Chercheur-inventeur : l’écheveau de la création...
Dans un début de XXIe siècle déboussolé par la mondialisation des marchés, il devient urgent de lever le voile sur les conditions dans lesquelles les « inventeurs » créateurs de richesses partagées sont considérés par des entreprises industrielles peu scrupuleuses sur leur obligation à appliquer les droits attachés aux inventions de salariés conformément au Code de la propriété industrielle depuis des décennies.
Les chercheurs-inventeurs de l’industrie française dont je fais partie (4) subissent depuis bientôt trop longtemps les ravages des entreprises qui puisent dans leurs veines les filons d’or de leur croissance pérenne en faisant l’économie d’une juste rétribution financière pourtant fruit du bon sens le plus élémentaire.
Les principaux porteurs de flambeau de l’innovation française dans les PME/PMI sont sacrifiés alors même que le monde politique s’évertue à mettre en avant la nécessité d’innover et de prendre conscience des enjeux de la propriété industrielle.
Certains chefs d’entreprise n’en ont cure et déchirent en lambeau les bonnes volontés politiques. Ils brandissent même ouvertement sans vergogne des menaces de délocalisation pour mieux nous faire porter le fardeau de leurs propres inepties à ne pas innover !
Toujours est-il que M. Hervé Novelli, secrétaire d’Etat aux Entreprises et au Commerce extérieur, semble avoir saisi l’ampleur de ce problème récurrent et il a pris l’initiative de créer le 9 novembre 2007 une commission au sein du Conseil supérieur de la propriété industrielle pour qu’enfin soit traité ce sujet épineux et en souffrance de la rémunération des inventions source de controverses très mal placées (3).
Seules nos économies occidentales plongées dans des crises incessantes et très tourmentées savent si bien charrier dans leur cours ces paradoxes qui conduisent à la ruine de ses propres fondations.
Chercheur-inventeur, je faisais, en septembre 2004, l’objet d’un licenciement indigne et d’une brutalité sans nom pour avoir eu l’outrecuidance de réclamer mes droits à de justes rémunérations supplémentaires sur huit de mes inventions comme inventeur principal, ayant contribué à créer ou à consolider les 137 000 000 millions d’euros de chiffres d’affaires accomplis sur dix ans de bons et loyaux services.
Je ne faisais là que demander l’application de la loi.
Aujourd’hui, je sors de ma réserve pour témoigner avec force et convictions de cette réalité affligeante. Sans doute devais-je être tout désigné pour ce chemin de croix dans une PME/PMI !
Il faut bien admettre que le sort des chercheurs-inventeurs du secteur privé a atteint son paroxysme pour illustrer malgré moi de sa facette la plus inique.
Certes, le Tribunal de grande instance et la Cour d’appel de Paris m’ont donné raison fin 2006 après une très longue procédure de deux années interminable et traumatisante pour un résultat dérisoire, mais surtout au sacrifice de la reconnaissance de ma valeur inventive qui me laisse vraiment un goût très amer (1).
Néanmoins très solide sur mes fondamentaux créatifs, je suis bien contraint d’arborer la défense des droits des inventions de salariés en essayant de donner un sens nouveau à mon art singulier, celui d’un don plus prononcé pour l’imagination et la création pure au service d’une gageure moderne - l’Entrepreneuriat innovant - qui fait tant défaut aux entreprises.
D’ailleurs, j’ai su saisir les opportunités qui me ressemblent pour rebondir dans la création d’une start-up époustouflante. J’aurai sans doute l’occasion d’y revenir car le cheminement exemplaire que je suis en train d’opérer dans la prise en compte de l’une de mes dernières inventions pourra servir de modèle à beaucoup de chercheurs-inventeurs du secteur privé malmenés.
Pour l’heure, au-delà du droit des inventions de salariés, c’est tout un système de valeurs qui est mis en péril et qui s’accompagne d’une grande méprise sur le processus d’innovation, d’un amalgame dans les sources d’invention et d’une grande confusion dans les chemins qui mènent à la création de produits innovants.
De ce fait, certaines entités se livrent à un lynchage ingrat des inventeurs sous prétexte que le principe de rémunération supplémentaire établi par la loi n’est pas de leur bon vouloir ou bien conforme à leur mode de fonctionnement archaïque.
Les seules règles communément appliquées dans ce type d’entreprises sont celles de la logique du patron de « droit divin » imposée au salarié de « droit asservi ». De cet héritage d’une ère industrielle alors en plein essor basée sur l’exploitation de toutes les idées, nous avons basculé dans une ère industrielle faite de régressions qui ne sait plus mettre en relief le formidable potentiel des idées.
