Dernier épisode de la crise financière en Europe. Les pays de la zone euro, associés au FMI, viennent d’allouer à l’Irlande des garanties financières et des prêts à hauteur de 90 milliards d’euros, ce qui représente une goutte d’eau rapportée au PIB européen. Mais cette somme est très importante si on la rapporte aux actifs des banques à sauver. En effet, il ne faut pas omettre de préciser à quoi cet argent va servir. Non pas à payer les employés, aider les pauvres ou financer des services publics mais à sauver les banques irlandaises dont les finances sont au plus bas. Du côté de la population, c’est l’inverse qui se produit, car cette aide finalement demandée officiellement par l’Irlande n’est pas sans contrepartie. Un plan drastique « d’assainissement » des comptes publics est engagé, avec à la clé coupes dans les salaires et les services publics. Impression de déjà vu ? Oui, c’est un dispositif de cette nature qui fut engagé il y a six mois, pour accompagner la très mauvaise passe que traverse la Grèce. Les 110 milliards d’euros alloués à ce pays étaient aussi assortis d’un plan de rigueur de grande ampleur. Et comme pour l’Irlande, les discours officiels noyés dans les commentaires approximatifs des médiacrates évoquaient un sauvetage non seulement des banques mais aussi de la zone euro.
Sans aller jusqu’à évoquer une arnaque, une tromperie, on ne pourra éviter de penser à un jeu de dupes car on ne sait pas qui sont ces banques, leurs comptes, ce qu’elles ont fait comme opérations à risque. S’agissant de la Grèce, la dette était détenue non pas par des établissements locaux mais par des banques étrangères, françaises, allemandes… La situation irlandaise est certainement différente, ce pays étant doté d’une économie singulière dans laquelle le système bancaire est fortement impliqué « Accorder une aide à l’Irlande est justifié par le besoin de préserver la stabilité financière de l’Europe » a dit le commissaire européen à l’économie, Olli Rehn à Reuters, ajoutant de plus que « Le plan en préparation devra répondre de façon décisive aux défis budgétaires de l’économie irlandaise et aux besoins potentiels en capitaux à l’avenir dans le secteur bancaire » La Grande-Bretagne, pays où la finance est reine, accorde quant à elle un prêt de 8 milliards d’euros au titre d’assistance à un pays ami. Comme quoi, les gros comptes font les bons amis. Il est aussi question d’apaiser les marchés. Au bout du compte, ces opérations semblent des plus opaques, se jouant comme un marchandages entre politiques et financiers s’arrangeant pour colmater les failles dues à un développement fébrile et mal assuré du système bancaire, le tout sur fond d’économie mal agencée et parfois vacillante ou bien en trompe-l’œil.
Officiellement toujours, du moins dans les commentaires médiatiques, l’aide à la Grèce et à l’Irlande sont déployées afin que la crise bancaire ne se propage pas dans d’autres pays de la zone euros avec l’effet systémique bien connu. Dans la liste, le Portugal est cité en premier, puis l’Espagne, ensuite viendra l’Italie, quant à la France, nul ne sait si elle bénéficie d’une protection surnaturelle comme au moment du nuage de Tchernobyl qui a contourné notre pays. Ce qu’on peut dire, c’est qu’avec l’Espagne ou l’Italie, on a affaire à du lourd, autrement dit des PIB de taille imposante, respectivement 11.6 et 17 % de la production dans la zone euro, alors que la Grèce, l’Irlande et le Portugal ne pèsent que 6.3 %. Sommes-nous entrés dans une nouvelle phase économique ? Pour l’opinion publique, le FMI est une institution dont le rôle a été d’aider les pays à se développer. C’est vrai dans les faits, surtout depuis 1980. On oublie aussi que le rôle officiel du FMI est de stabiliser les finances mondiales. Et c’est ce qu’on constate en 2010, alors que suite au G-20 de Londres, une augmentation des ressources du FMI a été décidée, passant de 300 à 1000 milliards d’euros. Signe d’une inquiétude notable. La nouvelle économie qui se dessine présente des traits particuliers. Les dettes nationales des pays industrialisées étaient auparavant des produits d’épargne sains, destinés aux gestionnaires bon pères de famille. Maintenant, certaines de ces dettes sont des produits risqués. On le constate en Europe. Autre signe de nouveauté, le FMI qui vient en aide à des pays industrialisés, enfin, disons intégrés dans une économie très avancée, celle de la zone euro. Dernier point. Les aides du FMI ont souvent accompagné une croissance et un développement des pays émergents, avec l’élévation du niveau de vie. En 2010, le FMI va aider la Grèce et l’Irlande alors que pour une tranche de la population, le niveau de vie baissera. L’Irlande est disposée à diminuer les allocations familiales, les indemnités du chômage, le salaire minimum. C’est ce que Bernard Conte désigne comme « tiers-mondialisation de la planète » dans son livre paru aux PUB.
Dans un corps malade, une crise dévoile quelle partie est atteinte ou alors que l’organisme est fragilisé. En économie, il en va de même que pour le corps humain. Jusqu’en 2008, la situation était comparable à une plage bordée par une mer accueillante où l’on se baignait sans inquiétude. C’était la mondialisation heureuse si on veut. Puis, la mer s’est brusquement retirée. Une banque prise en défaut de liquidités a coulé aux Etats-Unis. La mer a été à nouveau remplie de liquidités mais comme il y a plein de fuites dans le système, des zones se retrouvent asséchées, laissant apparaître des rochers représentant l’état d’une économie. C’est ce qui s’est passé en Europe. La crise systémique accompagnant la réorganisation de l’économie planétaire a laissé entrevoir les différences notables dans les pays de la zone euro. Les eurocrates ont marché sur deux rochers préoccupants, la Grèce et l’Irlande, deux pays dont les économies en trompe-l’œil se sont révélées. l’ Espagne a dévoilé sa fragilité, avec une économie artificiellement boostée par la spéculation immobilière. Quelle sera la suite ? Frédéric Lordon pense que l’Europe n’a que des solutions désastreuses, pressentant un effondrement bancaire associé aux dettes colossales accumulées dans la zone euro. Ce n’est pas certain mais ce qu’on peut anticiper, c’est une économie atone, bref, le scénario à la japonaise bien connu et peut-être, aggravé par la concurrence féroce des NPI, phénomène qui n’existait pas en 1990, quand débuta la décennie perdu au pays du soleil levant.
Le mot de la décennie 2010 ne sera pas récession, ni perdu mais impasse. Nous sommes sans doute dans une impasse avec l’effet conjugué de la dette et de la concurrence internationale et comme conséquence une désindustrialisation, une baisse de la consommation et des dépenses publiques. Ce vocable « impasse » étant entendu dans le sens d’un chemin qui s’arrête, d’une voie interrompue. Cette voie, c’est celle de la croissance et de l’enrichissement partagé. On peut imaginer un niveau de vie contrasté, avec des situations aisées sauvegardées accompagnant un appauvrissement généralisé de la population européenne. Cette Europe qui la première a imaginé le progrès social et économique se trouve maintenant dans une impasse. Elle ne sait pas où aller, incapable pour l’instant de réfléchir à son destin et de trouver une voie praticable. Il faudrait aussi réfléchir aux dirigeants. Ce sont peut-être eux, avec la complicité de la cupidité et des égoïsmes, qui ont placé l’Europe dans une telle impasse, ou du moins, conduite sur une mauvaise voie.