Entreprises, actions d’intérêt général et hautes rémunérations
Carole Papazian dans Le Figaro-Economie des 24-25 juin 2006 met en lumière à juste titre « Les bonnes actions des entreprises ». Elle cite ainsi les ordinateurs usagés remis par Axa aux écoliers du Sénégal, l’hôpital pour femmes et enfants construit par Bouyghes à Kaboul, et les voitures fournies par PSA au Samu social, ainsi que d’autres initiatives d’Accor en Afrique et de HSBC.
Non sans avoir opposé cet « autre visage » des « patrons et entreprises » à celui que donne le monde des entreprises à travers la progression des profits et la saga sans fin de « l’outrance », pour reprendre l’expression utilisée par Nicolas Sarkozy à Agen le 22 juin 2006, des hautes rémunérations qui sont attribuées à certains de leurs dirigeants, notamment sous forme d’options de souscription d’actions.
On ne peut évidemment que se féliciter que certaines grandes entreprises soient en position de contribuer à des actions d’intérêt général en France ou à l’étranger, qu’elles soient à finalité sociale, humanitaire, culturelle ou sportive. Il s’agit en général de bonnes relations publiques, susceptibles d’améliorer leur image, leur réputation et leur acceptation par la société.
On peut néanmoins douter que ces actions soient de nature à « compenser » aux yeux de l’opinion les excès qui alimentent la chronique dans le domaine des hautes rémunérations. En effet, ce n’est pas l’argent gagné par les patrons qu’elles mobilisent, mais celui des actionnaires de leurs entreprises.
Les Etats-Unis, qui sont le pays où ont pris naissance les dérives les plus inacceptables et où elles sont d’ailleurs également débattues avec peut-être le plus de vigueur, sont aussi celui où les fortunes nées de l’entreprise ont souvent à coeur d’affecter une fraction substantielle, voire majoritaire, de leur patrimoine ainsi constitué à des actions d’intérêt général. Il est vrai que la France n’a pas de Bill Gates, mais nous avons quelques grandes fortunes dont certaines s’engagent sans parcimonie dans des actions d’intérêt général. Peut-être devraient-elles, suivant en cela l’exemple du cofondateur de Microsoft, davantage le faire savoir, rompant ainsi avec le réflexe de la discrétion en matière de patrimoine, qui fait partie de notre culture.
De même certains des grands patrons ou des anciens grands patrons auxquels leurs talents, leurs performances et leur chance ont permis de devenir riches, seraient-ils avisés de faire connaître leur implication financière dans des actions d’intérêt général, comme c’est souvent le cas. S’il se savait davantage, par exemple, que tel ou tel engage, à titre personnel, des montants importants en tant qu’ « investisseur providentiel », puisque c’est ainsi qu’il faut traduire l’expression anglo-saxonne de « business angel », peut-être le rejet indifférencié et sans nuance dont commencent à faire l’objet les hautes rémunérations pourrait-il commencer à s’atténuer.
Condamner ou proscrire un instrument parmi d’autres, par exemple les « parachutes en or » alloués à ceux dont la gestion est supposée être un échec, ou faire approuver les décisions de rémunération par les assemblées générales d’actionnaires, ne répondent pas véritablement au problème posé, celui de "l’outrance", condamnée à juste titre par Nicolas Sarkozy. Tous les instruments de rémunération ont des finalités qui peuvent se justifier dans des situations spécifiques ; c’est leur montant et leur agrégation qui peuvent faire problème. Quant à la notion d’échec, extrêmement relative et subjective, même si beaucoup se sentent qualifiés, souvent abusivement, pour exprimer un jugement sans appel en la matière, elle ne doit pas conduire à éluder la vraie question qui est celle du « rabotage » des excès globaux de rémunération avec ou sans échec ! Enfin imaginer que les assemblées générales seront nécessairement plus vertueuses que les conseils d’administration, c’est oublier qu’elles sont contrôlées pour l’essentiel par les grands fonds d’investissement qui ne se sont jamais émus des hautes rémunérations si les stratégies qui leur convenaient étaient appliquées, ou si un dirigeant laissait avec bonne grâce la place à son successeur quand ils jugeaient un changement nécessaire.
Un apaisement progressif de l’opinion sur ce sujet ne pourra donc résulter que d’une démarche d’assainissement patiente, mais déterminée, de la part des responsables des entreprises, comités de rémunération, conseils d’administration et diverses instances de concertation patronale avec un double objectif : mettre fin aux excès, mais aussi expliquer la légitimité d’une hiérarchie raisonnable des rémunérations au sein des grandes entreprises en ligne avec les responsabilités exercées et la pertinence de la diversité des instruments utilisés.
Cette démarche serait évidemment facilitée si elle était accompagnée par une transparence qui serait exemplaire, mais qui ne peut être que volontaire, sur les actions utiles que les hautes rémunérations permettent parfois à leurs bénéficiaires d’engager, recyclant ainsi une partie d’entre elles au profit de justes causes.
Certaines de ces idées et quelques autres ont été évoquées dans un "Grand débat" de BFM, animé par Vincent Giret, vendredi 23 juin dernier sur le thème : « Faut-il interdire les stock-options ? », au podcast duquel vous pouvez accéder par ce lien et auquel j’ai participé avec d’autres, en particulier Frank Dedieu qui a publié une analyse de référence dans L’Expansion de juin 2006 sur les stock-options.
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