Autant dire que l’industrie ne relèvera pas les immenses défis économiques qui l’attendent en conservant la vision d’un temps passé bien révolu face à tous ces pays émergents qui rôdent à nos portes et savent parfaitement capter la moindre de nos idées.
Les entreprises n’ayant pas su valoriser ses inventeurs lors des "Trente Glorieuses", on voit difficilement comme elles pourraient le faire de nos jours.
Les inventeurs n’ont plus qu’à trouver leur Eldorado hors de nos frontières !
Or, l’aptitude à la création est une valeur individuelle qui fait toute la différence dans l’univers fortement concurrentiel des produits de haute technologie comme des plus ordinaires. En vérité, c’est bien cette valeur du génie créatif individuel au service de l’innovation collective qui génère la richesse de tous et permet l’expression du talent de chacun.
Et pourtant, dans ce contexte chaotique que nous subissons, les relations entre employeurs et inventeurs salariés se sont alourdies d’un contentieux qui fait oublier l’importance même des valeurs créatives reléguées au second plan.
Au lieu de glorifier les inventeurs qui engendrent des perspectives de croissance, les entreprises craignent de devoir s’acquitter de sommes supplémentaires importantes sur les rémunérations d’invention. Fatalement, les demandes légitimes se soldent par un affrontement qui se traduit systématiquement par un limogeage expéditif de l’inventeur. Ce dernier ne comprend pas pourquoi tous les fruits de son travail créatif se retournent subitement contre lui.
Faisant fi de ses résultats, l’employeur n’hésite pas à accuser son inventeur des pires maux pour s’en débarrasser à bon compte après l’avoir exploité à bon escient.
Comble du désarroi, la menace de licenciement s’exerce sur l’inventeur méritant comme pour le priver de la jouissance des bénéfices pérennes qu’il a su créer pour la collectivité tout entière.
De nos jours, la plupart des chefs d’entreprise de notre pays sont arc-boutés sur des visions du court terme qui les aveuglent sur les perspectives d’avenir. Ils ne prennent plus assez de risques et ne parient plus autant sur la création pure pour se contenter de survivre aux assauts de la mondialisation qu’ils provoquent eux-mêmes ou à défaut accueillent avec fatalité pour ne pas avoir su anticiper les conditions suffisantes pour les compenser.
A contrario, le chercheur-inventeur se situe résolument sur ce chemin de l’innovation de rupture. Il tente d’entraîner dans le sillage de sa créativité intuitive l’entreprise routinière qui y oppose une farouche résistance.
Or, cette créativité insaisissable relève d’une qualité d’imagination individuelle consistant à voir ce que d’autres ne voient pas de façon immédiate grâce à une très forte faculté d’intuition raisonnée et des forces intellectuelles en mouvement dont seuls les inventeurs ont le secret.
Aussi, avant de contester la rémunération supplémentaire des inventeurs, il faudrait s’interroger sur ce que représentent au juste les sommes en jeu au regard des résultats obtenus par les inventions ?
Il faut bien reconnaître que les rémunérations supplémentaires forfaitaires très aléatoires des inventions de salariés sont totalement dérisoires au regard des gains obtenus par l’entreprise lorsque l’invention en question a bien évidemment réussi. Pour cela, il suffit de se reporter au cas le plus célèbre de l’affaire « Raynaud c/ Hoechst Roussel Uclaf » relaté dans l’ouvrage de Jean Paul Martin (2), qui a confirmé en 2000 une rémunération supplémentaire d’1,3 % des marges bénéficiaires nets sur huit ans d’exploitation commerciale (alors que la durée de vie d’un brevet est de vingt ans), soit 600 K€ (4 MF) obtenus pour des profits de 45 millions d’euros (300 MF).
Cette décision proportionnée aux seuls résultats exceptionnels de l’invention et au demeurant fort raisonnable, avait à l’époque fait grand bruit au Medef et soulevé un tollé général auprès des chefs d’entreprise en créant un précédent inadmissible dans leur esprit gestionnaire.
Alors ne doit-on pas plutôt considérer que le cœur du conflit entre les chercheurs-inventeurs du secteur privé et leurs employeurs réside plutôt dans les choix d’orientation qui engagent leur propre avenir ?
La séparation est avant tout d’ordre idéologique sur les modes de gestion de l’innovation avant de devenir de fait un règlement de compte financier aberrant.
