L’impact de la pandémie au sein du Mercosur
C’est peu dire que le Coronavirus a particulièrement frappé l’Amérique du Sud. A commencer, d’ailleurs, par les deux géants du Mercosur que sont le Brésil et l’Argentine.
Les chiffres sont particulièrement éloquents. Avec un taux de létalité de 2,7%, l’Argentine ne se situe pas très loin de la Belgique (taux de létalité de 3%). Au Brésil, qui a tardé à mettre en place des politiques de confinement, on note un taux de létalité de 2,6%. Au Brésil et en Argentine, le coronavirus avait, en date du 22 décembre, fait plus de 239.000 victimes (187.322 au Brésil et 41.997 en Argentine) [1].
L’Argentine durement frappée
Comme partout ailleurs dans le monde, la pandémie a également frappé de plein fouet les deux grandes économies de la région. L’impact de la crise sanitaire sur les PIB argentin et brésilien sera contrasté. Pour le Brésil, l’année 2020 se soldera par une chute du PIB de 4,4%[2]. En ce qui concerne l’Argentine, la récession sera beaucoup plus profonde puisque la diminution du PIB, mesurée sur un an, sera, en 2020, de 12,9%[3].
Le confinement a été, il est vrai, plus dur et de plus longue durée en Argentine qu’au Brésil. Les chiffres ne laissent planer aucune ambigüité à ce sujet. Pour en revenir au cas argentin, on mentionnera, afin de situer l’importance de cette crise sur un plan historique, que la terrible année 2002 s’était soldée par une récession de 10,9% du PIB. Sous réserve d’une troisième vague qui pourrait frapper l’Europe et/ou l’Amérique du Nord en 2021, l’Argentine a été jusqu’ici le pays du G20 qui a payé le plus lourd tribut à la pandémie toujours en cours à l’heure où ces lignes étaient écrites.
D’un strict point de vue économique, il est vrai que l’Argentine vit des temps troublés depuis l’élection du péroniste de centre-gauche, Alberto Ángel Fernández, à la présidence du pays en décembre 2019. Le pays est structurellement en récession depuis 2015. Les plans d’austérité de l’ancienne présidence libérale-conservatrice de Mauricio Macri n’ont guère permis au pays de croître alors que son endettement extérieur progressait à vue d’œil. Pour mémoire, la dette extérieure du pays était de 26,11% du PIB, lorsqu’en décembre 2015, Cristina Kirchner quittait la présidence, contre 61,82% quand Mauricio Macri perdait, à son tour, les présidentielles quatre ans plus tard[4].
Depuis, le pays est entré en défaut de paiement, une fois de plus. Un accord de restructuration de la dette est intervenu avec les créanciers étrangers. Une réduction de 45,2% des remboursements a été programmée selon les termes de cet accord[5]. Il va de soi que le gouvernement argentin ne pourra guère revenir sur les marchés pour se fournir en devises dans les années qui viennent. Pour éviter une fuite trop franche des capitaux, le gouvernement a, dans la foulée de la restructuration de la dette, imposé un contrôle des changes. Il en a résulté l’apparition d’un marché noir des devises (en euros mais surtout en dollars). L’écart entre les cours officiel et au noir du dollar n’a cessé de s’approfondir au cours des 6 derniers mois. Cette divergence croissante constitue la preuve de ce que le marché noir attire davantage chaque jour les ménages argentins. La dépréciation du peso qui s’ensuit entretient un haut niveau d’inflation en Argentine. Pour l’année 2020, l’augmentation moyenne du niveau des prix en Argentine sera de 37,2% pour l’année 2020[6]. C’est le deuxième taux le plus important pour le continent derrière le Venezuela.
