CPE : affirmations et malentendus
La controverse sur le CPE a été alimentée par une
série d’affirmations, de malentendus, de non-dits, voire de mensonges :
ses promoteurs affirment vouloir favoriser l’emploi des jeunes, les gens
« normaux » ont compris qu’il s’agissait de rendre l’emploi plus
précaire. Le texte parle de « période d’essai », tous les
commentateurs, y compris proches du pouvoir et du Medef, ont parlé d’une période
de licenciement libre.
LE PRETEXTE DU TEXTE : LUTTER CONTRE LE CHOMAGE DES JEUNES
Le texte organise donc pour les moins de 26 ans un contrat de travail assorti d’une période de précarité longue (2 ans). On nous a annoncé que cela allait réduire le chômage des jeunes. Comment ? La faculté de pouvoir licencier à tout moment, sans procédure, sans avoir à donner d’explication, devait inciter les employeurs à recruter plus de salariés qu’ils ne le font actuellement. La question est de savoir quelle serait l’ampleur du mouvement, combien d’entreprises fonctionnant avec suffisamment de salariés allaient en recruter plus, et combien, au motif qu’elles pourraient les licencier facilement. Autrement dit, si l’économie française « tourne » avec une certaine quantité de salariés, comment une loi facilitant le licenciement amènerait à produire les mêmes quantités de biens et services avec 10% ou 15% de salariés supplémentaires, sans baisse des salaires, sans mettre en péril l’équilibre des entreprises.
RETOUR SUR LA GENESE DE LA SOCIETE DE CHOMAGE
Dans cette affaire, puisqu’il s’agit de combattre un chômage devenu endémique, il semble raisonnable d’examiner comment notre économie a évolué des années 1970 à maintenant pour aboutir à cette structure de société.
Des conditions nouvelles
Nous avons assisté à partir des années 1970 (entre autres) :
- A la diminution progressive des taux de croissance du PIB
- A un développement des techniques, jamais connu auparavant
- A l’ouverture de nos économies à l’international
- A la montée, par vagues successives, de crises (crise du pétrole, de la sidérurgie, du textile...) liées aux matières premières, et à l’accès de certains pays à de nouveaux paliers de développement.
En parallèle s’est manifestée la volonté des responsables d’entreprises d’échapper autant que possible aux aléas de la conjoncture, tout en préservant leurs profits, alors que notre droit du travail rend malaisés baisses directes de salaire et licenciements, qui auraient constitué, techniquement, une solution..
Les entreprises ont donc répondu de deux façons complémentaires :
- la sous-traitance (externalisation) des fonctions non centrales (nettoyage, transport, informatique, comptabilité, etc.)
- le contrôle (c’est-à-dire la diminution relative) des coûts de personnel.
La réponse par la sous-traitance
La sous-traitance, qui a touché de très nombreux secteurs de l’économie, a permis de limiter les risques en cas de conjoncture défavorable, par une réduction des coûts fixes, et en cas de reprise de l’activité, de concentrer les gains supplémentaires sur un plus petit nombre de personnes, salariés quand ils arrivent à obtenir augmentations ou primes, et surtout détenteurs du capital. En contrepartie, la situation des entreprises sous-traitantes s’est souvent dégradée, et avec elles le sort de leurs salariés : à elles de supporter l’essentiel des risques, les marges faibles, et l’étroitesse des bénéfices même en cas de reprise.
La réponse par la diminution relative des effectifs, pour réduire les coûts salariaux
Le contrôle des coûts salariaux s’est fait par une limitation du nombre de salariés, en stabilisant le temps de travail individuel après des décennies de diminution au rythme du progrès technique (limitation de la durée de la journée de travail, gain du week-end, extension des congés payés). Les diminutions de temps de travail intervenues depuis les années 1970 ont toutes été imposées par la loi, sous des gouvernements de gauche : 1 heure gagnée en 1981 et 2 heures supplémentaires à l’occasion des lois dites des 35h (gain de 4 heures, mais perte des jours fériés et obligation de flexibilité).
Les opportunités de baisses supplémentaires du temps de travail, rendues possibles par la loi dite « de Robien », expérimentées dans des centaines d’entreprises, avaient été vivement combattues par les milieux patronaux (« le travail ne se partage pas , ce n’est pas en travaillant moins que l’on produira ou gagnera plus », etc.) malgré des succès remarquables et bien documentés. Cette diminution du temps de travail individuel, très inférieure à ce qu’auraient autorisé les gains de productivité, a permis à de nombreuses entreprises de pouvoir atteindre des niveaux de production accrus avec de moins en moins de personnel.
LA SITUATION ACTUELLE
Le sous-emploi
Le processus a abouti à la situation actuelle, une très forte productivité (la 2e au monde), donc beaucoup de production effectuée par peu de salariés, et par conséquent une masse de chômeurs importante (2,5 millions) et de « mal employés » (2,5 millions supplémentaires), de précaires, temps partiels imposés, etc.
La baisse relative des revenus salariaux
Nous avons de surcroît une baisse relative des revenus salariaux, observable au niveau macro-économique par la baisse relative de la part de valeur ajoutée attribuée aux salaires. La masse de chômeurs permet aux entreprises de proposer des salaires plus bas au recrutement, de ne retenir que les candidats les mieux formés et les plus qualifiés, la productivité exigée se conjugue mal avec la formation assurée sur le temps de travail. Sont rejetés pour les mêmes raisons les jeunes (pas d’expérience) donc pas assez productifs, et les plus âgés (plus assez productifs, s’ils ne renouvellent plus leurs compétences). L’externalisation des métiers à plus faible valeur ajoutée maintient leurs salariés à des niveaux de rémunération bas.
Le coût relatif du chômage et de l’emploi
En outre, ce système provoque aussi une baisse des revenus par une hausse des cotisations : diminution relative du nombre de cotisants (salariés) par rapport au nombre des bénéficiaires (ensemble de la population). Les prélèvements fiscaux sont aussi augmentés par les besoins du soutien de la population sans travail, donc sans revenus, et de plus en plus sans logement, avec des besoins d’encadrement (travailleurs sociaux, assistance médicale) de plus en plus forts. Ce point est important, les ressources des 5 millions de personnes mal ou peu employées sont financées en permanence par les actifs, leur intégration dans le système coûterait :
Leur salaire + leurs charges sociales + (ponctuellement) le coût de leur formation
Moins les sommes que leur consacrent les organismes sociaux et la collectivité
A partir du diagnostic, sortir des mirages de la flexibilité et de la croissance
En résumé, nous sommes dans une situation où la production est assurée par trop peu de travailleurs, au prix d’une mise à l’écart d’une partie significative de la population active, de charges sociales et fiscales lourdes supportées par les salariés et les entreprises. Ces charges font en outre peser une menace grave sur notre système de protection sociale, perpétuellement déficitaire, et sur nos systèmes de retraite, dont le déséquilibre va inéluctablement s’aggraver. Certains misent sur l’évolution démographique, qui devrait, paraît-il, résoudre automatiquement tous nos problèmes dans les cinquante ans à venir. D’autres attendent avec une foi compulsive le retour de la croissance, avec la constance de sœur Anne. D’autres encore nous proposent après le CNE, le CPE...
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