Les producteurs français de fruits et légumes ne gagnent plus leur vie. Ils le font savoir en organisant des actions dont parlent les médias : ici 40 tonnes de fruits et légumes déversés devant la préfecture du Bas-Rhin, là des camions de marchandise espagnole arraisonnés dès le passage de la frontière. Et de l’Alsace au Pays Basque, c’est le voisin qui est rendu responsable des maux de notre campagne, lui qui peut employer Polonais, Lituaniens ou Marocains pour une misère, charges comprises.
Que réclament donc les producteurs ? Des allègements de charge, bien entendu, pour que le coût de la main d’œuvre soit comparable. Et là, miracle !, le ministre écoute les représentants syndicaux et cède largement aux revendications.
La filière fruits et légumes française vient-elle d’être sauvée ? Loin de là ! Et d’ailleurs la FNSEA le sait, dont les représentants entonnent le sempiternel : "c’est nettement insuffisant, oui, mais c’est mieux que rien, non ?, et le pire a été évité".
Il est tout de même de notoriété publique qu’il existe une volonté des plus hauts échelons européens et nationaux de rationaliser l’agriculture européenne, ou en termes plus crus, acculer à la faillite trois paysans sur quatre, toutes filières confondues. Le but, c’est le complexe productif industrio-agricole. Le rêve absolu, c’est un essaim de journaliers étrangers aux droits limités, aux tâches répétitives, soignant aux médicaliments un cheptel de 2500 vaches gavées au moindre déchet. Le rêve absolu, c’est 25 000 ha de pommes de terre d’un tenant, 5000 ha de fraises, 750 000 pommiers et une plateforme logistique tip-top, un chef d’exploitation issu d’une école de commerce, partageant son temps entre commandes de phytosanitaires à dérogation, dossiers de subvention et parties de boules. J’écris "le rêve absolu" à tort car ce n’est pas un rêve, c’est l’avenir, on y vient, doucement....
Exonérer les producteurs français de charges sociales pour les emplois précaires en 2010 ne gêne nullement ce processus, et le ministre le sait, bien entendu.
Mais ce que semblent ignorer les producteurs français, ce que le syndicaliste unique ne dit pas au journal télévisé, c’est qu’en Espagne, ça n’est pas le paradis. Voyez le lien suivant par exemple :
http://www.europapress.es/catalunya/lleida-00378/catalunya/lleida-00378/noticia-productores-fruta-explican-bruselas-venden-melocoton-debajo-costes-20090909194042.html. On y trouve un article du 09 de ce mois de septembre 2009, intitulé :
Los productores de fruta explican en Bruselas que venden el melocotón por debajo de costes, ce qui doit vouloir dire que les producteurs espagnols expliquent à Bruxelles qu’ils en sont à vendre sous le prix de revient leurs melocotons (ça, je ne sais pas vraiment ce qu’est c’est, d’après l’étymologie ça doit être un truc sphérique, vaguement cotonneux, qui ressemble peut-être à une pêche). Lisez encore ici (12 août 2009) :
http://www.freshplaza.es/news_detail.asp?id=25735, titre de l’article :
Se estiman pérdidas de hasta 1.500 millones de euros por la grave crisis del campo : le manque à gagner dans les campagnes espagnoles estimé à près de 1500 Millions d’Euros.
Alors, qué pasa ? Ces mouvement de producteurs, dans un pays où l’on peut tout de même exploiter des clandestins selon son bon vouloir tant la police ne les aime pas, est forcément lourd de sens. Il nous enseigne que le coût de la main d’œuvre n’est pas le facteur qui décide de la ruine ou de la fortune d’une exploitation. Je le dis encore plus clairement : même avec un coût de main d’œuvre nul, même quand l’Etat ou l’UE prendra(it) à sa charge la totalité des frais salariaux, la disparition des paysans d’Europe au profit du complexes productif industrio-agricole continuera.
Regardons maintenant ce qui se passe en Allemagne, autre pays champion du travailleur saisonnier low-cost. Tapez "Äußerung der Fruchterzeuger und Gemüse Erzeuger" (manifestation des producteurs de fruits et légumes) dans Google : whack ! : trois résultats ! Cherchez autant que vous voudrez : pas de ras-le-bol généralisé chez les producteurs allemands.
Peut-être vendent-ils leurs produits à un prix qui leur convient, non ?
A qui les vendent-ils alors ? Réponse dans la note sectorielle de Stratégie et Action(
www.strategie-action.com), conseil spécialisé en pénétration du marché allemand : "95% du chiffre d’affaires total des GMS est réalisé par les 30 premiers groupes de distribution. Le phénomène de concentration est donc largement moins avancé en Allemagne qu’en France, ce qui constitue de réelles opportunités pour les fournisseurs français." On croit rêver : 30 groupes de distribution !
Et en Espagne, quelle est la situation ? Réponse dans la fiche pays de
www.laposte-export-solutions.com. " Le secteur de la distribution en Espagne a beaucoup évolué au cours des dernières années avec la montée en puissance de la grande distribution (actuellement en phase de concentration), des chaînes spécialisées et des centres commerciaux. [...] Certaines Communautés Autonomes imposent des restrictions à l’implantation de grandes surfaces et de centres commerciaux. " En Espagne, 75% de la distribution est réalisé par seulement 4 groupes. Cela ne vous rappelle rien ?
Dans ce contexte, subventionner l’emploi des saisonniers, c’est subventionner la grande distribution, car le peu qui reviendra chez le paysan, le marchand le lui prendra.
En a-t-il vraiment besoin ? N’est-il pas déjà riche, immensément riche ? Le marchand manque d’amour.
On ne peut pas se satisfaire de cela", benoîtent donc les syndicalistes. Certes....Mais quand la FNSEA instrumentalise la colère contre les Allemands ou les Espagnols, on ne peut pas non plus se satisfaire de la FNSEA.
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