Les choses ne s’amélioreront guère du coté de l’inflation dans un avenir proche. Les experts tablent, en 2021, sur une inflation annuelle de 50% en Argentine. La politique du gouvernement antérieur a consisté à garantir le pouvoir d’achat du peso en empruntant des réserves. Le pari était que des flux d’investissement direct étranger permettraient, à terme, de disposer des devises nécessaires au remboursement de ses emprunts. Comme on vient de le voir, le nouveau gouvernement a rompu avec cette politique qui visait à gonfler artificiellement les réserves du pays. Ces dernières sont donc, du fait de la rupture avec les marchés de capitaux, au plus bas. Pour donner une idée de la contrainte de financement qui pèse aujourd’hui sur les autorités monétaires à Buenos Aires, on fera valoir que les réserves nettes du pays s’élèvent aujourd’hui aux alentours de 3 milliards de dollars[7]. Ce niveau est absolument insuffisant pour faire face aux échéances basiques de l’économie argentine. Par exemple, 3 milliards de dollars représentent à peine un mois d’importations[8] alors que les spécialistes estiment que le niveau minimal de réserves requis pour faire face aux importations doit être de 3 mois.
Le choix gagnant de l’hétérodoxie
De surcroît, on signalera que le niveau de la dette extérieure totale (c’est-à-dire tant d’origine privée que publique) de l’Argentine était, en juillet 2020, de 270 milliards de dollars selon l’organisme public argentin chargé de compiler les statistiques du pays[9]. Sans un apport d’argent frais, de nombreuses entreprises argentines vont devoir faire défaut sur leur dette extérieure quitte à se couper des marchés pour un bon bout de temps avec à la clé un danger pour la stabilité des investissements et la croissance. D’un point de vue strictement comptable, on se bornera à constater que le niveau des réserves par rapport à la dette extérieure totale du pays est absolument insuffisant car bien trop éloigné du ratio minimum de 40% requis.
La suite des évènements risque de devenir encore plus compliquée pour Buenos Aires. En effet, la croissance du PIB attendue pour les années 2021 et 2022 sera respectivement de 3,7 et 4,6% au cours des deux prochaines années[10]. Rien donc qui permettra d’annuler l’effet du terrible plongeon de 13 points de PIB enregistré en 2020. De surcroît, l’arrivée de devises sur les comptes de la Banque centrale na rien d’évident. L’Argentine, c’est bien connu, est un pays qui vit principalement de ses recettes d’exportations agricoles. Or, une sécheresse serait à redouter pour le deuxième trimestre 2020[11]. La soif de dollars des Argentins ne risque donc pas d’être étanchée à moyen terme.
Habituellement, lorsqu’un pays est confronté à de tels défis, son gouvernement frappe à la porte du FMI. Or, ce n’est pas le cas ici. L’Argentine ne se presse, en effet, pas pour conclure un accord avec le FMI. Ce dernier, il est vrai, réclame des autorités argentines une politique d’austérité difficilement compatible avec la prise en charge des difficultés sociales engendrées par la pandémie en cours. C’est dans cette optique que le sénat argentin a approuvé récemment une loi de taxation des patrimoines supérieurs à 200 millions de pesos (2 millions d’euros). Dans un pays aussi inégalitaire que l’Argentine, il s’agit là d’une initiative intéressante mais qui ne fait guère partie de l’arsenal des mesures envisagées par le FMI. Celui-ci recommande, pour sa part, de diminuer, air connu, les dépenses publiques au lieu d’augmenter les recettes du Trésor. Pourtant, en améliorant ses recettes, le gouvernement argentin se donne les moyens de réduire le déficit budgétaire. A terme, ce type de stratégie peut limiter l’appréciation du dollar par rapport au peso et partant, atténuer les pressions inflationnistes qui frappent le pays.
Coronavirus et politique au Brésil
Ce choix de l’hétérodoxie économique nous renseigne sur la portée à proprement parler politique de la crise du coronavirus. En effet, en dépit de données économiques difficiles, le gouvernement argentin continue à bénéficier d’une bonne cote de popularité auprès de l’opinion publique. 45% des Argentins se montraient, au début du mois de décembre de cette année, satisfaits par la gestion de crise de l’équipe au pouvoir. On rappellera qu’avec 45% des suffrages[12], un candidat à l’élection présidentielle est, en Argentine, directement réélu au premier tour.
