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Accueil du site > Actualités > Economie > Citizen Keynes ou le mythe de l’auto-régulation des marchés

Citizen Keynes ou le mythe de l’auto-régulation des marchés

Les théories de Keynes selon lesquelles les dépenses gouvernementales doivent être substantiellement augmentées en temps de crise auraient pu amoindrir la sévérité de la crise des années 30, mais les autorités de l’époque ont au contraire contribué à l’accentuer en n’adoptant pas les mesures indispensables au soutien des ménages en même temps qu’elles abandonnaient à la faillite leurs banques par centaines...

Aujourd’hui, c’est l’improbable crise que nous traversons qui remet les théories de Keynes au goût du jour, Keynes que l’on croyait relégué au rayon des curiosités historiques. Pourtant, la politique économique keynésienne visant à maintenir le taux de chômage en dessous d’un certain palier critique par l’augmentation des dépenses publiques ou la réduction du niveau d’imposition avait été scrupuleusement appliquée encore pendant trente ans après la Seconde Guerre mondiale et ce jusque vers le milieu des années 70. Jugées par la suite responsables de la stagflation de la décennie en question, les théories de cet économiste furent néanmoins taxées de rétrogrades car n’ayant plus rien à offrir à notre monde moderne. Du reste, la grande fossoyeuse des théories keynésiennes fut Margaret Thatcher qui réussit une relance remarquable de l’économie britannique tout en créant trois millions de chômeurs !

Keynes était certes mort, mais en réalité ses théories hantaient toujours les couloirs des principales Banques centrales du monde développé qui contrôlaient l’économie en ajustant leurs taux d’intérêt selon le niveau de l’inflation, de la croissance et de la production pendant que les gouvernements s’astreignaient à une politique disciplinée en matière d’endettement. La notion de stabilisateurs automatiques fut ainsi définie dans la droite ligne des enseignements de Keynes, l’effet quasi "mécanique" de stabilisateur étant assuré par le budget de l’Etat déficitaire ou excédentaire selon le degré de l’activité économique. Résultat : grâce à ce "fine tuning" - ce réglage en douceur - et à l’adaptation perpétuelle des taux d’intérêt, nos économies en état de grâce bénéficiaient d’une expansion permanente d’où l’inflation et les crises étaient bannies. Keynes n’était plus à la mode en ces temps bénis où la forte croissance asiatique et américaine se conjuguait à une baisse généralisée des prix dans un contexte de concurrence globale...

La ligne directrice de l’économie moderne imposait ainsi de réduire au possible l’emprise des Etats en laissant les marchés suivre leur pente naturelle et en partant d’un principe indiscutable selon lequel les intervenants économiques sont rationnels et que les marchés reflètent forcément à tout moment dans leurs prix l’état et la santé du système économique. L’économie était donc anoblie et élevée au rang de "science" et, en tant que telle, qualifiée d’infaillible étant entendu que les crises épisodiques ne pouvaient être dues qu’à des facteurs et à des chocs exogènes comme les guerres et principalement les interférences extérieures qui en bouleversent malencontreusement les équilibres profonds...

Malheureusement pour cette théorie du meilleur des marchés digne d’Aldous Huxley, la crise présente n’est en rien due à une intervention extérieure car elle a été initiée et amplifiée par les forces mêmes du marché dans le cadre d’une dérégulation qui en constituait une véritable profession de foi ! Les défenseurs du marché auto-régulé en furent pour leurs frais et c’est précisément ce qu’avait prévu Keynes qui écrivait en 1936 que "nous essayons de gérer le présent en faisant abstraction du fait que nous ne savons rien de l’avenir"... Conséquence : en poursuivant sur cette lancée, nous ne pourrons éviter à l’avenir la répétition d’un schéma familier fait de phases d’exubérance irrationnelle suivies de phases de panique avec un phénomène récurrent lors de toute panique, à savoir une ruée sur les liquidités dont les implications sont désastreuses pour l’économie car recherche frénétique de liquidités signifie interruption de prêts pourtant indispensables au fonctionnement de nos économies...

C’est dans un tel contexte et afin d’éviter de sombrer dans la dépression que les Banques centrales ne disposent plus d’autre option à leur portée que d’injecter force liquidités dans le système afin de faire redémarrer la pompe du crédit... Même si ces interventions de la part des banques centrales viennent cruellement contredire la théorie en vigueur selon laquelle le marché est capable de corriger ses excès tout seul et de revenir "naturellement" sur des niveaux de prix reflétant la réalité économique du moment.

Certes, les marchés et la situation économique effectueront leur correction, mais à quel prix et dans quels délais ? C’est pourquoi, à ce moment de la crise et à son niveau d’intensité actuel, l’intervention des Etats sera inéluctable par le biais de stimuli fiscaux. Ainsi, Keynes est-il à nouveau appelé à la rescousse dans le but de "lisser" l’implosion destructrice de la bulle ! En effet, il sera impossible de se passer de ses enseignements tant que nous serons dans un système redondant de formation-implosion de bulles car, en finalité, l’intervention de l’Etat sera le dernier recours dans le cadre de marchés instables et incapables de s’autoréguler.

Néanmoins, cette approche keynésienne a ses limites dans notre monde moderne car tout stimulus fiscal et toute dépense supplémentaire de l’Etat visant à stabiliser et à relancer les économies ne feront qu’aggraver les déficits budgétaires avec, à la clé, des attaques contre les devises nationales, une flambée de l’inflation et, ainsi, une quasi-impossibilité de réduire les taux d’intérêt... Nous ne le répéterons jamais assez : nos Etats et nous-mêmes avons vécu bien au-dessus de nos moyens pendant de longues années provoquant précisément un endettement massif qui nous empêche à présent de relancer la machine selon les bonnes vieilles méthodes de Keynes.

Emprunter plus et dépenser plus aujourd’hui ne fera qu’hypothéquer encore et toujours plus l’avenir, il convient donc impérativement d’adopter des mesures d’austérité qui toucheront tout le monde, l’Etat et le consommateur. Keynes se plaisait à répéter à ses contemporains que "sur le long terme, nous serions tous morts", qui eut dit qu’un jour viendrait où l’on ne pourrait même plus se payer le luxe d’appliquer ses méthodes ! 


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9 réactions à cet article    


  • geo63 12 novembre 2008 11:46

    merci pour ce nouvel article. Je n’ai aucune formation dans le domaine mais, d’une façon générale, je trouve vos explications sur la crise actuelle claires et d’une grande qualité pédagogique.


    • ZEN ZEN 12 novembre 2008 13:52

      Merci pour ce billet
      Le retour à Keynes , très critique vis à vis de l’"économie-casino",est un signe.
      . Mais comment l’adapter dans le contexte actuel ? Car ,comme dit un économiste :

      « Des solutions keynésiennes ne peuvent être improvisées sur des problèmes essentiellement structurels. (…) Cette crise n’est pas keynésienne, mais celle d’un libéralisme devenu fou à force de dérégulation et de fétichisme de l’accumulation de richesses virtuelles ! »-( E.Le Héron)


      - "Les économistes sont présentement au volant de notre société alors qu’ils devraient être sur la banquette arrière" (Keynes)

      La revanche de Keynes :


      • ZEN ZEN 12 novembre 2008 13:54

        Je rétablis un lien qui n’est pas passé :

        La revanche de Keynes


      • Philou017 Philou017 12 novembre 2008 17:44

        " "Les économistes sont présentement au volant de notre société alors qu’ils devraient être sur la banquette arrière" (Keynes)"
        Dans le coffre plutôt, où même dans la remorque.

        Méfiez-vous des experts, Connaitre les choses ne veut pas dire les comprendre.


      • Forest Ent Forest Ent 12 novembre 2008 19:16

        J’ai longtemps hésité entre inflationnistes et déflationnistes, mais je suis maintenant quasiment certain de ce que nous allons suivre une étape déflationniste à la 1929. Les actifs vont s’effondrer de valeur.

