DOM : le paradoxe des salaires
Aux Antilles c’est essentiellement l’étau des salaires qui est la cause du malaise. Mais cet étau est en réalité double, dans le sens où les salaires sont à la fois trop bas mais aussi… trop hauts.
Les salaires sont, de manière parfaitement compréhensible, perçus comme trop bas par les populations salariées car ils ne permettent pas de faire face à « la vie chère » dans les DOM. Les produits peuvent être jusqu’à deux fois plus chers qu’en métropole. Mais la bonne question est alors sans doute : d’où vient cette vie chère ? Il y a effectivement beaucoup de produits et denrées qui doivent transiter par cargo, ce qui renchérit leur coût. Mais il y a aussi, de manière plus essentielle, un manque d’ouverture économique.
D’abord avec les pays de la région. Mais aussi, et les deux se rejoignent, au niveau interne, du point de vue de la concurrence : le pouvoir économique et la propriété agricole aux Antilles sont par exemple essentiellement entre les mains des descendants des colons blancs, les créoles blancs (ou Békés en Martinique). Ainsi les enseignes de supermarché mais aussi la société de raffinage profiteraient d’une situation de quasi-monopole pour fixer leurs prix. Cet état de fait a été dénoncé par un rapport d’information de l’Assemblé nationale.
Comme dans beaucoup de régions cependant, les salaires sont aussi trop hauts par rapport au degré de développement économique régional. Avec un PIB par tête de 60% de celui de la métropole, il est difficile dans le secteur privé de maintenir des niveaux de salaires, par le biais de la mécanique du salaire minimum, alignés sur ceux de la métropole. En effet, les salaires doivent en toute logique refléter le degré de productivité qui dépend en grande partie du degré de complexité économique (le niveau de division du travail dans une économie).
Or, avec des salaires fixés relativement aussi hauts par rapport à ce niveau faible de développement économique, déconnectés des réalités de productivité, on empêche des entreprises privées d’émerger ou d’embaucher. D’où le chômage massif, avec des niveaux trois supérieurs à la métropole. Le développement des DOM est en fait en trompe-l’œil, essentiellement tiré par un secteur public imposant. Avec des économies sous perfusion, dépendantes de la métropole, le développement n’est effectivement pas « endogène » ou « autonome ».
Que faire alors ? Lorsque 95% des entreprises de Guadeloupe par exemple ont moins de 20 salariés et qu’elles sont extrêmement fragiles, surtout après une grève d’un mois, les propositions d’augmentation de 200 euros tiennent de l’utopie irresponsable, quelle que soit la sympathie que l’on puisse avoir avec les manifestants. Ce sera le meilleur moyen de faire mettre la clef sous la porte à ces entreprises, et d’accroître un chômage qui est déjà très élevé du fait de ce calquage de pratiques métropolitaines à des zones en retard de développement.
Plutôt que de faire de la surenchère artificielle des prix à la hausse (salaires compris), il faudrait au contraire que les prix retrouvent leurs niveaux naturels : d’un côté ouvrir la concurrence pour que cesse la vie chère (ce qui implique un retour en arrière sur de nombreuses protections politiques bien françaises) ; d’un autre côté remettre les salaires en cohérence avec la productivité réelle. Il y aura des ajustements douloureux à tous les niveaux, mais c’est le prix à payer pour enfin se conformer aux lois de la réalité et permettre un développement endogène.
Emmanuel Martin est docteur en économie, analyste sur www.unmondelibre.org.
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