Autrement dit, si des élections avaient lieu demain, les Argentins choisiraient encore de faire confiance au gouvernement en place. Sans doute parce que celui-ci a choisi de défendre le droit à la santé et à la vie au lieu de s’attacher à privilégier la sauvegarde de l’économie.
Il s’agit là d’une différence majeure par rapport à la situation brésilienne où l’administration Bolsonaro a choisi de ne pas imposer des mesures de confinement trop strictes, quitte à laisser progresser l’épidémie, et ce, afin de préserver le tissu économique local. Après une chute de 4,4% de son PIB cette année, le Brésil retrouvera un taux de croissance de son PIB de 2,6% en 2021 et de 2,2% en 2022. Bref, le Brésil sera plus riche en décembre 2022 qu’il ne l’était en décembre 2019.
Les effets économiquement délétères de la crise seront alors intégralement effacés. Pourtant, l’administration Bolsonaro ne semble guère pouvoir jouir d’une grande popularité auprès de l’opinion publique brésilienne. C’est ainsi que les candidats ouvertement soutenus par le président brésilien ont obtenu de fort mauvais résultats lors des élections municipales qui se sont tenues au Brésil le mois passé[13]. En choisissant de placer l’économie et ses exigences d’accumulation de capital au-dessus des impératifs de santé publique, Jair Bolsonaro s’est tiré une balle dans le pied au point, peut-être, de ruiner ses chances de réélection en 2022.
Pourtant, le Brésil dispose d’incontestables atouts sur le plan économique. Les réserves extérieures du pays (344,6 milliards de dollars) équivalaient, en novembre 2020, à 24,9 mois d’importations. Il s’agit là d’un niveau suffisant pour faire face à la dette extérieure totale du pays (620,870 milliards de dollars)[14]. Aucune nécessité d’accord avec le FMI n’est à signaler dans le chef de Brasilia. C’est ainsi qu’à la fin du mois de novembre de cette année, le ministre brésilien de l’économie, Paulo Guedes a confié qu’il étudiait la possibilité de revendre une partie des réserves en devises de la banque centrale pour faire diminuer la dette du pays. Selon le ministre brésilien, un volume élevé de réserves était nécessaire lorsque le real était surévalué par rapport au dollar et que le taux d'intérêt était plus élevé. Mais aujourd’hui, le taux de change du real est déprécié et les taux d'intérêt sont au plus bas. Cette nouvelle conjonction élimine le besoin d'un matelas de réserve particulièrement robuste comme c’était le cas auparavant[15].
On notera que la vente des réserves par la banque centrale du Brésil pourra revêtir deux formes : soit une forme directe de devises en cash, soit une vente sur les marchés secondaires d’obligations publiques libellées en dollars ou en euros. En imaginant que la banque centrale du Brésil décide de se séparer d’une partie de ses euros, il faut envisager deux cas de figures. Si le mouvement de vente porte sur des devises, l’impact sur le cours de l’euro sera des plus limités puisque sur le marché des devises, l’euro représentait, en 2018, 1/3 des échanges pour un montant quotidien de 2 milliards, soit 730 milliards par an. En imaginant que le Brésil vende 45 milliards d’euros, cette décision porterait sur 6% des euros échangés dans le monde. L’Iran a déjà envisagé, il y a dix ans, de se séparer de 45 milliards d’euros pour ramener la part des réserves en euros de 55% à une fourchette comprise entre 20 et 25% et déjà à cette époque, les cambistes estimaient que cette opération aurait un impact limité sur le monnaie unique européenne[16]. Si la décision de revente implique des obligations publiques européennes pour un montant de 45 milliards, l’impact sera encore plus limité puisque la taille de ce marché est très importante puisque le marché de la dette souveraine de la zone euro représentait, en 2015, un montant total de plus de 5 mille milliards d’euros[17].
En tout état de cause, le Brésil dispose des réserves susceptibles d’amadouer les marchés en ces périodes d’endettement public en augmentation aux quatre coins du monde. Pourtant, Jair Bolonsaro et son équipe ne jouissent pas de la même cote de popularité que le gouvernement argentin. Il faut peut-être voir, à ce propos, dans la crise du coronavirus un élément de réactivation du clivage droite-gauche en politique. Dans cet ordre d’idées, « sauver l’économie » n’est, en soi, pas une finalité de l’action politique. Encore faut-il garantir que la croissance économique serve des buts sociétaux plus ambitieux comme la solidarité ou la santé publique.
La politique, ce serait donc d’abord de la gestion alors que le politique, ce serait avant tout de l’idéologie ? A méditer…
[1] www.coronatracker ;com, données OMS, date de consultation : 22 décembre 2020.
[2] Xinhua, Brazil to see 4.4 pct drop in GDP, say analysts, 22 décembre 2020. Url : http://www.xinhuanet.com/english/2020-12/22/c_139608402.htm. Date de consultation : 22 décembre 2020.
[3] Federico Rivas Molina, La recesión en Argentina será la mayor entre los países del G20, El País, édition mise en ligne du 1er décembre 2020.
[4] Ceic Data, Argentina External Debt : % of GDP 2004 – 2019, Url :https://www.ceicdata.com/en/indicator/argentina/external-debt—of-nominal-gdp. Date de consultation : 17 décembre 2020.
[5] Ámbito Financiero, Deuda : Gobierno selló acuerdo con los bonistas por la reestructuración y despeja el horizonte financiero, édition mise en ligne du 4 août 2020.
[6] El Cronista, édition mise en ligne du 14 décembre 2020 (Url : https://www.cronista.com/economiapolitica/Argentina-la-segunda-inflacion-mas-alta-de-Latinoamerica-20201214-0027.html). Date de consultation : 20 décembre 2020.
[7] Gabriel Rubinstein, Las reservas netas líquidas del Banco Central : un serio problema, Buenos Aires Económico, édition mise en ligne du 8 décembre 2020.
[8] The Observatory of Economic Complexity (OEC), données établies en 2018, Url : https://oec.world/en/profile/country/arg. Date de consultation : 17 décembre 2020.
[9] Indec, deuda externa (Segundo trimestre de 2020), Url : https://www.indec.gob.ar/indec/web/Nivel3-Tema-3-35. Date de consultation : 21 décembre 2020.
[10] Federico Rivas Molina, El País, op cit.
[11] La Nación, Wall Street : el mayor problema de la Argentina según uno de los grandes bancos, édition mise en ligne le 22 décembre 2020.
[12] iProfesional, Alberto o Cristina : ¿quién tiene más poder ? Un análisis tras un año del Gobierno del Frente de Todos, (auteur : Paula Krizanovic) édition mise en ligne le 21 décembre 2020.
[13] Le Courrier International, Au Brésil, une défaite claire pour le camp Bolsonaro aux municipales, édition mise en ligne du 16 novembre 2020.
[14] CEIC Data, Brazil Foreign Exchange Reserves, Url : https://www.ceicdata.com/en/indicator/brazil/foreign-exchange-reserves. Date de consultation : 4 décembre 2020.
[15] Gazeta Do Povo, Guedes menciona venda de reservas cambiais para diminuir dívida do Brasil, édition mise en ligne le 20 novembre 2020, Url : https://www.gazetadopovo.com.br/economia/breves/guedes-reservas-cambiais-venda-divida-brasil/, date de consultation : 29 novembre 2020.
[16] Agence Reuters, Lead 1, L'Iran vendra 45 milliards d'euros contre dollar, or, 2 juin 2010, Url : https://jp.reuters.com/article/iran-reserves-euros-idFRLDE6511PH20100602. Date de consultation : 24 décembre 2020.
[17] VALENTINE AINOUZ, SERGIO BERTONCINI, Milan BASTIEN DRUT, Amundi Aset Management, Le QE de la BCE change la nature du marché obligataire européen, mars 2015, p.12.
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON