Commission Attali : Ite missa est
Croissance et pouvoir d’achat, l’oracle de la Commission Attali est rendu.
Depuis près de cinq mois, les 43 éminences de la Commission Attali traquent tout ce qui a chassé de France la croissance économique. Leur rapport final « dirigé » par Jacques Attali devant être remis au président de la République mercredi 23 janvier a été adopté en réunion générale des commissaires fin décembre dernier ; des dispositions matérielles draconiennes avaient été prises pour éviter toute « fuite ». Car les délibérations de cet aréopage n’ont pas été publiques. Elles sont restées quasi-secrètes, en dépit de la propension habituelle de ce genre de chargés de mission de se répandre en indiscrétions. Hélas pour le maître de cérémonie, depuis vendredi 18 janvier à mi-journée, une copie du rapport en cours de mise en forme est publiée sur le site d’un quotidien économique ; ses journalistes ont probablement estimé qu’en démocratie la délibération sur les affaires du pays et de ses citoyens n’a pas à être secrète. Malgré l’avertissement de la commission selon lequel ce texte n’est pas encore celui qu’elle publiera, qu’il comporte des « erreurs substantielles », il peut être ici commenté.
Trois cent dix-huit commandements (oui, 318) pour cesser d’entraver la croissance du pays ! Il est lourdement précisé qu’ils sont un tout à prendre ou à laisser, chacun d’eux ne pouvant avoir l’effet recherché que grâce à celui des autres. Il y en a bien vingt mis en avant page 22, qualifiés de fondamentaux, sans qu’il apparaisse que les autres se fondent sur eux ; mais c’est probablement seulement une manière d’offrir des mises en bouche ; pour exciter la gourmandise du lecteur, il est prévenu : « l’impact sur la croissance et sur le mode de vie sera considérable dès 2012. ». Car la lecture des « décisions » (qui donc maintenant décide dans notre pays ?) ne lève pas le mystère couvrant encore les moyens trouvés par la Commission pour séduire la croissance et nous la faire revenir. Force est bien de s’infliger l’exploration des trois cent trente-cinq pages du rapport (oui, 335 pages) pour tenter de recevoir la révélation tellement espérée.
La première lecture, rapide, vise naturellement à connaître la fin de l’histoire, celle pour laquelle cette commission a été constituée : quelle croissance nous apporteront ces 318 actions ? L’ampleur de l’attaque est telle qu’on craint une croissance explosive, car elle pourrait jeter dans les rues ceux qui s’époumonent à crier au désastre où nous mènerait toute croissance. Là-dessus, on est vite rassuré : dès la page 27, on trouve : « La France de 2012... Une croissance potentielle d’1 point plus élevée qu’aujourd’hui ». Seulement potentielle ? Ce n’est donc pas une réalité. Il faut lire 185 pages pour connaître le PIB (Produit intérieur brut) annoncé calamiteux de 1 800 milliards d’euros annuels à traiter. Et lire le reste n’apprend ni de combien il est en 2012 après traitement, ni même la vitesse avec laquelle il se rétablit (son taux de croissance).
Il faut donc remettre l’ouvrage sur le métier, entreprendre une lecture plus attentive, en vue de repérer parmi ces 318 actions celles qui provoqueront le choc faisant rapatrier en France la croissance ayant pris la fuite depuis des dizaines d’années. Les 184 premières pages vainement lues, on réalise avoir pêché par inattention page 185 où se trouve peut-être la révélation bien cachée. L’écriture est : « Les administrations publiques... dépensent chaque année plus de 1 000 milliards d’euros sur un PIB qui s’élève à environ 1 800 milliards d’euros ». Les comptes de l’Insee de 2006 disant le coût du travail salarial en secteur marchand (705 milliards d’euros en 2006) et indépendant (380 milliards d’euros en 2006) formant la totalité du pouvoir d’achat produit sur lesquels les administrations publiques prélèvent de quoi régler leurs dépenses, et formant en même temps la valeur des biens et services produits, au total donc 1 085 milliards d’euros, quel est le troisième ou quatrième larron travesti dans les comptes de l’Insee qui dope le PIB de 1 800 - 1 085 = 715 milliards d’euros et qui les empoche ? Et encore, oui diantre, 1 000 milliards d’euros dépensés chaque année par les administrations publiques qui ne peuvent les trouver que dans les poches des travailleurs dits recevoir une rémunération s’élevant à seulement 1 085 milliards, quelle révélation ! Qui donc pille le pays de pas loin la moitié du PIB (715 milliards), et de quoi vivent ces travailleurs si ce sont les administrations publiques qui empochent presque l’intégralité du pouvoir d’achat qu’ils ont produit et reçu ?
