Econoclaste annonce la couleur dès le départ. La mise en perspective de la mondialisation est un tour de force. Douter des vertus d'une politique visant à la contre-carrer provoque à l'inverse l'hostilité. Plusieurs personnalités politiques se sont ainsi déclarées pour une cause aux contours mal définis. Elles militent pour une démondialisation en s'intéressant moins à la mise en œuvre qu'aux résultats attendus. La complexité rebutant toujours, les tribuns palabrent à bon compte, dans l'espoir de remporter le plus de suffrages, à droite comme à gauche (source).
S'opposer à la mondialisation ne suffit pas à dessiner une politique économique cohérente. Le commerce international évolue depuis maintenant plus d'un demi-siècle dans le sens d'une augmentation des échanges en volumes et en valeur. Cela ne signifie pas pour autant que les frontières d'Etat ont disparu. Elles se réduisent cependant à peu de choses à l'intérieur des sphères géographiques concernées. Ainsi, les Européens échangent d'abord entre eux avant le reste du monde. Comme le rappelle un commentateur (n°35), en 2009, le commerce extérieur français " avec l'Allemagne (71.5 milliards d'importations, 55.5Mds d'exportations) est plus de trois fois supérieur que celui avec la Chine (29.9 Mds M, 7.9 Mds X). La mondialisation, c'est d'abord et avant tout le commerce avec nos voisins (Chine 7è partenaire, Inde 15è peut-être). Sortons du fantasme du "Sud" à nos portes ! "
On peut ajouter que l'Amérique du Nord et le Japon élargissent le 'cercle' des échanges inter-continentaux, créant une sphère de commerce caractérisée par une homogénéité relative des droits du travail, des niveaux de salaires, etc. Il y a plus frappant encore. Hors de cette sphère riche et développée les matières premières, les produits manufacturés ou les services venus du Sud n'en rentrent pas moins dans le cadre d'échanges Nord - Nord. Un géant de l'ameublement au nom scandinave importera au besoin des composants fabriqués en Asie. Point n'est besoin d'être une multinationale pour se jouer des barrières douanières et des différences fiscales, environnementales ou salariales entre pays. Archos, assemble en France des pièces détachées fabriquées en Chine pour obtenir des tablettes tactiles françaises à des prix défiant le leader américain du marché.
Bien sûr, le développement des transports a accompagné l'augmentation des échanges commerciaux [Une poignée de noix fraîches]. Mais les circuits courts bénéficient parfois plus qu'ils ne pâtissent des innovations techniques : Internet, bras armé de la mondialisation ? Les échanges transcontinentaux demeurent marginaux, même s'ils n'ont jamais atteint de tels volumes par le passé : le modèle de gravité pose les données quantitatives de ce paradoxe apparent. On continue à commercer dans une aire géographique relativement contrainte [1]. Rien n'y fait pourtant, les Français se plaignent des délocalisations et de la désindustrialisation. Une minorité se résignent devant ce qu'ils estiment être inéluctables. Une majorité se rebiffent. Pour tenter de captiver cette deuxième catégorie, la gauche plaide pour une politique de l'instruction, de l'innovation et de la création ('nous serons plus intelligents et subtils que les autres') tandis que la droite vante les vertus de l'abnégation et du travail aujourd'hui bridés par des 'archaïsmes' ('nous serons plus forts et plus courageux que les autres').
Quoi de plus normal que de ne se reconnaître ni dans l'une ni dans l'autre alternative et de prôner une sortie du jeu ? 'Pouce', en relations internationales se traduirait par 'j'impose des barrières douanières.'
Tout le mérite d'Econoclaste est de montrer d'une part que le protectionnisme existe déjà et qu'il ne faut pas en attendre plus de miracles qu'il ne peut en donner. Les biens et services s'échangent d'abord à l'intérieur du continent (dans le cas de l'Europe). Si l'Irlande a attiré les investisseurs, c'est parce que Dublin prélève moins de taxes qu'ailleurs dans l'Union ['Les émigrés, dehors !']. Si les entreprises allemandes exportent, c'est parce qu'elles ont délocalisé une partie de leurs productions en Europe de l'Est ['Le paradoxe du Hamburger']. Si bien des grandes entreprises françaises rivalisent avec les plus grandes multinationales dans leurs secteurs respectifs, c'est parce que l'Etat leur garantit souvent des rentes de situation dans l'Hexagone. Et si les banques grecques ont cédé à la facilité, c'est bien avec des aides extérieures ['Quand les coqs auront des dents']. Tous ces exemples résument des situations généralement un peu plus complexes. A l'inverse, les partisans d'un protectionnisme européen ou national qui évoquent des taxes environnementales ou une TVA sociale font miroiter une parade simple [2]. Ils laissent entendre à tort que l'espace européen est celui de la circulation sans entraves.
