J’étais choqué dernièrement de lire l’énorme vague de licenciements annoncée par AstraZeneca : 7300 postes supprimés, 12% de ses effectifs, alors que le groupe en a déjà supprimé 21460 depuis 2007. Cela fait pourtant des années que les grands laboratoires licencient par milliers, tout en engrangeant des bénéfices toujours en hausse. 1
Des licenciements à la pelle
En 2011 déjà, AstraZeneca figurait dans le top 10 des plus gros “dégraisseurs” de l’industrie pharmaceutique. 2
Entreprise |
Nombre de postes supprimés |
Merck & Co |
12 à 13000 |
Pfizer |
4220 |
Novartis |
2000 |
Abbott |
1900 |
AstraZeneca |
1550 |
Teva |
200 officiellement, 1000 à 1500 officieusement |
Sanofi |
700 au minimum |
Johnson & Johnson |
1000 |
Eisai |
900 |
Bayer |
540 au minimum |
On est pourtant loin des chiffres de 2010. 3
Entreprise |
Nombre de postes supprimés |
AstraZeneca |
8550 |
Pfizer |
8480 |
GlaxoSmithKline |
5201 |
Roche |
4800 |
Bayer |
4500 |
Abbott |
3000 |
Sanofi |
2500 |
Takeda |
1400 |
Novartis |
1400 |
Bristol-Myers Squibb |
840 |
Un coup d’œil sur 2009 : 4
Entreprise |
Nombre de postes supprimés |
Pfizer |
19500 |
Merck & Co |
16000 |
Johnson & Johnson |
8900 |
AstraZeneca |
7400 |
GlaxoSmithKline |
6000 |
Eli Lilly |
5500 |
Teva |
1090 |
Sepracor |
940 |
King Pharma |
770 |
Sanofi |
750 |
Le top 6 2008 (pas de top 10) : 5
Entreprise |
Nombre de postes supprimés |
Merck & Co |
8400 |
Schering-Plough |
5500 |
Wyeth |
5000 |
UCB Pharma |
2000 |
AstraZeneca |
1400 |
Abbott |
1000 |
Et le top 8 2006 (pas de top 10) : 6
Entreprise |
Nombre de postes supprimés |
Pfizer |
10000 |
AstraZeneca |
7600 |
Bayer |
6100 |
Johnson & Johnson |
5000 |
GlaxoSmithKline |
5000 |
Bristol-Myers Squibb |
4800 |
Novartis |
3750 |
Amgen |
2600 |
Ces quelques chiffres, loin d’être exhaustifs, nous apprennent que des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur emploi d’une fait d’une poignée de grands laboratoires.
Certes, d’aucuns objecteront que plus le laboratoire est grand, plus le plan social est important. Je les invite à mieux se renseigner sur les structures moyennes.
Les raisons I
On peut en effet se demander ce qui justifie tous ces licenciements. Réponse courte : rien. Réponse longue : la nullité des dirigeants.
En effet, les grands laboratoires ont bâti leur succès sur quelques produits phares, ceux que l’on appelle les blockbusters (définition : chiffre d’affaires annuel supérieur au milliard de dollars). Chacun a trouvé un super produit qui s’est vendu comme des petits pains. C’est le Lipitor pour Pfizer, le Nexium pour AstraZeneca, le Prozac puis le Zyprexa pour Eli Lilly. Mais un beau jour, chacun de ces produits voit arriver des concurrents génériques. La vache à lait n’est plus, et le chiffre d’affaires s’effondre.
L’idéal, c’est bien sûr de trouver une nouvelle vache à lait. C’est justement là que le bat blesse : les grands laboratoires ont été pour la plupart incapable de découvrir un nouveau blockbuster, dont les experts estiment d’ailleurs que le modèle commercial est dépassé. De plus, dans le domaine pharmaceutique, plus l’entreprise est grande, moins sa R&D est efficace : les dirigeants sont de plus en plus déconnectés du travail en laboratoire et prennent des décisions sur des critères parfois absurdes. Par exemple, d’avoir un chiffre rond de produits en développement, en tous cas de ne pas en avoir trop parce qu’on ne s’y retrouve plus. Du côté des chercheurs, le sentiment de travailler pour des dirigeants qui n’y comprennent rien est un important facteur de démotivation.
Les raisons II
Face à cette incapacité, les laboratoires ont procédé autrement : ils ont racheté des concurrent pour mettre la main sur leur portefeuille de futurs produits. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre le rachat, l’année dernière, de Genzyme par Sanofi. C’est ainsi qu’Eli Lilly a mis la main sur le Cialis (concurrent du Viagra), en rachetant ICOS.
