A propos de « Inside job » le film : la vérité sur la crise financière
C’est notre faute, c’est notre très grande faute, et il va falloir payer. Les grecs d’abord, puis les irlandais, puis... Mais... depuis quand est-ce que ce sont des entreprises privées qui notent des États ? Et depuis quand ces notes dirigent-elles la politique des pays au point de pouvoir les mener à la faillite ? C’est la vision du film “Inside job” de Charles Ferguson(2010), actuellement en salle, décrivant la crise des subprimes et explicitant la façon dont celle-ci a été déclenchée qui m’a inspiré les réflexions qui suivent.
Ce film est un excellent film : sans effet spéciaux, sans suspense ni acteurs connus il parvient pourtant à monopoliser notre attention sur un sujet assez aride et peu réjouissant. Pourquoi ? Est-ce parce qu’il démontre comment un système se rapprochant de la pyramide de Ponzi a pu être monté au niveau mondial par des banquiers sans beaucoup de scrupules et nous explique pourquoi nous payons encore les traites d’un enrichissement qui ne nous a pas concerné ? Pas seulement. Parce que, même si l’on avait compris en gros le système, on reste scotché devant l’écran : il y a donc autre chose qui se dégage du film, un message subliminal, une leçon qui n’est pas explicitée mais qui me semble d’une importance capitale.
La difficulté, avec les essais d’analyse de l’évolution du monde, c’est que l’étude de l’histoire nécessite un certain recul temporel. L’histoire en train de se faire ne peut comporter la prise de distance qui seule permet de relier entre eux des faits avérés et de relier ceux-ci à des évènements antérieurs dont on détermine l’éventuelle valeur causale. Dans le maelstrom des éléments constituant la contemporanéité comment dégager les lignes de forces qui détermineront un avenir qui n’est pas encore écrit, et, pour celles-ci, le point d’origine de leur trajectoire ?
Or les chercheurs, les analystes, les journalistes, et chacun d’entre nous, ne cessent de tenter l’exercice périlleux de l’histoire contemporaine. D’autant plus que nous percevons que des changements sont en train de s’opérer, changements dont nous essayons de comprendre l’importance et le risque, la crise des subprimes donnant un exemple fort d’un de ces évènements qui résonne comme une alerte et nous pousse à l’analyse. Or il me semble que si sur l’état de l’économie au jour le jour nous apprenons de plus en plus de choses, quelques théories fumeuses s’effondrant comme des châteaux de cartes sous les coups de butoir de la réalité, certaines leçons de l’histoire récente n’ont pas encore été tirées. J’aimerais ici préciser mon point de vue sur cet aspect des choses.
S’il est en général difficile d’analyser l’histoire en train de se faire, c’est moins vrai pour ceux qui font l’histoire, et en particulier pour ceux qui ont décidé de laisser leur empreinte sur le monde sans tenir compte des dégâts collatéraux de leur action.
Pour le dire d’une autre façon, si un dirigeant décide d’essayer de maintenir son pays en paix, il y a une certaine probabilité pour qu’il y parvienne (mais ce n’est pas certain) mais s’il a décidé de faire la guerre et qu’il la prépare résolument, la probabilité pour que celle-ci se produise avoisine les cent pour cent. Ainsi, ce sont les dirigeants eux-mêmes qui sont le plus prés de connaitre l’histoire contemporaine, et cela, d’autant plus qu’ils sont déterminés à agir de façon autoritaire sur leurs administrés.
Quel rapport avec la crise des subprimes ?
Selon moi, une guerre a été déclarée, il y a de cela longtemps : son arme c’est l’économie, ses belligérants, la finance internationale et les citoyens. A part que ces derniers, dans leur grande majorité, l’ignorent. Et qu’ils sont sur le point de perdre cette guerre mondiale qui se déroule sans qu’ils sachent en être un des principaux acteurs.
Le film “Inside job” démontre, en décrivant les faits ayant abouti à la crise des subprimes, que celle-ci ne devait rien au hasard. Tout a été préparé par les lois de dérégulation financières, elles-mêmes décidées en amont. La façon dont les prêts toxiques ont été “blanchis” par passage de relais pour aboutir à des notations AAA ; la mise aux postes clés, et même ceux des autorités de régulation, de personnes ayant des liens avec les banques ; la constitution particulière des agences de notation, qui sont privées et qui reçoivent de l’argent (beaucoup) si elles donnent de bonnes appréciations(cf sur Wikipedia : Article Agence de notation financière de Wikipédia en français (auteurs) Contenu soumis à la licence CC-BY-SA ) ; les prestigieux enseignants américains en sciences économiques dont certains (combien ?) sont très largement rémunérés par les banques ( et qu’en est-il des nôtres ?) etc… tout a été mis en place pour que la finance internationale s’enrichisse de façon exponentielle, non pas en ignorant les risques, mais en s’arrangeant pour que ceux-ci soient, dans tous les cas, payés par le peuple. Et cette opération mondiale a été possible grâce à l’accord, sinon la complicité, des gouvernants des pays industrialisés.