Les gains de productivité provoquent d'autre part autant d'effets sur l'emploi que le 'dumping social' des pays à bas coût de main-d'oeuvre. Que l'on songe aux Canuts lyonnais brisant les métiers à tisser en novembre 1831 (source). La productivité progressant plus vite que les carnets de commandes ne se remplissent, l'emploi industriel trinque. Le recours à la sous-traitance a également considérablement accru l'instabilité des salariés, pour le meilleur (parfois ?), mais surtout pour le pire. On pourra toujours accuser les travailleurs asiatiques de concurrence déloyale. Ils n'expliquent pas tout ! Ce sont les bonnes idées qui relanceront une croissance en berne, pas des taxes supplémentaires sur des produits importés. Celles-ci peuvent même s'avérer contre-productives [3]. Dans le Monde Alain Faujas compare l'attrait pour les barrières douanières à celui de la ligne Maginot à la fin des années 30 (source).
Sur un point néanmoins, je reste sur ma faim avec l'argumentaire d'Econoclaste. Dans ce balayage des idées reçues sur la démondialisation, un obstacle se dresse toujours. C'est celui de la Chine de l'après Deng Xiaoping, la Chine de l'ouverture économique. Bien des reproches formulés à l'encontre de la mondialisation trouvent en partie leur justification dans les règles imposées par le régime communiste chinois : politique monétaire, blocage de l'épargne, absence de droits salariaux, utilisation d'une main d'oeuvre mal payée (mingongs) ['Le coût du lapin']. La force de travail de quelques dizaines de millions de Chinois - et l'enrichissement incontestable d'une portion d'entre eux - a révolutionné le mode de vie des Occidentaux, et mis à jour le manque de compétitivité de nombres d'industriels. Ceux-ci ont fermé des usines et renvoyé leurs personnels au chômage.
Gardons-nous toutefois d'idéaliser le passé. La première révolution industrielle a accompagné le développement des grands empires coloniaux. Dans un temps qui n'est pas si lointain, l'arachide d'Afrique occidentale, le riz indochinois, les minerais du Congo, le coton de l'Indus ou le charbon sud-africain ont été produits ou extraits sur la base de coûts salariaux parfois réduits au minimum. A l'inverse les colonies devaient acheter les productions des métropoles, même s'ils n'étaient pas compétitifs. Jusqu'au jour où le système s'est grippé. Les Chinois ont pris la place des colonisés d'hier. Les Occidentaux criant haro sur la mondialisation songent-ils qu'ils font figures pour les Chinois de bénéficiaires ingrats ?
A l'approche d'un dépassement annoncé des Etats-Unis par la Chine (source), Pékin pense avoir retourné les armes de l'Occident contre lui et savoure bruyamment ce qu'il estime être une revanche sur les humiliations infligées par les Traités Inégaux (plaque commémorative, ci-dessus) Les autorités chinoises ont réussi à battre les anciennes puissances occidentales à leur propre jeu. Elles ont cependant pris le risque de se placer sur le même terrain, grisées par le vent de la compétition et en fin de compte dédaigneuses de ce qui ne permet pas de gravir les marches des podiums. Lorsqu'un gouvernement européen appelle la Chine à la rescousse, la satisfaction se lit sur les lèvres : Wen Jiabao à Budapest.
Le rapport à l'économie n'a cependant rien à voir entre les uns et les autres. L'annonce des performances de tel ou tel secteur industriel obsède les dirigeants de pays démocratiques. Mais ils ne fixent généralement pas d'objectifs quantitatifs. Car ils n'agissent sur le réel économique qu'indirectement. A Pékin, la distinction entre l'économique et le politique n'existe pas. Dans le 12ème plan quinquennal annoncé en mars dernier les deux se mêlent (source). Un ancien premier ministre (Li Peng) - lui-même ancien ingénieur - porte une responsabilité directe dans la construction du barrage des Trois-Gorges ['... profondes désillusions à venir'].
Michel Juvet, dans les Echos m'aide à conclure. Il ne doute pas que les victoires engrangées par la Chine communiste ont été très chèrement remportées. Que vaut le butin péniblement amassé ? ['Cachez cette bulle que l'on ne saurait voir']. Résumons. La banque centrale chinoise émet du yuan à un rythme soutenu (multiplication de la masse monétaire chinoise par deux en quatre ans). Les Chinois ne pouvant officiellement investir hors de leurs frontières, les crédits s'accumulent, représentant 150 % du PIB. En imposant des taux très bas, la banque centrale chinoise laisse peu de choix aux épargnants : soit acheter un (des) logement(s) ['Après l'ail, ouille !'], soit jouer en bourse à Shanghai. Combien préfèrent tout bonnement constituer des bas de laine, garder de l'argent liquide en cas de besoin : l'hopital coûte très cher, pour un Chinois qui veut se faire soigner à l'Occidentale ou qui souffre de maladie grave (source). Il n'y a pas de maisons de retraites, et les couples doivent calculer que leur(s) enfant(s) ne pourra (ont) les prendre en charge (source).
" La politique monétaire chinoise, qui a maintenu à des niveaux artificiellement bas la rémunération des dépôts d'épargne des citoyens chinois, a permis de financer, à bon compte, successivement les banques et les industries publiques de même que les collectivités régionales. Les citoyens chinois ont ainsi été plumés dans une casserole fiscale déguisée et ont subventionné sans contrôle politique des excès en tout genre : surcapacités de production, projets peu rentables ou immobiliers mégalomanes, etc.
