Faut-il détordre le droit du travail ?
Le débat autour du CPE peut porter sur la forme. Je l’ai fait. Sur le fond, il mérite à mon avis deux éclairages complémentaires différents :
- notre droit du travail est à simplifier : clarifier les principes, désencombrer les procédures, déculpabiliser les pratiques...
- la notion de contrat de travail est à recadrer : ses formules actuelles respectent-elles les conditions d’existence juridique, et même « de sens commun », d’un contrat civil ou commercial ?
Entrer dans le fond par la forme
Je reconnais avoir abordé, il y a quelques jours, le sujet du C P E en me centrant sur un des aspects de sa forme, démarche qui peut sembler détournée, et qui est, je le reconnais, un peu détournée.
Les
auteurs du projet en question ont d’ailleurs placé eux aussi le débat sur ce terrain. Au lieu de parler franchement de modalités de
rupture unilatérale, ils ont choisi de réinterpréter (enfin, de
tripatouiller) la notion de période d’essai, en la détournant de sa
raison d’être.
Comme j’y vois une forme de lâcheté administrative,
sinon politique, j’ai réagi en tentant de montrer en quoi cette astuce
présentait un risque.
Quant au fond, sans avoir pris de position personnelle très marquée, j’ai reconnu qu’à mon avis, en traduisant en termes de refus les peurs engendrées par cette nouvelle disposition, les institutions syndicales, étudiantes comme ouvrières, ou les associations ayant choisi de se manifester, sont dans leur rôle de contre-pouvoir, même si elle ne l’exercent pas de manière très constructive.
Si
maintenant je veux m’intéresser plus au fond du thème, et sans aller
jusqu’à débattre des fondements mêmes du droit au travail, je peux poser la
question ainsi :
faut-il détordre le droit du travail ?
Détordre, pas pour supprimer, mais pour cesser de le rendre inutilisable, à force d’enjolivures et de fragilisations.
Détordre,
pas en refondant à partir de rien, mais au moins en le remettant sur la
forge pour en redresser, avec l’énergie voulue, et dans les règles de
l’art, les multiples torsions et contorsions.
Retrouver les principes sous les procédures
Le droit du travail, à force de
retouches de circonstances, d’aménagements dérogatoires, de compromis
entre les effets de divers rapports de forces, est aujourd’hui :
-un empilement de procédures complexes admettant des interprétations différentes selon les lieux et les moments
-induisant des pratiques fluctuantes, parfois imprévisibles ou inattendues, souvent perçues comme à la limite de l’abus de droit
-tentant de s’appuyer sur des principes
dont l’essentiel est devenu illisible au point de n’être point trop
contesté, noyé qu’il est dans des définitions que les procédures
trahissent et les pratiques camouflent.
Pourquoi ne pas revenir au simple, et engager le débat non sur de nouvelles modifications, qui améliorent pour les uns et péjorent pour les autres, mais sur une recherche de purification du système ?
Dans le cas des contrats de
travail, une fois admise l’utilité de posséder un tel référentiel, une
réflexion sur la prise en compte des critères de qualité admis pour les
contrats civils ou commerciaux permettrait-elle de satisfaire les
divers partenaires ?
Mettre sous contrôle qualité les contrats
Quels sont ces critères de qualité ?
-la clarté
: chaque partie comprend la même chose sur le contenu et les modalités
de mise en oeuvre, et sait quoi faire si le problème à résoudre n’a pas
sa solution inscrite dans la convention souscrite
-la cohérence,
interne : des clauses différentes ne peuvent par leur application
entraîner une situation bloquée, et externe : les actions respectant le
contrat ne viennent pas contrevenir à d’autres contrats établis
-la connivence
(je sais, le mot n’est pas bien choisi, car il sert aussi à désigner dans
le langage courant des accords, tacites ou explicites, dont la
réalisation peut choquer la morale ou même contrevenir à la loi...) : les parties
recherchent une symétrie optimale des obligations, accompagnée d’un
bénéfice mutuel, et si le petit partenaire encourt un risque du fait de
sa faiblesse institutionnelle, des dispositions compensatoires viennent
l’atténuer.
-la non-permanence
: chaque partie sait que la situation n’a aucune raison d’être
indéterminée dans la durée, et qu’il n’y a pas obligation implicite à
ne pas rompre, pourvu que les formes prévues soient respectées.
Il m’est souvent arrivé de dire que tout contrat qui ne se proclame pas temporaire porte en lui un mensonge fondamental. Et que par conséquent :
un bon CDD vaut mieux qu’un mauvais CDI...
De
plus, dans les conditions actuelles, parler de contrat pour désigner un acte quasi léonin, rédigé par l’employeur (même s’il reprend les suggestions d’une convention collective), à prendre ou à
laisser, est aussi un abus de terminologie.
Gouverner le complexe par le simple
La panoplie actuelle des contrats de travail pourrait être remplacée par un contrat-cadre qui serait unique dans ses bases.
Il serait subsidiairement déclinable à hauteur de chaque cas
particulier, en y greffant soit des modules préstandardisés, mais
évolutifs, soit des dispositions spécifiques authentiquement établies de gré à gré, et
compatibles avec les principes généraux régissant l’ensemble.
Cette idée est dans l’air ; certains la proposent même de manière assez percutante.
Je comprends qu’elle puisse faire peur, mais la réalité actuelle n’a-t-elle pas de quoi faire encore plus peur ?
Combien de temps encore pourrons-nous étayer l’édifice avant son effondrement ?
Par
exemple, la période d’essai, si l’utilité de ce concept était reconnue,
pourrait être définie sur la base d’une prescription commune telle que :
-durée comprise dans une fourchette de durées liées à la complexité du poste et aux responsabilités du titulaire
-symétrie dans les modalités de cessation
-situation non discriminante en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération
-statut non opposable à son titulaire par des organismes externes tels que banques et agences
-etc.
Retourner la situation à son profit
J’ajoute que, si j’avais en ce moment un conseil à donner à un primo-accédant au monde du travail (celle-là, je ne l’ai pas inventée), ce serait de ne pas faire la fine bouche devant ce type de contrat, plus équitable que le non-contrat du « stagiaire », et qui sera très probablement mis à l’essai... pour deux ans ?
Et de ne pas hésiter à en tirer les avantages possibles, y compris celui de continuer le cas échéant, et si tel est son désir, à chercher un autre travail, puis de quitter sans scrupules ni regrets un employeur qui s’est réservé le droit légal de le virer sans autre motif que le fait qu’il a le droit de le faire.
Car rien n’oblige un employeur à proposer un CPE. Faisons à ceux qui l’utiliseront le crédit d’intention qu’ils ne jugent pas raisonnable de procéder autrement.
Les employeurs auront ainsi, en boucle retour, une information économiquement et socialement pertinente sur la validité de leurs propres pratiques.
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON