, l’impôt sur le revenu représente 20,3% des recettes : chaque citoyen peut consulter ses documents fiscaux pour trouver ces données). En outre, en ce domaine, la France est bien mal placée puisque qu’elle est le 85ème pays parmi les 114 classés suivant un rapport dette/PIB, croissant. Même si les économistes ne sont pas toujours d’accord sur la gravité réelle de cette dette (distinguo entre mauvaise dettes, celles utilisées pour assurer le fonctionnement de l’Etat et les bonnes, consacrées aux investissements renforçant l’avenir), il s’agit d’une question importante qui demande aux citoyens de bien évaluer ce que promettent les candidats en la matière. A cet égard, le débat entre les économistes Jean-Marc Daniel et Jean-Paul Fitoussi, dans l’Express du 13/09/2004, révèle trois périodes dans l’évolution cette dette : (a) elle passe de 40 % du PIB à 60% entre 1993 et 1998, (b) descend de 60% à 57% de 1998 à 2002 puis (c) remonte de 57% à 63% de 2002 à 2004. Faut-il rappeler que ces périodes coïncident sensiblement avec la présence à Matignon de, successivement, Balladur, Jospin et Raffarin ?
Pourquoi cet éclairage n’apparait-il pas dans la campagne électorale ?
2. La croissance économique : solution ou fuite en avant ?
De tous bords, on présente la croissance comme solution aux problèmes économiques et sociaux. En même temps, tous les candidats se sont empressés de signer le pacte de Nicolas Hulot. Déjà la cohérence devient délicate. Mais, par ailleurs, la croissance s’avère maintenant notable dans les pays émergents : la Chine, l’Inde, le Brésil... Qui pourrait leur en faire le grief ? Pourtant, dans le cadre de la mondialisation, le modèle de société qui polarise cette croissance reste le modèle occidental marqué par son productivisme et son consumérisme. Alors, à qui peut-on faire croire que notre planète est capable d’assurer la réalisation de ce modèle à l’échelle de 6,5 milliards d’habitants aujourd’hui, 8 à 9 en 2030, alors que l’on reconnaît l’épuisement des sources d’énergie (fin annoncée du pétrole) et des matières premières dont les coûts flambent, la limitation de l’accès à l’eau qui devient une source potentielle de conflits, la dégradation environnementale et les menaces climatiques entraînées par ce type de développement ...
Alors pourquoi les candidats ne profitent-ils pas de la
place qu’ils occupent en ce moment dans les media pour souligner les limites de
la croissance et inviter les citoyens à une réflexion sur le concept de
décroissance assumée et autant que possible maîtrisée, plutôt que subie dans
les pires conditions dans un avenir qui pourrait être proche ? Il est vrai
que ce type de question (naïve) n’a pas de réponse au niveau de notre seul
pays, la France ; mais ne commence-t-elle pas à prendre sens à l’échelle
de l’Europe ?
3. la mondialisation : exemple du textile
Puisque je viens d’évoquer la mondialisation au point précédent, sans vouloir m’étendre sur ce vaste sujet, je propose d’en considérer un aspect largement présenté il y a 2 ans mais qui conduit à une question restée ouverte à ce jour.
C’est en 2001 que la Chine entre dans l’OMC. Dans un premier temps, la France et l’Europe se devaient d’envisager une levée des quotas d’importation de textile et d’habillement dès le début 2005. Mais 6 mois plus tard, la déferlante des produits chinois entraînait une remise place de quotas (Précisons qu’en 2003, la filière « Textile et habillement » représentait, en Europe, 2,5 millions de salariés et 4% du PIB ; en France, 200 000 emplois sont concernés). Mais cette mesure de protection est difficilement tenable : en juin 2005, le ministre du commerce chinois, Bo Xilai et le Commissaire européen Mandelson signent l’accord de Shanghai limitant le nombre de produits et la durée de ces quotas. Pourtant, cela n’empêche pas l’accumulation de 87 millions de pièces d’habillement dans les ports européens et de nouvelles négociations sont nécessaires. On en arrive donc aux accords de Pékin (septembre 2005), dans le cadre du 8ème sommet annuel entre le Chine et l’Union Européenne dont la délégation était menée par T. Blair, alors Président de l’U.E. accompagné de E. Barroso, Président de la Commission et du Commissaire concerné, Mandelson. Cet accord prévoit le déblocage, cette même année, de la moitié des stocks accumulés dans les ports, l’autre moitié étant attachée aux quotas de l’année suivante ; mais le point essentiel se rapporte à la suppression de tout quota à partir de 2008 !
De là résulte la question : pourquoi l’actuelle campagne électorale ne laisse pas apparaitre cette perspective menaçant une partie des 170 000 emplois restant en France dans le domaine du textile et de l’habillement, perspective se situant dans la première année du mandat du (ou de la) futur(e) élu(e) à l’Elysée ?
Pour être complet, il faut ajouter que les accords de Pékin
concernaient des aspects plus larges comprenant évidemment les importations en
Chine de produits tels que les Airbus, les TGV, les centrales nucléaires... Ainsi
comprend-on la remarque malicieuse du Ministre Bo Xilai « il faut 800
millions de chemisettes pour acheter un Airbus 380... ».
4. La PAC : son utilisation ou son maintien ?
En juin 2005, est discuté à Bruxelles, le budget européen pour la période 2007-2013. Cette discussion se fait dans un contexte marqué d’abord (et surtout) par le non au projet de constitution européenne, exprimé en France et aux Pays Bas. Parallèlement, la présidence de l’U.E. passe du Luxembourgeois J.C. Juncker, européen convaincu voulant terminer son mandat par un succès concernant l’établissement du budget, à l’anglais T. Blair dont l’attachement à l’idée européenne est, disons, plus « souple ». Un tel contexte conduit évidemment à l’échec : le budget n’est pas établi ; les égoïsmes nationaux l’ont emporté sur la cohésion européenne. Le point d’achoppement principal peut se résumer à l’opposition entre le retour à l’Angleterre d’une partie de sa contribution financière (retrour de 5,14 milliards d’euros en 2005) et le maintien d’une politique agricole commune (la P.A.C).
Il faut attendre la fin du mandat de T. Blair pour que, en décembre, ce budget européen soit adopté après de dures négociations. Certes, T. Blair a fait des concessions sur la « ristourne » anglaise mais en revanche il est décidé de réviser le fonctionnement du budget européen en 2008-2009, révision portant sur toutes les dépenses, notamment la PAC et le rabais britannique.
Il est donc pour le moins surprenant de constater que les futures élections présidentielles ne mentionnent la PAC que pour proposer une utilisation différente de la dotation européenne en la matière, dotation qui, précisons le, avait permis, en 2003, un différentiel entre contribution et aide reçue, de 1,7 milliards d’euros en faveur de la France. Par exemple, le Pacte N. Hulot signé par les candidats prévoit que « les subventions agricoles soit progressivement transférées vers l’agriculture de qualité, biologique, d’appellation d’origine contrôlée en lui ouvrant le marché de la restauration collective : cantines scolaires, restaurants d’entreprises, d’universités, d’hôpitaux, de maisons de retraite, associations caritatives ».
Mais que disent les candidats quant à l’existence même de la PAC au-delà de 2008-2009, existence qui dépend aussi de 26 autres partenaires ? Plus fondamentalement, peut-on concilier la PAC et l’aide aux pays où subsiste la malnutrition ?
5. l’Europe : mythe en perdition ou espoir encore vivant ?
A suivre cette campagne électorale, on pourrait croire que l’Europe n’intéresse plus personne. Même
les défenseurs du « non » au référendum de 2005 semblent s’effacer et
les candidats font tout pour éviter de parler du plombier polonais et de la
constitution mort-née. Puisque l’on a considéré que le débat sur l’Europe ne
concerne que les élites, on semble en déduire que la « masse des
électeurs » n’est pas une cible sensible au thème de l’Europe : tout
effort en la matière ne serait donc pas vu productif électoralement parlant.
Pourtant, on a bien vu ci-dessus, à travers les exemples du textile et de la PAC, que le « non » a rendu difficile la défense du point de vue français. Il est clair que 2 visions de l’Union Européenne se manifestent dans les 27 pays qui la constituent : limitation à l’organisation d’un marché favorisant le libre échange ou avancée vers une union politique. Les responsables politiques qui ont appelé à refuser le projet de Constitution au nom de l’Europe sociale et politique, n’admettent toujours pas qu’ils ont objectivement renforcé la 1ère vision : on l’a bien constaté durant les 6 mois de Présidence de l’U.E. de T. Blair ; les mêmes se sont d’ailleurs offusqués que les pays ayant accepté ce projet aient pu, récemment, se réunir à Madrid sans la France. On pouvait espérer que la présente campagne électorale serait une bonne occasion pour revivifier l’idée d’Europe d’autant plus qu’à Berlin, des efforts ont été faits pour célébrer le cinquantième anniversaire du traité de Rome.
Or, au moment de
cet anniversaire, de quoi parle-t-on en France ? De ministère de
l’immigration et de l’identité nationale ! De drapeaux français ! De
« Marseillaise » !
Au moment de cet
anniversaire, les 3 candidats mis en avant par les sondages tiennent bien un
discours proeuropéen mais dont on retire difficilement une conviction forte ou
une volonté de faire acte pédagogique invitant les citoyens à intégrer la
dimension européenne dans les problèmes vécus au quotidien. En effet, malgré
l’aspect contestable de la méthode consistant à extraire telle ou telle
déclaration hors de son contexte, peut-on se satisfaire des affirmations :
(a) Nous mettrons dans le débat un texte, simple,
lisible, court, sans ambiguïté, qui donnera forme aux principes d’une Union
européenne sortie de ses paralysies et de ses impasses (F. Bayrou) ; (b) Il faut donc recourir à un « mini-traité » pour réaliser les réformes
institutionnelles les plus urgentes (N.
Sarkozy) ; (c) Il faut
faire l’Europe par la preuve, c’est-à-dire répondre à l’attente des
peuples (S. Royal) ?
Comment peut-on espérer
nourrir ainsi un idéal européen ? S’il faut subir les échanges sur la
notion « d’identité », pourquoi le concept d’identité européenne
est-il absent ?
6. Conclusion
Une convergence large se manifeste sur le diagnostic : la gravité des divers problèmes posés aux français aujourd’hui est patente ; là se situe l’intérêt porté aux élections présidentielles. Cette gravité est telle que l’on aurait pu attendre plutôt un appel, que des promesses. Pensons à W. Churchil en 1940 (« je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur ») ou à J.F. Kennedy en 1961 (« Ne demandez pas à votre pays ce qu’il peut faire pour vous mais ce que vous pouvez faire pour votre pays »). Naturellement, ce type de discours peut d’autant plus être recevable par tous que ceux en situation socio-économique la moins difficile acceptent d’en assumer en première ligne, toutes les conséquences : lien social et solidarité en dépendent.
Hélas, nous sommes bien loin du « Penser juste et
parler vrai ». Ne pouvons nous plus échapper à une « américanisation »
de la politique ? Comment éviter que démagogie et populisme soient les
deux mamelles de cette Présidentielle ?
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