Selon une certaine presse, l’actionnaire du groupe Total et ses trente-neuf congénères du CAC 40 seront bien, cette année encore, des privilégiés grâce aux confortables dividendes qu’ils vont recevoir. Est-on vraiment sûr de cela ?
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D’abord, il faut dire que l’actionnaire est celui qui détient une partie du capital de la société émettrice des actions. Cette partie du capital, il l’a acquise, soit lors d’une émission d’actions sur le marché primaire, dit marché du neuf ; soit sur le marché boursier, dit marché secondaire ou marché de l’occasion. Pour cet achat, il a mis une partie de son propre patrimoine, son argent, au service du projet industriel d’entreprise qu’il a librement choisi.
L’objectif de tout actionnaire est naturellement la rentabilité. Ce n’est pas un philanthrope ! Surtout si l’entreprise qu’il intègre évolue dans le secteur marchand et concurrentiel et a donc l’obligation, pour sa pérennité, de créer de la richesse économique, de la valeur, telle que la comptabilité nationale l’entend.
Alors, s’il espère rentabiliser son investissement, l’actionnaire qui participe à l’aventure industrielle de la société cotée, prend tout de même trois risques :
- celui de tout perdre si la société fait faillite.
- celui de n’avoir aucun revenu annuel si la société ne lui verse pas de dividende. Ou, d’avoir un revenu inférieur à celui qu’il aurait eu s’il avait placé son argent sur un livret A, un livret bleu, orange ou de toute autre couleur, à rémunération non réglementée.
- celui de perdre une partie de son investissement au cas où il déciderait de vendre ses actions alors que leur cours de bourse est inférieur au cours auquel il les a achetées.
Cela étant dit, quid de l’actionnaire en général, de celui de Total et des 39 autres du CAC, en particulier ?
Imaginons qu’un agent économique lambda, vous, moi, un institutionnel ait acheté du Total, du Renault, de l’Arcelor … bref, l’une des sociétés cotées au CAC, en janvier 2008. Qu’a-t-il gagné ? Qu’a-t-il perdu ?
Il a gagné, pour 2008, un dividende estimé aujourd’hui entre 0 % et 6 à 7 % selon les sociétés. Ainsi, par exemple, pour Total dont nous connaissons le montant du dividende, il aura gagné 2,28 euros par action. Comme celle-ci cotait hier 36 € environ, son rendement est donc de 6,33 %. Pas mauvais du tout !
Cependant, dans le même temps, l’action Total a perdu 25,27 % en un an, 31,12 % en trois ans. Donc, malgré son dividende de 6,33 %, l’actionnaire en sera tout de même de sa poche de quelques 20 %, s’il décide de vendre aujourd’hui. Et, s’il ne vend pas, la boule au ventre, il peut aggraver sa perte et rester collé longtemps, comme l’on dit dans le jargon boursier.
C’est la fameuse perte en capital, tant redoutée par tout investisseur !
Aujourd’hui, l’actionnaire de Total est pourtant logé à la même enseigne que ses congénères des autres sociétés du CAC, telles que :
- BNP Paribas —> - 62,17 %
- Air Liquide —> - 31,22 %
- Arcelor —> - 71,07 %
- Essilor —> - 34,58 %
- Renault —> - 83,54 %
- Alcatel —> - 74,85 %
- etc.
En moyenne, l’actionnaire CAC 40 a perdu 45,13 % en un an, 49,23 % sur trois ans et 32,98 % sur cinq ans (*). Est-il vraiment le privilégié dont on parle ?
Oui dit BFMTV et certains de ses confrères ! En effet, pour ces médias, chaque fois que le CAC baisse, ils annoncent que l’actionnaire a pris son bénéfice et, chaque fois qu’il monte, c’est une bonne affaire pour lui. En somme, pour eux, l’actionnaire joue à qui perd gagne toujours. Avec de tels commentaires, il ne faut pas s’étonner pourquoi beaucoup de Français pensent que l’actionnaire est un capitaliste qui gagne quand la bourse monte et qui gagne aussi quand elle baisse. Tout le contraire de ce que montre la réalité les chiffres ci-dessus.
La France compte près de 6 millions d’actionnaires et tous ne sont des zinzins ! Tous ne sont pas non plus le fameux Warren Edward Buffett. Le seul homme au monde (sic !) qui prétend avoir gagné des milliards dans cette crise. Comment ? Vantardise d’un vieil homme à l’agonie ou réalité d’un spéculateur chanceux qui ne fait que vendre à découvert ? Continuera-t-il à gagner quand le marché s’inversera ?
Alors, on le voit, la crise n’épargne personne, même pas l’actionnaire du CAC 40, même pas celui de Total !
Combien de temps faudra-t-il à cet actionnaire lambda pour regagner ses pertes de l’année ou des trois ou quatre dernières années ? Combien de temps lui faudra-t-il, s’il a acheté en vue de préparer sa retraite, quand le CAC était à 6 944 points le 4 septembre 2000 ? Combien de dividendes à 2,28 € par action devra-t-il récupérer ?
Après de telles années de disette, l’actionnaire sera-t-il toujours enclin, une fois la crise passée, à mettre son argent dans une entreprise ?
Là est bien la question fondamentale qui fonde le dynamisme de toute économie capitaliste moderne de marché.
(*) boursorama.com