L’option Entreprise Equitable
"comment répartir équitablement pouvoir et résultats entre actionnaires et salariés"
Par Alain Loréal
Dans les entreprises classiques les apporteurs de capitaux sont les maîtres absolus de l’entité dans le sens où ils disposent du choix des Dirigeants et des organes de contrôles (AG, CA et/ou Directoire et Conseil de Surveillance dans les sociétés de capitaux).
Les salariés sont « loués » pour leurs seules capacités productives (physiques ou intellectuelles) ou leur « docilité » à effectuer les tâches requises. De fait, et en dépit de plus de 150 ans de luttes syndicales, le pouvoir d’influer le cours de leur existence dans l’entreprise reste marginal. Pour les capitalistes, l’idéal serait de remplacer les salariés par des robots suivant en cela la théorie économique des « externalités ».
L’objectif ultime de l’Entreprise traditionnelle reste le R.O.I, le plus élevé possible.
Cette vision qui rappelle les « Maîtres des Forges » a repris une nouvelle vigueur avec la financiarisation de l’économie et son cortège de « souffrances au travail ».
Le Droit universellement partagé qui autorise cette dérive est celui de la propriété.
Conceptuellement définit dans « la déclaration des droits de l’homme » (article 17), « la déclaration universelle de l’homme et du citoyen de 1789 » (article XVII) et dans « la convention européenne des droits de l’homme » (protocole n°1) le droit de propriété est irréfragable. Sans référer à Adam Smith, John Locke ou Marx c’est en vertu et en conséquence directe de ce droit qu’a pu se développer le capitalisme moderne.
Toute tentative d’en priver, ne serai-ce que marginalement, ses détenteurs est promise à l’échec. Ne reste plus qu’à le contourner.
C’est en partie réalisé avec les évolutions des droits de la propriété intellectuelle, spécifiquement dans les domaines de la création informatique avec l’apparition des logiciels libres et, d’une certaine manière –quoique le système lutte sévèrement- de l’internet. L’économie Sociale et Solidaire constitue un autre volet du contournement mais son concept souffre d’une difficulté majeure à réunir des fonds nécessaires au développement de ses entités condamnant ces dernières à des tailles réduites et uniquement hexagonales.
Reste à créer une structure qui, elle aussi, contourne l’obstacle.
Reprenons depuis le début : la création de l’Entreprise.
Au début il y a, généralement, un entrepreneur et un projet. Pour réaliser ce projet le fondateur aura besoin de capitaux et de travailleurs. Les uns ne peuvent se suffire à la réalisation du projet, les autres n’existent pas sans lui (1). A ce stade le « capital financier » et le « capital immatériel » ont une valeur équivalente puisqu’ils ne peuvent se réaliser dans le projet sans l’autre.
Cette équivalence du « capital immatériel » se justifie essentiellement par le fait que dans l’entreprise moderne (en particulier de services) ce qui est attendu du salarié dépasse très largement sa compétence technique à réaliser une tâche définie. On attend aussi qu’il y ajoute adaptabilité, réflexion, créativité, propositions, talents humains ce que ne pourrait faire le robot mentionné plus haut.
La part de risque partagé par les deux est analogue : en cas d’échec du projet les actionnaires perdent leur mise, les salariés se retrouvent au chômage.
Retenons cette première définition : dans l’entreprise équitable les actionnaires et les salariés ont des droits équivalents. Ce qui implique que quelque soit les évolutions du capital financier ou du volume de salariés, l’immatériel restera identique en valeur et en droits au capital.
Partageant les risques, ils partagent aussi les résultats selon la même règle.
De ce fait le partage du pouvoir dans l’entreprise suit le même raisonnement :
Deuxième définition : dans l’entreprise équitable la direction est assurée par un « Conseil d’Entreprise » élu à parité par les deux collèges « salariés » et « actionnaires ». Les règles présidant à l’élection de la représentation des deux collèges sont celles existantes dans le Droit actuel (Gouvernance pour le pacte d’associé issue du Droit Commercial et des Sociétés de Capitaux, Droit du travail pour les salariés) dans l’attente de la création d’un Droit de l’Entreprise basé sur les concepts des « parties prenantes ».
Le fondateur, selon qu’il est apporteur de fonds ou non, appartient à l’un des collèges et nécessairement au Conseil d’Entreprise. Il ne peut être membre des deux ce qui exclut tout système de « stock options ».
Troisième définition : Les litiges qui pourraient naître à l’occasion de désaccords entre les deux collèges au sein du « Conseil d’Entreprise » sont tranchés par un représentant du collège des « parties prenantes » (Clients, Fournisseurs, Autorités), Tiers de Confiance qui possède une voix décisive. Ce rôle ne peut être tenu par un prestataire de l’Entreprise (expert comptable, commissaire aux comptes, conseil juridique).
Quatrième définition : Le Conseil d’Entreprise, issu des votes des deux collèges, peut élire un Directeur Général et une équipe restreinte de Direction. Ces élus ne peuvent conjointement faire parti du Conseil d’Entreprise devant lequel ils rendent compte et duquel ils doivent démissionner pour rejoindre leur collège d’origine.
Cinquième définition : Le management intermédiaire des services, ateliers, établissements et succursales est assuré par des salariés élus par leurs collègues dès qu’atteint un seuil fixé par la Direction. Ceci exclu les notions d’opérateur, agent de maitrise, cadre, cadre-sup en particulier dans les responsabilités fonctionnelles au profit de « managers » distingués pour leur leadership. L’autonomie la plus large est accordée à ces structures dans le cadre d’objectifs proposés par la Direction et acceptés par les équipes.
Ces définitions ne sont qu’un cadre de réflexion et privilégient les notions d’humain et de responsabilité partagée dans l’Entreprise, lieu de réalisation personnelle. Des définitions plus précises et détaillées seront du ressort des experts juridiques et des partenaires sociaux auxquelles cette note ne prétend pas se substituer.
L’avantage stratégique de la promotion d’un tel statut est essentiellement le fait qu’il ne remet en cause aucun des systèmes existant et se place exclusivement en concurrence avec eux.
Concurrence dont je reste persuadé qu’elle peut se révéler bénéfique tant aux entités économiques qu’aux associés, salariés et actionnaires, car le dynamisme de l’ensemble, en privilégiant l’implication, la motivation (qui ne se décrète pas), la créativité de tous est LE facteur décisif dans un monde concurrentiel.
La puissance publique pourrait favoriser l’émergence de telles entreprises en proposant des taux réduits d’IS et en l’imposant chaque fois qu’elle investit directement pour sauver de la faillite et du démembrement des sociétés traditionnelles à l’agonie.
17 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON