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Accueil du site > Actualités > Economie > Combien d’inégalité ?

Combien d’inégalité ?

 Le récent rapport de l’OCDE “Croissance et inégalités : Distribution des revenus et pauvreté dans les pays de l’OCDE” [1] permet de revenir sur le thème abordé dans “les inégalités s’accroissent. Vraiment ?” : comment mesurer les inégalités de revenu de manière scientifique, et comment mesurer leurs variations.

Mesures

Il existe plusieurs manières de mesurer les inégalités [2], les plus utilisées sont :

  • le rapport interquantile : on compare la moyenne des 20% plus hauts revenus à celle des 20% plus bas. Ce rapport est très intuitivement compréhensible, mais ne dit rien de ce qui se passe pour 60% de la population considérée. On trouve aussi des rapports interdéciles, basés sur le rapport entre des tranches de 10% de la population.
  • les indices de Theil et de Hoover ont une magnifique description mathématique totalement incompréhensible pour le public.
  • L’indice de Gini traduit de manière simple [3] la distribution des revenus de toute une population en un seul nombre compris entre 0 (= égalité parfaite) et 1 (=1 seule personne touche 100% du revenu). On trouve parfois des “coefficients de Gini” variant de 0 à 100.

L’indice de Gini est l’indicateur adopté par la plupart des organisations nationales et internationales. Voici par exemple les indices de Gini des pays membres de l’OCDE

gini2008

Encore faut-il convenir de ce que l’on considère comme “revenu” pour effectuer des comparaisons, car le Gini d’une population dans laquelle les enfants seraient considérés comme ayant un revenu nul est bien différent de celui qui serait calculé sur le revenu des ménages. De même, comme nous le verrons plus bas, les inégalités mesurées sur le revenu avant impôts ou après impôts sont (heureusement) fort différentes.

Pour l’OCDE, “le concept de revenu utilisé est celui de revenu disponible du ménage, corrigé de la taille du ménage avec une élasticité de 0.5.”

Selon cette mesure, la Suisse est légèrement plus égalitaire que la France. A ceux que celà surprend, je concède que les classements dépendent beaucoup de la méthode utilisée. Selon ce tableau, on voit que la Suisse se classe entre les rangs 4 et 11 suivant la méthode, et la France entre les rangs 7 et 13. Donc effectivement , si on considère le rapport interdécile D9/D1, la France est plus égalitaire. Contents ?

Variations

Comme je l’avais remarqué lors des deux articles précédents, il est difficile de trouver des mesures de l’indice de Gini sur de longues périodes. L’OCDE met désormais à disposition un tableau [4] dans lequel on trouve entre 1 et 6 valeurs par pays membre, étalées sur 30 ans, mais moyennées sur 5 ans.

J’en ai tiré le graphique suivant (en enlevant le Mexique, et la Turquie, au dessus de 0.4, et en interpolant certaines valeurs pour obtenir des courbes continues) :

giniocde

(les données de l’OCDE n’ayant que 2 décimales, les courbes se chevauchent beaucoup, désolé...)

Sur 23 pays, 16 ont enregistré une augmentation des inégalités internes sur la période mesurée. La tendance à l’accroissement des inégalités est claire, mais il existe d’importantes variations. Les hausses les plus marquées sont en Nouvelle-Zélande, au Royaume Uni et aux Etats Unis, qui commencent à considérer ceci comme un problème [5]. L’Irlande, la Belgique, le Luxembourg, le Danemark et la Suisse [6] ont maintenu le même niveau d’inégalités. Seuls la Grèce, l’Espagne et la France ont réussi à diminuer leur coefficient de Gini. Bravo !

Paradoxalement, le fait que les inégalités augmentent dans une majorité de pays n’implique pas qu’elles augmentent globalement. Considérons deux pays A et B de populations égales et dont les coefficients de Gini seraient rigoureusement égaux, mais en augmentation. Admettons que A soit un pays riche, mais à croissance nulle alors que B serait un pays pauvre mais en développement économique rapide. Si les deux pays fusionnaient, l’indice de Gini de A+B bondirait initialement à une valeur plus élevée que le Gini de A ou B, mais serait ensuite en baisse rapide même si les inégalités internes à A et à B augmentent.

C’est exactement ce qui se passe au niveau mondial, ce que montre de façon magistrale Hans Rosling dans le GapCast #4 (sur YouTube). Même si vous ne comprenez pas l’anglais, regardez ça, les images suffisent à comprendre pourquoi les inégalités diminuent au niveau mondial, comme l’indiquent la plupart des études [2].