Cette martingale présentée comme un système gagnant à tous coups, c’est celle où, en fin de compte, ce sera toujours le contribuable qui trinquera.
En effet, il n’aura échappé à personne que les banques sont des organismes privés (surtout depuis que ceux qui font l’économie ont décidé qu’il n’y aurait plus de banque publique et que les états ne pourraient désormais plus emprunter qu’à des banques privées) que le citoyen va renflouer par ses impôts (privatisation des profits, socialisation des pertes, comme on dit). De la même façon, la restriction des services publics représente l’amende payée par le peuple pour un système d’endettement des états qui a enrichi les banques, système d’endettement qui va être évalué, encore une fois, par des agences de notation privées, et sur des critères officiellement subjectifs : “C’est ma conviction” disent les évaluateurs dans le film...
Les théories en cours lors de la dernière décennie “Too big to fall” ou “Les marchés s’autorégulent” ne sont que les résultats d’une propagande savamment instillée dans une population peu habituée à se poser des questions à ce niveau de mondialisation économique.
Mais il serait urgent de se demander pourquoi tant de gens, des principaux intéressés (réellement intéressés, d’ailleurs…) aux principaux économistes, en passant par les politiques et les journalistes, ont répétés en boucle ces âneries, au point de conspuer quiconque tentait de faire entendre un son de cloche différent de la théorie officielle. C’est un point fondamental, car, alors que les pays d’Europe sont soumis l’un après l’autre à des attaques dont on peut prévoir qu’elles vont mettre ces pays en faillite (et ne croyons pas que la France va être indemne : je pense qu’elle fait partie du cœur de cible) il devient indispensable d’ouvrir les yeux sur les mécanismes ayant amené le monde là où il en est. Sinon nous allons continuer à accepter des décisions qui sont destinées à nous nuire, avec des conséquences de plus en plus funestes. Et les facteurs qui ont permis que des théories erronées prennent le pas sur des positions plus pragmatiques et expérimentées ne sont pas liés au seul hasard : ils ont été mis en place délibérément et systématiquement, même si nombre de ceux qui les ont promus ont été dupes eux-mêmes avant de duper les autres.
La troisième guerre mondiale a déjà commencé, et elle est à la fois économique et psychologique.
Si les acteurs politiques, par exemple ceux qui ont présidé à l’élargissement de l’union et à la création de l’euro, avaient tenu compte de quelques signaux des économistes les alertant sur le fait que faire une monnaie unique avec des pays aux économies de forces et de styles différents cela ne pouvait pas marcher, nous n’en serions pas là. Mais nous sommes dans un régime de l’auto-persuasion : le simple bon sens n’a plus court, et depuis longtemps. Entre la stratégie conduisant à cacher au bon peuple les raisons de la prise de décisions obérant l’avenir, voire ces décisions elles-mêmes, noyées derrière des faits secondaires montés, eux, en épingle, et le fait que les décideurs, pour faire leur sale boulot, se racontent à eux-mêmes qu’ils ont raison, il est depuis des décennies difficile de considérer que nos dirigeants nous disent la vérité.
J’accuse les sciences humaines d’être en partie responsable de cet enfumage. Les sciences du comportement et de la communication ont porté l’art de la manipulation des masses à un degré jamais atteint, et les sciences économiques se sont perdues dans des théorisations prospectives conformes à l’esprit du temps : mais ni les unes ni les autres n’ont tenu compte ni évalué les conséquences de la mise en pratique de leurs théories. L’observateur fait partie de l’observation : c’est déjà vrai en science dure, mais c’est primordial en science humaine. On sait qu’une évaluation économique inquiétante contribue à créer ce qu’elle craint, qu’un discours habile peut faire taire une opposition légitime : la responsabilité de l’acteur qui utilise ces outils est engagée, mais comme il pense agir au nom d’une “science” il se dégage lui-même de toute responsabilité. C’est tragique.
Ainsi, le fait de faire vivre les populations dans un état de “crise” permanente contribue à leur faire accepter l’inacceptable, voire à leur faire croire n’importe quoi. De même, annoncer comme une bonne nouvelle que l’on va permettre de faire accéder chacun, même les ménages les plus pauvres, à la propriété, alors que l’on sait qu’un certain nombre de ces victimes de ce marketing vont se retrouver en faillite et sans toit, tandis que d’autres, plus nombreuses, vont passer les meilleures années de leur vie à devoir compter chaque sou pour pouvoir payer leur traites, c’est quoi ? Une manipulation de plus. Mais dans le monde de la "comm" omniprésente, on ne se pose plus la question de la vérité. Tout est fait pour responsabiliser les victimes, voire les faire payer deux fois, dans une sorte de double-peine hallucinante, et déresponsabiliser le communicant. Mais qui évalue les conséquences d’un appauvrissement de la population ? Le néolibéralisme prétend que faire fonctionner tous les systèmes humains selon un mode marchand rend l’entreprise mondiale plus performante : c’est une profession de foi, une idéologie, qui ne cesse de prouver sa fausseté. Mais on continue pourtant de l’appliquer avec une détermination hallucinante, parce que ceux qui en souffrent ne sont pas ceux qui la promeuvent et en bénéficient...