        Dans ce contexte, à quoi peut bien servir le fait que les états remettent des sous dans les banques ? Elles n’en auront jamais assez pour éponger la perte de valeur, et ça ne les convaincra donc pas de prêter. De plus, la demande crédit s’écroule faute de solvabilité. Enfin, ça prive les états de marges de manoeuvre pour faire autre chose.

        Sans qu’il n’y ait de vraie solution, le moins pire pourrait être :

        - de laisser les banques faire faillite, puis que les états en nationalisent quelques unes à 100%,

        - de réinjecter du fric dans l’économie en ciblant les ménages les plus pauvres (et pas les plus endettés),

        - de taxer lourdement les riches en flinguant d’abord les paradis fiscaux.

        C’est à peu près le contraire de ce que vont faire les gouvernements, d’abord sensibles aux pleurs des riches. Donc ils aggraveront cette crise.


        • Peretz Peretz 12 novembre 2008 22:13

          Entièrement d’accord avec "Forest". Pure logique. La politique de l’offre qui dissimule l’augmentation des liquidités en ayant recours au crédit a l’immense avantage aux yeux des prêteurs banquiers de contrôler l’inflation "naturelle", donc de permettre des remboursements profitables tout en créant du pouvoir d’achat artificiel. Les entreprises n’ont plus besoin d’augmenter les salaires. Toutes les études (INSEE) montrent que la moyenne des salaires a regressé depuis des années. La crise actuelle est l’ effet pervers boomerang normal de cette politique capitaliste aveugle. La seule façon de revenir à une croissance salutaire (plein emploi) serait de revenir à une politique de la demande. Mais qui osera ?


          • mikadian 13 novembre 2008 00:46

            Superbe explication, et, ô combien précise !

            C’est génial de rappeler Keynes à nos esprits ; c’est tellement évident . Son modèle économique est parfait. Ce sont les politiciens qui sont bas du front, et ne se reposent que sur leur ignorance, leur envergure intellectuelle croissant à la mesure de leur tour de taille ; cela impressionne, mais ça ne rassure personne.


            Les BONNES méthodes existent, elles sont connues, mais, aucune ne résiste, au POUVOIR DE L’ARGENT.

            Elles pourraient toutefois résister au POUVOIR POPULAIRE .



            • Botsu 13 novembre 2008 16:59

              Il n’y a aucun modèle économique ’parfait’, seulement des modèles qui expliquent la réalité avec plus ou moins de crédibilité. Le problème d’ailleurs aujourd’hui c’est que cette approche dogmatique de l’économie (libéralisme, keynésianisme...) est devenue dominante. Mais aussi loin que je puisse me souvenir les économistes des écoles dites "orthodoxes" n’ont jamais été réputés pour leur capacité à prévoir les changements majeurs et les grandes crises. Pas plus qu’ils n’ont été capables de nous pondre un modèle de développement et de société durable qui tienne compte des ressources limitées et de la réalité. Malgré cet état de fait troublant, on reste sur les mêmes bases rigides complètement caduques qui avaient peut être un sens il y a un siècle mais plus guère aujourd’hui. 

              D’habitude quand on dépense toute son énergie à prévoir l’issue d’une expérience et qu’on en est manifestement incapable, il convient de remettre en question un certain nombre d’hypothèses, voir toutes quand on est très éloigné du résultat attendu. C’est vrai dans la plupart des sciences mais pas en économie (science sociale). On avait au départ une boîte et son contenu qui a pris une forme complètement différente, mais on garde toujours la même. Pourtant il semble de plus en plus clair que cette volonté d’expliquer à tout prix des comportements humains d’une infinie complexité par des lois empiriques est aberrante. De plus on ne tient pas compte du fait que ceux-ci dépendent énormément de nombreux facteurs tels le cadre juridique / législatif par exemple.

              Justement Keynes n’a pas produit de modèle économique au sens strict. Les modèles dits Keynésien ont été élaboré en tenant plus ou moins compte de ses conclusions par d’autres économistes (classiques ou autres). Keynes a simplement formulé un certain nombre d’hypothèses à contre-courant de la pensée dominante de son époque, en s’appuyant bien sûr sur des outils mathématiques mais pas uniquement. D’ailleurs il reprochait entre autre à ses contemporrains le côté "formel" des sciences économiques. 