L’effet des impôts

Les données de l’OCDE [4] permettent d’aborder une question soulevée dans les commentaires de l’article “inégalités et croissance” : l’effet des impôts. En effet le tableau contient les indices de Gini calculés d’après les revenus “avant” et “après” “impôts et transferts”, ce qui permet de calculer de combien le système fiscal de chaque pays réduit les inégalités et de produire graphique dont je suis très fier, car je crois que c’est une première (merci de garder un lien vers cet article si vous le reprenez…) :

giniimpotsLe classement horizontal est fait selon l’amplitude de la réduction de l’indice de Gini avant-après impôts. On voit que ce n’est pas (plus ?) les pays du Nord qui aplanissent le plus les inégalités , mais plutôt le centre et l’est de l’Europe. La Suisse partage la queue du classement en compagnie des USA : leurs systèmes fiscaux ne réduisent que très peu les inégalités des revenus bruts. Mais à la décharge de mon beau pays, c’est celui où ces revenus bruts sont les moins inégaux…

Références

  1. OCDE, “Croissance et inégalités : Distribution des revenus et pauvreté dans les pays de l’OCDE”, Octobre 2008, ISBN 9789264044203 (résumé de 10 pages en ligne)
  2. Inégalités de revenu” sur Wikipedia
  3. Inégalités : courbe de Lorenz, indice de Gini” sur MediasEtDemocratie.net
  4. Tableau de la répartition des revenus dans l’OCDE
  5. Jean-Claude Péclet “La chasse aux inégalités est relancée“, Le Temps, Jeudi19 mars 2009
  6. Jean-Claude Péclet, “Le fossé social ne s’est pas creusé“, Le Temps, Jeudi19 mars 2009
  7. Inégalité de la croissance mondiale, un risque conjoncturel ?, Secrétariat d’Etat (Suisse) à l’Economie (SECO) (utilise le coefficient de Gini d’une façon non standard)

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13 réactions à cet article    


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 23 mars 2009 13:57

    Belle étude docteur,

    Votre beau pays, c’est vrai, se prémunit contre les inégalités qui sont la cause de tous les maux, bandes, mafias de quartiers, guettos, manif, et guerres civiles. et pourtant, sur les nationales, on voit encore des voiture à cheval, doublés par des coupés Bentley. D’ailleurs, j’y ai même vu cette dernière se garer devant un maquedeau...à Genève !

    J’ai entendu hier qu’un cent mètre carré en centre de Monaco coûtait mille euros / mois à la location, C’est difficile à dire plus ou moins que d’autres villes, mais pour un prix du mètre carré de 35.OOO euros à la construction, c’est donné. Rendez vous compte, il faut trois cent ans pour rentabiliser sans compter l’entretien...en tous cas, c’est moins cher que les " hôtels " pour nécessiteux parisiens, que payent les allocation logements, et qui ne favorisent nullement l’égalité. Et cela alors que cent mille logements sont déclarés...vides !

    Bien à vous.





    • plancherDesVaches 23 mars 2009 14:33

      Article presque intéressant. Pour un peu, on pourrait suivre quel changement de bord politique un pays a eu à subir.
      Un trés stable : l’Inde...
      http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_milliardaires_du_monde_en_2009

      Et vos références pointent vers un article du Wiki qui résume aussi les choses... :
      "Il ne faut pas confondre inégalités de revenus (qui mesurent un flux) et inégalités de richesse (qui mesurent un stock). Les inégalités de richesse sont plus accentuées que les inégalités de revenu."
      Dans cet ordre d’idée, il faut garder à l’esprit que la mondialisation prend un pays en otage en le vidant des ses soit-disants riches, qui finalement, ne vont rien dépenser dans leur pays, mais vont dans un paradis fiscal....
      En parlant d’inégalité, retenons juste que les 250 personnes les plus riches du globe possèdent autant que les 2,5 milliards les plus pauvres.


      • Annie 23 mars 2009 18:30

        Je suis perplexe. J’ai regardé la vidéo, mais le seuil de 1 dollar reste toujours le même au cours des périodes évoquées. Ce qui peut vouloir dire qu’il y a un nombre décroissant de gens vivant avec moins d’1 dollar, parce qu’ils sont devenus plus riches ou bien parce que le seuil de pauvreté n’est plus pertinent. 
        Il faudrait pouvoir comparer ce qui pouvait être acheté avec un dollar en 1970 et maintenant.


        • plancherDesVaches 23 mars 2009 19:51

          Annie. Le seuil d’un dollar est important pour un américain.
          En effet, il devient fou si on l’enferme dans une pièce ronde en lui disant qu’il y en a un dans un coin.