Mais à chaque fois d’un laboratoire en rachète un autre, il grossit temporairement. Des doublons apparaissent pour certains postes, et immanquablement, un plan social suivra.
Prenons ces groupes mentionnés dans les tableaux ci-dessus et voyons comment ils se sont constitués (je pars des années 90) :
-
AstraZeneca = ((Astra AB) + (Zeneca Group)) + (Cambridge Antibody Technology) + MedImmune)
-
Pfizer = Pfizer + (Warner-Lambert + Agouron) + (Pharmacia + Upjohn + Searle) + Wyeth + King Pharmaceuticals
-
Sanofi = (Sanofi + Synthélabo) + ((Rhône Poulenc + Rorer + Applied Immune Science + Cooper) + (Hoechst + Marion Merrel Dow + Roussel UCLAF)) + Genzyme
-
GlaxoSmithKline= (Glaxo + Burroughs Welcome) + (SmithKline + Beecham)
-
Novartis = (Ciba-Geigy + Sandoz Laboratories) + Lek + Hexal + Eon Labs + Chiron Corporation + Alcon
-
Bayer = Bayer + Bomac Group + Schering
-
Merck & Co = Merck + Schering-Plough
Etc.
Cette suite sans fin de fusions cache en vérité mal ce qui n’est qu’une fuite en avant.
J’en arrive à ne pas comprendre comment les PDG arrivent à convaincre leurs actionnaires dans cette voie. En effet, racheter un laboratoire coûte très cher. Il faut payer en moyenne 3 fois le chiffre d’affaires de la cible. Ensuite, il faut dépenser beaucoup d’argent pour intégrer la nouvelle société dans l’existant : faire des séminaires avec les salariés, renégocier les accords avec les partenaires, déménager les équipes, obliger tout le monde à adopter des formulaires en police 12 au lieu du police 11… Et après, il faut encore payer plus cher pour virer les gens « en trop ». Du coup, on fait miroiter un futur radieux : les dividendes seront pas terrible pendant 3 ans, le temps de digérer, mais après, ça sera super. Sauf que après, rebelote, on refait un rachat. Mais les actionnaires, bons moutons, se font avoir à chaque fois. Tant pis pour eux, et bien fait, car ce sont eux qui se réjouissent de mettre des milliers de salariés sur la paille.
L’alternative
Les dirigeants de ces grands labos se cassent la tête pour trouver une solution. On a longtemps mis en avant Novartis, qui, plutôt que de courir après les blockbusters, mise sur les produits de niche. Mais même Novartis annoncé cet automne des mesures drastiques (voire le tableau), avec l’abandon d’activités et des fermetures de site dont certaines ont du être annulée sous la pression des salariés.
Pfizer avait promis, au moment de racheter Wyeth, de conserver des petites équipes de recherche autonomes, plus efficaces. On ne verra les résultats que dans 15 ans, mais les 8000 suppressions de poste annoncées l’an dernier (et 8000 de plus attendu cette année) nous permettent d’en douter.
S’en sortent en fait les structures plus modestes, celles qui sont restées relativement à l’écart de cette folie de fusion. Des entreprises comme Boehringer Ingelheim qui a compté sur ses propres forces, ou comme Amgen qui a surtout racheté des biotechs naissantes. Des entreprises qui préfèrent investir massivement en recherche que de verser des dividendes ronflants aux actionnaires : 20% du chiffre d’affaires passe en recherche chez Lundbeck ou Boehringer contre "seulement" 16% chez AstraZeneca. Pas étonnant que les gros soient en perte de vitesse…
1. AstraZeneca to cut 7,300 jobs, Julia Kollewe & Ruppert Neate, The Guardian, 2 Février 2012
2. Top 10 pharma layoffs of 2011, Ryan McBride and Mark Hollmer, Fierce Pharma, 4 Janvier 2012
3. The Top 10 Pharma Layoffs of 2010, Erica Teichert, Fierce Pharma, 7 Décembre 2010
4. Top 10 Layoffs of 2009, Maureen Martino, Fierce Pharma, 9 Décembre 2009
5. Top 5 layoffs of 2008, Maureen Martino, Fierce Pharma, 17 Novembre 2008
6. Top 5 layoffs of 2007, Maureen Martino, Fierce Pharma, 15 Octobre 2007
7. Pfizer Plans 16,300 Layoffs Amid Health Benefit Cuts for Retirees, Jim Edwards, CBS News, 15 Août 2011