              Bref. Je m’adresse maintenant à l’auteur.

              On croirait entendre des critiques de mode en lisant ce genre d’articles. Je ne vois pas le sens de ces écrits qu’on a en 50 exemplaires par jour, qui s’emballent devant ce qu’il me semble juste d’appeler du socialisme financier. Mais ça tombe bien car vous avez un terme sous la main qui parle au plus grand nombre et ça suffit à justifier l’action en faveur d’un système qui s’écroule et de ceux à qui il profite. Mais pour moi c’est de la poésie et une débauche de formules toutes faites.

              "Remballez la collection libéralisme, sortez le keynésianisme automne/hiver 2008."

              "On avait oublié les idées de Keynes dans un vieux coffre poussiéreux, mais finalement avec la merde dans laquelle on est, il y a de quoi y trouver notre compte". Corrigez moi mais c’est en gros la thèse qui se dégage de votre article : "on pensait que le libéralisme économique c’était la panacée jusqu’à ce que nos potes banquiers perdent des billes, voyez. Mais maintenant c’est fini, redistribuer, intervenir oui mais en faveur de ceux qui se sont déjà bien enrichi sur votre dos bande de c..."

              Curieuse interprétation de la pensée de Keynes et de l’intervention étatique. Si vous voulez mon avis celui-ci doit être en train de se retourner dans sa tombe.



            • marc berger marc berger 13 novembre 2008 12:19

              bonne analyse. Mais lorsque vous ecrivez "il convient donc impérativement d’adopter des mesures d’austérité qui toucheront tout le monde" je crois que l’on beigne dans une utopie pure et simple.
              Si austérité il y a, ce ne sera que pour les même, c’est à dire ceux qui n’ont déjà pas beaucoup d’argent, et certainement les classes moyennes, mais certainement pas pour ceux qui gagnent de l’argent sur le dos des autres : banques, affairistes, carrièriste, politique etc...

              Je suis complément d’accord avec le commentaire de forest, laissons le système allez jusqu’au bout de ses contradictions, laissons le s’auto-dementeler ! le problème actuel ce n’est pas qu’un problème de crise financière ou économique, c’est avant tout une crise sociétale profonde. Soit nous essaierons de remettre sur pied le même système mondial de libre échange et le même système mondial de finance et nous ne changerons pas grand chose à l’ordre des choses, c’est à dire qu’une majorité de personnes travaillent pour qu’une minorité s’en foute plein les poches, soit nous assisterons à un changement long mais profond des valeurs mêmes de nos modes de vie. Arrêtons de croire à l’illusion que plus on centralise les choses mieux cela va : essayer de faire passer vos idées au niveau européen et dites moi si cela fonctionne, alors j’imagine même pas avec cette frenesie actuelle pour le tout mondial : oms,omc,fmi, banque mondial et bientot gouvernement mondial ! cela ne fonctionne pas tout du moins pour les minorités que nous sommes, tout simplement parce que plus le système est pyramidale et plus l’information à du mal à remonter.

              Mais attention, ces même vampires assoiffés de pouvoir et d’argent tenteront de nous orienter, nous contenir, nous parquer dans nos propres prisons, tout comme cela s’est passé durant la révolution française, où un groupe de mouton à pris les armes aux noms de principes, mais pour qu’au final ce soit toujours les même qui tiennent les rênes.

              Alors quand on nous parle de politique keynésienne ou néo libérale ou peu importe, ce ne sont en général que des théories qui omettent de prendre en compte l’essence même de certains hommes, l’avidité pour le pouvoir et les richesses ! C’est à nous de ne plus accepter cet état des choses en commençant par mettre nos valeurs au dessus de l’argent et du pouvoir. Commençons par ne pas nous laisser piéger dans cette morosité, cette peur qu’on essaie de nous faire porter. Basons nous sur des véritables valeurs de vie et laissons ceux qui ont cette illusion de pouvoir s’écrouler avec leurs propres valeurs.

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