          Le discours de cette vidéo est de l’habituel pour "montrer" que la pauvreté a reculé.
          En réalité, le taux d’usure de toute monnaie fait que tout coûte touours plus cher. J’ignore le prix du kilo de riz dans les pays pauvres, mais il est peut-être passé de 0,5 à 1 dollar en dix ans. (spéculation non comprise)

          Et puis, et surtout, la masse de "monnaie" virtuelle créée par la bulle immobilière ainsi que TOUS les produits dérivés (actifs "toxiques") depuis dix-quinze ans et chiffrée entre 600 et 1400 MILLES milliards de dollars...
          Qui a permis de distribuer un peu de façon générale.

          Avec la disparition d’une trés grosse partie de ces gentils actifs, et sachant que les pompes à fric sont toujours à l’affut de récolter le maximum, la pauvreté va augmenter de façon gigantesque. Les émeutes de la faim sont déjà des sujets brulants un peu partout.

          Bref, le soit-disant recul de la pauvreté ne sert qu’à brouiller les cartes pour mieux vendre cette concentration de richesse extrème.
          Et comme il y a retournement de conjoncture, "on" nous lancera : "Ha que c’est la faute à la crise..."


        • Annie 23 mars 2009 20:33

          Ce n’est pas tout à fait vrai. Le 1 dollar est devenu un étalon et pas seulement pour les Américains, car il est repris par les médias, les Nations Unies, et la presse francophone, ce qui vaut la peine qu’on nous explique ce qui peut s’acheter ou ne pas s’acheter avec ce fameux 1 dollar, par rapport aux années 1970.


        • plancherDesVaches 23 mars 2009 22:16

          Bon, beeeennn, continuez à croire en votre étalon.


        • Dr. Goulu Dr. Goulu 24 mars 2009 17:59

           Hans Rosling le dit dans le commentaire en anglais : l’axe horizontal est en "dollar constant", donc corrigé de l’inflation (mais j’ignore comment elle est mesurée au niveau mondial). C’est donc bien un enrichissement "réel".

          Le seuil de pauvreté à 1$ (de 1990) est un standard utilisé par les organisations internationales comme la Banque Mondiale.


        • finael finael 23 mars 2009 20:52

           Article intéressant par la comparaisons entre plusieurs façons de comptabiliser les écarts de revenus.

           Il en existe d’autres. Et je crois, comme plancherDesVaches l’a fait remarquer qu’il faut aussi compter les écarts de patrimoine : avoir un revenu de 1000 Euros et devoir payer un loyer est sans commune mesure avec le même revenu quand on est propriétaire de son toit !

           D’autre part, étudiant depuis plusieurs dizaines d’années des publication de tous ordres sur ce genre de problème, je constate un phénomène inquiétant : le rapport interdécile, qui était la règle depuis très longtemps y a laissé la place au rapport interquantile (les 20% les plus riches et plus pauvres au lieu des 10% du rapport interdéciles). C’est pas mal pour "gommer" le creusement des inégalités.

           Mais il y a pire : au sein même des 10% les plus riches, les écarts sont énormes : les 1% les plus fortunés détenant 80% de cette richesse.

           Pour faire bref, en France, 600 000 personnes environ détiennent presque 50% de la richesse (je dis bien richesse et non revenus) nationale, laissant la deuxième moitié aux 63 400 000 qui restent.


          • Dr. Goulu Dr. Goulu 24 mars 2009 18:07

             C’est juste, mais il existe aussi des études qui montrent que la (mauvaise) distribution des richesses n’empire pas partout. Voir cet article sur le cas Suisse par exemple.


          • seb110 28 mars 2009 15:45

            Le Coefficient de Gini des pays est utile, le Coefficient de Gini des entreprises devrait l’être encore plus. Cette proposition est décrite dans http://fr.issuepedia.org/Coefficient_de_Gini_des_entreprises
            Votre avis sur ce sujet ? Merci


            • Dr. Goulu Dr. Goulu 31 mars 2009 22:28

               L’idée du Gini des entreprises est intéressante, et en principe facile à réaliser par le département RH pour ce qui est de la distribution des salaires. Il me semble même que les grandes entreprises auraient à gagner d’utiliser cet indice plutôt que l’habituelle rapport entre le plus haut salaire et le plus bas, qui favorise les petites.

              Je suis un peu plus critique sur les autres "coefficients" proposés et sur le fait de les combiner en un seul indice ...


            • Le péripate Le péripate 29 mars 2009 11:55

               Tout le monde devrait se mettre en signet le site de Hans Rosling, un outil formidable pour démonter les anêrismes.


              • Dr. Goulu Dr. Goulu 31 mars 2009 22:37

                bravo pour "anêrismes", ceci est la seule page du web qui contienne ce mot smiley
                plus sérieusement, GapMinder démonte effectivement quelques préjugés, ou montre que les vérités d’hier ne sont pas celles d’aujourd’hui et certainement pas celles de demain. 

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