Mais, plus grave, face à l'explosion de leurs prêts bancaires, et afin de maintenir des ratios de fonds propres attrayants selon les normes internationales, les banques chinoises ont pratiqué une comptabilité créatrice. La même que leurs consoeurs américaines avaient adopté dans la période 2005-2007. Elles ont ainsi largement affecté ces prêts, dans des opérations hors bilan, à des sociétés appartenant à des collectivités publiques, dédiées aux investissements immobiliers. Certains n'hésitent plus à estimer que, en cas de crise immobilière majeure, la moitié des fonds propres des banques chinoises partiraient en fumée. Qui a parlé de « too big too fail » ? Les énormes réserves en devises de la banque centrale (4.000 milliards de dollars) ne seraient donc que le fragile reflet des coûts financiers cachés jusqu'à présent ? "
Une crise du modèle chinois précipiterait le monde dans une récession de grande ampleur, avec une diminution des échanges internationaux et une hyper-inflation dans le monde développé. Une démondialisation made in China sans l'aide des barrières protectionnistes occidentales. Certains pressentent quelque chose (source). Car les Chinois grognent. Des émeutes du printemps, nous n'avons que de pâles échos en Europe : ici dans le Guandong, là dans le Jiangxi ou là en Mongolie intérieure. Qui écoute néanmoins les rumeurs ?
PS./ Geographedumonde sur la Chine : Le coût du lapin et Le bon sens paysan et la spéculation.
Incrustation : Contre-points s'interroge justement sur l'avenir du Made in China.
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" Si vous voulez comprendre la répartition et l'ampleur du commerce international, il n'y a qu'une seule relation à connaître : le modèle de gravité. Le commerce entre deux pays est proportionnel au produit de leurs PIBs respectifs, divisé par la distance entre les deux pays, mise à la puissance 0,9. Pour préciser, cela signifie qu'à chaque doublement de la distance entre deux points, le commerce entre ces deux points se réduit de 90%. La distance a un impact considérable sur le commerce. Le modèle gravitationnel est l'un des résultats les plus marquants de l'économie internationale, pour deux raisons. La première, c'est que cet effet est constant depuis les années 50. Oui, vous avez bien lu : alors que les coûts de transport se sont effondrés, malgré l'invention de l'internet et les révolutions technologiques, malgré l'OMC et le libre-échange mondialisé, la distance continue d'exercer exactement le même effet -important- sur les échanges internationaux. C'est absurde, direz vous : depuis 15 ans, chacun a pu expérimenter le fait que la Chine (qui est toujours à la même distance, aux dernières nouvelles) nous vend bien plus de ces camelotes qui envahissent les linéaires des hypermarchés. C'est exact, mais n'oubliez pas le numérateur de l'équation : le commerce est proportionnel au produit des PIB. Dès lors que la Chine devient plus riche, automatiquement, les flux d'échanges augmentent. C'est assez logique d'ailleurs. Imaginez que toute la production mondiale soit concentrée en un point, il n'y aurait aucun commerce. Imaginez maintenant que toute la production soit concentrée en deux points, et le commerce apparaît entre les deux. Les pays émergents ne sont pas plus proches sous l'effet du libre-échange : ils sont simplement plus gros.
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Même chose pour le serpent de mer de la TVA sociale, qui émerge régulièrement, parfois sous des formes bouffonnes. Des dizaines de têtes d'oeuf à Bercy se sont penchées sur la question, pour arriver chaque fois à la même conclusion : les conséquences sont tellement variées selon les secteurs d'activité (importateurs, exportateurs, bien non échangeables) que l'effet positif sur l'emploi n'est aucunement garanti. Les interdépendances, sous l'effet de l'externalisation et des chaînes globales de valeur, sont devenues tellement importantes que les entreprises ont de plus en plus à perdre à des barrières protectionnistes qui causeraient la désorganisation de leur système productif. Considérez deux pays. (...)
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L'un d'eux (A) est au sommet d'une montagne, l'autre (B) au pied. Pour envoyer des marchandises vers B, A n'a qu'à les laisser rouler sur la pente ; mais pour que les produits de B aillent vers A, il faut payer des porteurs très cher. Cela ressemble assez à la situation de l'Europe par rapport au reste du monde, tel que décrite par ceux qui critiquent la "naiveté" européenne en matière de commerce international ; les autres érigent des barrières, nous ne le faisons pas, le terrain n'est pas égal. Sauf que, qui vous dit que c'est B qui va payer les porteurs pour acheminer les produits vers A ? si les produits de A sont abondants et peu désirés dans B, et qu'à l'inverse, les produits de B sont rares dans A, ce seront les consommateurs de A qui paieront pour les porteurs. Si A a fabriqué sa montagne à l'aide de barrières douanières, alors, ce sera A qui en paiera les conséquences, pas B. Croire que l'on peut facilement modifier le terrain compétitif à son avantage, c'est s'exposer à de gros risques de déconvenues."