Perplexes quand même au vu de cette entrée en scène à la fois des administrations publiques et de pillards non identifiés, on poursuit l’enquête. Mais dès la page 186, on commence à comprendre : « ... toute augmentation des impôts pour financer cette dette risquera donc d’avoir un effet dépressif sur l’activité, et de réduire la compétitivité des acteurs économiques... ». Ah voilà, les impôts captant le pouvoir d’achat fabriqué par les travailleurs peuvent avoir l’effet de déprimer la croissance ! Et c’est confirmé page 282 : « La réduction des dépenses publiques françaises est la condition pour relancer de manière durable la croissance potentielle ». Potentielle ? Qu’est-ce à dire ? Cette réduction ne relancerait pas réellement la croissance tout en en étant la condition ? Et ces pillards, la commission ne s’y intéresse pas ? Elle ne leur fera pas rendre gorge pour élever le pouvoir d’achat des travailleurs en leur remettant le produit du pillage ?
Alors, tentons de voir ce qu’est cette réduction des dépenses publiques cessant de spolier les travailleurs. Revenons donc page 225 : « L’ensemble de ces actions devra permettre de réduire la part des dépenses publiques dans le PIB d’environ un point par an, ce qui signifie, avec une hypothèse de croissance raisonnable, une dépense publique, tous secteurs confondus, stable en volume (hors charges de la dette) ». Voilà un énoncé propre à achever le lecteur, et à le conduire à jeter les 335 pages du rapport à la tête des commissaires. Il semble dire tout et son contraire. Réduire d’un point la part des dépenses publiques dans le PIB, c’est clair et presque négligeable (18 milliards d’euros, 1,7 % des rémunérations). Mais ce doit être moins clair qu’on ne le pense, puisque la commission trouve nécessaire d’ajouter ce que cela signifie. Que vient faire cette hypothèse de croissance raisonnable ? Celle visée par les 318 actions ne serait qu’hypothétique ? De surcroît pas sûrement raisonnable ? Et coup de massue sur la tête du lecteur, cette réduction des dépenses publiques françaises conditionnant la relance durable de la croissance, même seulement potentielle, serait une stabilité « en volume », c’est-à-dire une dépense augmentant au même rythme que l’inflation. Pour vraiment achever le lecteur, il est enfin ajouté entre parenthèse que ne sont stables « en volume » que les dépenses publiques hors celles constituées par la charge de la dette. Alors, si ce qui conditionne la relance de la croissance malade au point décrit en introduction du rapport est à ce point insignifiant, comment espérer que ces 318 actions feront mieux que seulement mettre le pays en transe ?
Seul l’espoir faisant vivre, l’ordonnance Attali est relue depuis sa première ligne pour tenter d’en percer le mystère. Et voilà, sans devoir attendre la Pentecôte et le secours du Saint-Esprit, on comprend avoir manqué de s’être encore une fois fait berner ! Comment ne l’avoir pas tout de suite compris dès la page 19 du rapport ? « Cette croissance exige l’engagement de tous, et pas seulement celui de l’Etat qui n’a presque plus les moyens d’agir sur la croissance... L’essentiel de l’action est entre les mains des Français, qui devront partager... une envie de travailler plus... ».
Tout bien considéré, c’est la Commission qui n’a pas écouté attentivement les leçons du président de la République. Lui nous a déjà dit mille fois qu’il fallait travailler plus pour gagner plus, ayant dévoilé sans détour depuis le médicament à administrer au malade : supprimer les 150 milliards d’euros d’excès de dépenses publiques (15 %) coupables de nous priver du point de croissance désespérément recherché (Les Echos, 13 décembre 2007). Curieusement, depuis, tant lui-même que tous les autres sont restés cois là-dessus. Au travail, président, foin de ces rapports et commissions, expliquez et agissez vite vous-même sans faiblir ! La chasse au gaspi et aux pillards est ouverte.
Roland Verhille, 20 janvier 2008
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