En réalité, l’esprit gestionnaire et l’esprit créatif se sont, au fil du temps des crises économiques successives, éloignés l’un de l’autre pour finir par s’opposer injustement davantage par incompréhension mutuelle. Cette opposition résulte d’une absence de prise en compte et d’organisation d’un processus d’innovation en amont basé sur la spontanéité d’une création intuitive individuelle au détriment d’un processus d’innovation exclusivement en aval basé sur l’instrumentalisation d’une créativité inductive ou déductive collective.
Pourtant, l’exemplarité du sort réservé à la rémunération des chercheurs-inventeurs par le groupe Air Liquide avec toute la reconnaissance associée, dont son directeur de la propriété industrielle M. Thierry Sueur s’en fait l’écho (2), nous donne à penser une toute autre vision positive même si elle est plafonnée. Celui-ci préside la commission du CSPI et en est l’un des principaux rapporteurs. Par ailleurs, il est responsable des questions de propriété industrielle auprès du Medef.
Mais, dans la plupart des cas industriels relatifs au quotidien des PME/PMI françaises, l’invention n’est pas forcément considérée comme créatrice de valeur ajoutée économique.
En effet, elle n’est qu’un simple outil de protection juridique qui délimite un espace créatif résultant de la gestion du portefeuille de produits existants. Il n’est pas question de donner aux brevets une quelconque vertu financière pour le salarié inventeur.
De plus, l’organisation des entreprises routinières s’articule autour de stratégies d’adaptation ou d’évolution de l’existant sans sortir des chemins battus. Pour elles, les inventions s’inscrivent uniquement dans une continuité de l’entreprise qui ne laisse pas de place à la création individuelle.
Par ailleurs, les chefs d’entreprise invoquant la prise de risques pour justifier de l’absence de prise en compte de la rémunération supplémentaire des inventions ou sa réduction minimaliste, sont aussi ceux qui, dans le même temps, réfutent les orientations d’une stratégie de "rupture" alors perçue comme un danger pour l’entreprise routinière.
Quand bien même cette notion de « rupture » signifierait plus une nouveauté pour l’entreprise dans ses méthodes de travail qu’une réelle inconnue technologique ou une incertitude du marché !
Or, cette innovation perçue comme de rupture résulte bien souvent d’une ténacité créative à toute épreuve et d’un engagement profond du chercheur-inventeur à la promouvoir contre vents et marées. En règle générale, les démarches d’innovation occultent complètement cette réflexion créative très en amont parfois bien plus efficace.
Les gains spectaculaires obtenus par les résultats commerciaux d’une invention créatrice de richesses nouvelles ne constituent plus alors un risque financier, mais plutôt une croissance certaine.
La protection intellectuelle comme moteurs de l’innovation industrielle sombre petit à petit vers une orchestration juridique au grand dam de la vraie création.
Un désastre pour des salariés qui ne demandent qu’à voir reconnaître leurs talents.
Une honteuse calamité pour ces entreprises peu regardantes qui détruisent les bases de leur pérennité sur l’autel de leur vanité.
Il est grand temps de faire la lumière sur des pratiques médiévales et pourtant bien inscrites dans les mœurs d’une société en crise de toutes les valeurs - valeur du travail - valeur humaine - valeur du produit et de ceux qui les inventent.
Le sursaut salutaire viendra de cette inévitable prise de conscience nécessaire avant d’atteindre un point de non-retour, s’il n’est pas malheureusement déjà franchi, pour le maintien d’une société industrielle déjà largement tournée vers les délocalisations à tout crin.
Malaise des temps modernes ou rançon d’une dérive économique, le sort réservé aux inventeurs salariés est devenu trop intolérable pour qu’une telle hypocrisie perdure dans l’indifférence générale. Derrière cette nécessité de création se cache une terrible désillusion sur la reconnaissance du devoir d’invention accompli.
De ce fait, une double sanction pèse sur l’obligation de résultats des individus créatifs imposée par la rigueur des activités de « Recherche & Développement ».
> La première est celle de ne pas entrer dans le moule des habitudes de l’entreprise empreinte de préjugés.
> La deuxième est celle du salarié jugé un peu trop revendicatif pour s’éloigner du chemin à suivre contrairement aux autres employés parfaitement dociles qui subissent sans broncher le « régime de la terreur » ou s’accommodent paisiblement de la « gestion de la routine ».
Pourtant, depuis des siècles, l’industrie n’a-t-elle pas évoluée de découverte en invention dans tous les domaines des arts et des sciences, puisant sa force de progrès autant dans la créativité d’individus ordinaires que hors du commun.
