Belem vs Davos : De quel côté penchera la Terre ?
Forum social mondial à Belem (Brésil) et Forum économique mondial de Davos (Suisse) se sont déroulés parallèlement sous des latitudes si opposées, comme un reflet parfait de ces mondes que tout sépare. D’un côté tout ce que compte la planète d’altermondialistes et de l’autre tout ce que le globe peut réunir en matière de décideurs économiques et financiers. L’un s’est déroulé dans la chaleur tropicale exubérante d’un Brésil coloré et bigarré, alors que l’autre se tient chaque année dans le silence blanc et feutré d’une Suisse coffre fort du monde. Outre ces différences symboliques fortes, comment ne pas constater combien la ligne de fracture qui délimite les deux univers n’est pas en mesure de se réduire tant les deux modèles proposés sont incompatibles. Mais alors, si la terre devait pencher, de quel côté son axe de rotation inclinerait-il ?
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Ils étaient environ 100 000 participants réunis à Belem pour ce 9e Forum social mondial alors qu’ils étaient 2500 à participer au 39e Forum économique mondial de Davos, réunion annuelle des « grands de ce monde ». Si la loi du nombre est déjà clairement établie en faveur des altermondialistes réunis en pleine Amazonie, force est de constater qu’il est inversement proportionnel aux richesses détenues par les participants rassemblés dans les montagnes grisonnes. Pour autant, un sujet était commun, imposé par l’actualité des mois écoulés, soit l’expression massive depuis le krach financier de septembre 2008 d’une crise qui fait désormais loi pour toute la planète, même si les nations occidentales se voient d’autant plus fragilisées car disposant d’un volant de croissance bien moindre en comparaison des systèmes économiques des pays émergents.
Les deux rassemblements ont pris fin ce dimanche 1er février avec des conclusions diamétralement opposées, même si les participants au Forum helvète se sont fait bien moins triomphants qu’à leur habitude, prônant la moralisation du capitalisme financier tout en rappelant son indiscutable suprématie. De leur côté, les altermondialistes ont clôt leurs travaux sous la forme de 22 assemblées générales dont les conclusions s’apparentent à une condamnation sans équivoque du système dominant actuel, constatant son échec cuisant et les dangers absolus vers lesquels il conduira inéluctablement. Même si les contributions de chacun ne feront pas l’objet d’un texte synthétique, il en est un que tout le monde pourra retenir, signé par un conglomérat de réseaux intitulé « mettons la finance à sa place ». Il résume parfaitement la philosophie des participants à la rencontre en terre brésilienne. Ce texte propose huit pistes de réflexion et d’action afin de nettoyer le système financier planétaire de tous les abus qui l’ont alimenté et perverti, pour aboutir à la crise systémique que nous connaissons aujourd’hui. Par ailleurs, les tenants de l’altermondialisme ne se sont pas privés de fustiger le vide sidéral du Forum de Davos qui ne fait aucune proposition concrète, si ce n’est de proposer de graisser les rouages de la finance par un peu plus de morale et d’État, autant dire un comble pour un Forum qui se veut l’apôtre du capitalisme depuis bientôt quarante années.
Les altermondialistes proposent l’abolition des paradis fiscaux et des fonds spéculatifs ainsi que la mise en place de mécanismes de contrôle financier drastiques, tout en établissant un véritable système monétaire international. Soit les mécanismes d’une finance alternative accouplés à une alterfiscalité afin de lever beaucoup plus de fonds pour financer le développement des pays les plus pauvres.
Mais Davos est là, pas encore enterré, les puissants de ce monde ne l’entendent pas d’une même oreille partageuse. Pourtant, un semblant d’humilité de rigueur aura conclu la réunion de Davos et c’est le moins que l’on était en droit d’attendre. D’autant que Frédéric Lelièvre, journaliste pour « Le Temps », ne manquera pas de rappeler que lors de la précédente édition du Forum économique de Davos, Jacob Frenkel, un des vice-présidents du géant de l’assurance AIG, pérorait en affirmant que les fondamentaux de l’économie étaient « sains » ! Il en coûte aujourd’hui au contribuable américain 85 milliards de dollars, une addition aux dimensions vertigineuses, notamment si on l’éclaire à la lumière des 100 milliards de dollars annuels versés au titre de l’aide publique au développement.
Recapitaliser les banques, tel était le mot d’ordre répété à l’envie lors des débats alpins ; il en va de la pérennité du système constataient les participants dans les salons (cal)feutrés de la station Suisse, même si cela doit se faire à la faveur d’un mécontentement social dont ils oublient bien rapidement qu’il pourrait se muer en véritable révolution globale incontrôlable. Mais l’incertitude planait encore largement dans les méandres d’un système victime d’une secousse tellurique dont les répliques ne sont pas à exclure.
Pour autant, aucun bouleversement, si ce n’est une orientation incontournable vers les pays émergents faisant office de bouée de secours pour les naufragés du Titanic de la finance qui vient de se fracasser contre l’iceberg de la cupidité. Mais, au fond, ils ne rêvent que d’assembler un autre navire du même genre, plus grand encore, puisque devant inclure les nations en devenir. Nul doute que la Suisse saura faire une place plus grande sur ses sommets enneigés à la nouvelle élite économique des pays émergents, juvéniles complices du système économique dominant. Mais, qu’en sera-t-il l’année prochaine lors de la quarantième édition ? Bien fin qui pourra le deviner tant la planète capitaliste donne de la gîte alors que la météorologie économique mondiale annonce un avis de tempête persistant pour les mois à venir.
En attendant, les altermondialistes reprennent vigueur et se projettent dans l’avenir comme force de propositions radicalement différentes, et non plus seulement comme mouvement d’opposition au système hégémonique capitaliste. Ils organisent désormais une résistance constructive en s’opposant à la domination du G20 qui se met en place progressivement, dont la prochaine réunion se tiendra le 2 avril à Londres, mère du capitalisme moderne autrefois triomphant, mais aujourd’hui agonisant.
Un autre monde est indispensable pour la survie de l’ensemble du genre humain, la planète, au sens écologique, l’exige haut et fort, faut-il être sourd pour ne pas l’entendre ? La gestion écologique, au sens premier du terme, s’imposera car la planète, et tout ce qui la compose, n’est pas un simple gâteau à partager, mais plutôt un jardin que chacun devra cultiver avec la plus grande attention responsable si on souhaite persister sur cette sphère. L’arrogance occidentale serait bien inspirée de méditer cet « appel pour bien vivre » lancé par les peuples Indigènes réunis à Belem qui mesurent avec une acuité remarquable combien notre modèle est en fin de vie.
Dés lors, sans équivoque possible, la Terre penchera vers Belem, ce petit coin du monde situé au cœur de l’Amazonie, son poumon en voie de disparition.
Photo : AFP/Getty Images
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