Pour savoir qui est réellement coupable, ce n’est pas très difficile, il suffit de savoir à qui profite le crime…Vous avez dit bonus ? Dividendes ? Paradis fiscaux ? Bouclier fiscal ? Les écarts de revenus entre les populations aisées et les pauvres ne cessent d’augmenter, ce qui est exactement l’opposé de ce que à quoi devrait aboutir une gouvernance globale qui se présente officiellement comme sociale et démocrate, et l’inverse de ce qu’énoncent tous ces messages prétendant faire notre bien.
Où est le progrès ? Ne réside-t-il pas surtout de nos jours dans l’art d’utiliser au maximum la main-d’oeuvre pauvre et la productivité des classes moyennes pour un bénéfice grandissant des plus riches, sans déclencher de révolte chez ceux qui sont ainsi exploités ? Et ceci grâce à une utilisation de stratégies de communication qui vont bien au-delà de la simple publicité pour modifier notre façon même de penser et de concevoir le monde ?
Que va-t-il advenir maintenant ?
Quand est-ce que les citoyens vont se réveiller ? Est-ce que les manifestations qui se déclenchent dans les pays atteints par ces punitions financières (une petite remarque pour noter que dans le monde de la mondialisation économique, si un pays a des difficultés, on ne l’aide pas, mais on le punit, en lui faisant payer ses emprunts plus chers… on voudrait affaiblir les pays de l’ Europe que l’on ne s’y prendrait pas autrement…) sont l’amorce d’une prise de conscience et d’un refus de cette manipulation globale ?
Mais, si l’on accepte l’idée que l’évolution économique des trente dernières années n’est pas le fruit du hasard, la droitisation généralisée des états européens, et leur évolution globalement plus sécuritaire, vont-elles permettre que ce refus s’exprime et soit suivi d’un changement de cap dans la politique économique et dans la politique tout court ? Il me semble qu’il existe une sorte de course de vitesse entre la prise de conscience par le peuple et certaines élites de ce qui est en train de se passer, et l’évolution des différents gouvernements vers le développement d’un contrôle accru de la population, visant, entre autre, à prévenir tout débordement à venir. Peut-être certains savent-ils que la marmite risque, un jour, de se mettre à bouillir…
Je crains, à entendre certaines sirènes médiatiques, que d’aucuns continuent à tenter de nous faire croire que la solution aux conséquences désastreuses de la politique néolibérale serait de faire encore plus d’Europe, une sorte de gouvernement européen qui serait assez fort, nous dit-on, pour se défendre dans le grand marché mondial. Encore une fois, c’est le système où on perd à tous les coups : soit on s’appauvrit, soit on disparait en tant que pays autonome pour se vendre au plus offrant, avec la finance (“Saint-Lémarché” !) qui dictera encore plus sa loi car le peuple ne sera plus souverain, si tant est qu’il l’est encore…
En effet, tant que la régulation n’est pas effective, et que le pouvoir de l’État par rapport à la finance n’est pas rétabli, tout changement se fera au bénéfice de cette dernière.
Enfin, a-t-on pensé au fait que l’argent des banques, c’est le nôtre ? Sans nos investissements, que sont-elles ? Que se passerait-il si les citoyens s’organisaient pour se passer de leurs services ? N’est-ce pas pour cette raison que les états vendus à la finance entendent parvenir rapidement à la dématérialisation de l’argent ? Une fois que nous serons entièrement dépendants du bon vouloir de guichets virtuels, auront nous encore la possibilité de gérer nos avoirs à notre guise ? L’emprise fait oublier, souvent, que le roi est nu : évaluons, réellement, les forces en présence.
Alors, je ne sais pas ce que vont donner les mouvements qui s’amorcent : je ne fais pas, moi, partie de ceux qui violentent l’histoire et qui sont donc capable de la prévoir, au moins à court terme. Mais je sais que tant que l’on n’a pas compris les ressorts d’une erreur, on est condamné à la répéter. Et il me semble que la vérité commence à se faire jour.
Mais je sais aussi que lorsque quelqu’un déséquilibre volontairement un système pour le détourner vers son seul propre intérêt, il court le risque, un jour où l’autre, d’avoir à essuyer en retour un mouvement d’une force au moins équivalente, mais moins calculée…
NB : cet article a paru aussi sur Mediapart
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