Leur vision a impulsé cette longueur d’avance consistant à tracer le chemin de l’innovation en rupture avec les habitudes fortement ancrées des organisations routinières. Le chercheur-inventeur est donc en décalage avec un environnement de la création bien formaté. Bien souvent contestés, ceux-ci peuvent alors faire l’objet d’une aversion des dirigeants que les responsables des ressources humaines sont bien en peine d’endiguer, quand ils ne se transforment pas en bras armé d’une politique d’extermination. Et pourtant, comme certains de nos aînés, lorsque l’esprit inventif individuel se double d’une dimension entrepreneuriale les résultats sont toujours remarquablement surprenants. Une nouvelle révolution copernicienne des mentalités doit être insufflée aux chefs d’entreprise.
Les inventions doivent aussi être considérées comme un levier financier des plus efficaces pour assurer des mesures d’encouragement à l’innovation.
A ce titre, elle ne devrait pas être considérée comme des salaires, ni supporter de taxes pesantes pour promouvoir une rémunération aux résultats avantageuse pour toutes les parties plutôt que de les renvoyer dos à dos devant un règlement judiciaire anormal et dégradant.
D’ailleurs, au-delà des politiques traditionnelles de salaire fixe, n’existe-t-il pas une large panoplie d’incitations telles que les stock-options, les actions gratuites, les dividendes du travail sous la forme d’intéressement, les pourcentages sur le chiffre d’affaires, les primes de rendement, etc.
Le contexte de concurrence internationale accru et de mondialisation des marchés devrait conduire les entreprises à innover davantage en matière de rémunération des talents créatifs en adoptant plutôt des pratiques plus souples et attrayantes.
"Le mot ’rupture’ ne m’a jamais fait peur. Moi, je n’ai pas peur de dire que je veux la rupture, la rupture avec les habitudes de pensée, avec les idées, avec les comportements du passé qui nous ont empêchés d’avancer, de prendre notre avenir à bras le corps et de renouer avec la croissance... Il nous faut fabriquer la croissance avec nos talents, nos imaginations, notre audace et, encore une fois, avec notre courage", a exprimé avec force Nicolas Sarkozy à l’université d’été 2007 du Medef.
Combien de chefs d’entreprise ont réellement perçu la portée de ce message ?
Sans doute sont-ils peu nombreux à l’appliquer dans leur organisation devenue bien trop routinière pour ne réserver la rupture qu’à l’approche d’une démarche de restructuration !
Je souscris entièrement à cet élan de rupture annoncée et j’ose espérer que le groupe de travail formé au sein du Conseil supérieur de la propriété industrielle (CSPI) saisira sa chance ultime de transformer ce rendez-vous unique de l’histoire de l’invention en un succès pour tous.
Dans la même veine que toutes les mesures d’encouragement salariales et au même titre que cela a été fait pour le secteur public, il est grand temps de valoriser les inventions du secteur privé autrement que pour son aspect juridique.
Pour cela, il suffit d’appliquer toutes les subtilités financières de ce formidable outil de rémunération de la performance économique que l’homme n’ait jamais imaginé depuis plus d’un siècle - le brevet d’invention - comme tout inventeur indépendant peut s’autoriser à le faire.
Au final, l’invention ne devrait-elle pas être la propriété systématique de son auteur et on peut s’interroger sur sa dépendance avec un statut de salarié qui lui est si néfaste et défavorable ?
En tout cas, je déplore que, parmi les membres de cette commission, il n’y ait aucun représentant des chercheurs-inventeurs eux-mêmes du secteur privé.
C’est pour cette raison que j’ai choisi cette tribune pour faire part de mon vécu personnel exceptionnel. Je suis stupéfait, une fois encore, d’observer ce mal typiquement français qui consiste à traiter d’un problème majeur sans en requérir l’avis des victimes directement concernées.
Inventeurs, l’heure est venue de vous exprimer haut et fort pour faire entendre votre voix malgré la surdité maladive sur ce sujet brûlant.
Bibliographies :
(1) Publications judiciaires dans les revues USINE NOUVELLE et INDUSTRIE & TECHNOLOGIES : Usine nouvelle n° 3053 du 26/04/07 p. 90 et Industrie et technologies n° 889 de mai 2007 p. 98.
(2) Jean-Paul Martin - Droit des inventions de salariés - 3e édition - LITEC, octobre 2005.
(3) Blog de Jean-Paul Martin : http://jeanpaulmartin.canalblog.com/
(4) Mon blog chercheur-inventeur : http://inaugure.space.live.com/
Site de l’INPI www.inpi.fr et base de données des brevets :
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